Dans les Brumes de Capelans (Olivier Norek, 2022)

6 ans que l’on était sans nouvelles du capitaine Victor Coste. La dernière fois qu’on l’avait aperçu, c’était dans l’excellent Surtensions qui ne l’avait pas épargné. Depuis, il s’est laissé glisser vers l’oubli loin de la SDPJ du 93, et a troqué le béton de la banlieue contre la grandeur des éléments, dans une sorte de pénitence le voyant reclus à l’autre bout du monde. Coste s’est enfui à Saint-Pierre-et-Miquelon, logeant dans une maison au bord de l’abîme, l’image collant à merveille avec la culpabilité qui le ronge. Mais s’il s’est exilé loin des siens, il n’en a pas fini pour autant avec son boulot. Parce que la maison au bord du gouffre est ultra-sécurisée, et qu’il va y accueillir quelqu’un qu’il ne connaît pas, mais qui va avoir un sacré impact sur son existence cloîtrée…

Après Entre deux Mondes, Surface et Impact, quel plaisir d’enfin retrouver Victor Coste! Olivier Norek avait bouclé une excellente trilogie avec Code 93, Territoires et Surtensions, et il ajoute cette année un chapitre supplémentaire au destin du flic taciturne. Le changement de décor est surprenant, mais Coste ne parvenant pas à se fuir lui-même, on le retrouve aux prises avec ses démons qui ne le lâchent pas… On entre à nouveau dans sa vie, faite de solitude et de parenthèses particulières, et on découvre un quotidien bien éloigné de ce qu’il vivait auparavant. On va peu à peu remonter le fil des événements, parce que 6 ans ça fait loin et qu’on ne se rappelle pas forcément tout. On va également en apprendre davantage sur son existence sur cette île, et sur le combat qu’il mène. Olivier Norek n’a pas son pareil pour brosser le portrait de son flic fétiche, et on ressent une certaine émotion à se retrouver à nouveau face à lui.

Si Coste a tout fait pour laisser son passé et ses propres émotions derrière lui, on va lui imposer la présence d’une personne qui va avoir de profondes répercussions sur ses sentiments et sur sa capacité de gestion, et l’être froid qu’il est devenu va peu à peu voir sa carapace se fendre. Mais en même temps que cette carapace, c’est également sa capacité d’absorption des émotions qui risque d’arriver à saturation… Norek distille avec talent les éléments qui vont infléchir la vie de Coste, et qui vont remettre en question sa façon de vivre en autarcie. Derrière le bloc monolithique se cache encore l’homme qu’il était autrefois, et c’est dans ses failles qu’il va se révéler…

Je ne peux évidemment pas vous raconter de quoi il retourne, car l’effet serait forcément amoindri par ces révélations, mais Dans les Brumes de Capelans est une fois encore une très belle réussite pour l’auteur, qui nous guide vers une histoire que l’on pourrait croire très simple et universelle, et qui va pourtant gagner en complexité avec une aisance déconcertante. On se dit qu’on est en terrain balisé, et Norek va triturer le récit de telle manière qu’il va pouvoir nous surprendre avec la solidité et la fluidité de ce qu’il nous met entre les mains, et on saute d’un chapitre à l’autre sans se rendre compte que l’on tourne les pages! La construction des personnages, l’alchimie avec les lieux, la facilité déconcertante avec laquelle il nous perd… On est pris dans la tourmente de cette histoire difficile, et on tombe avec Coste au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête, qui va pousser son personnage principal dans ses derniers retranchements. Norek ne compte pas épargner son flic cette fois encore, et le délice de l’enquête n’a d’égal que la richesse des personnages.

Plusieurs éléments me donnent à penser que Norek a regardé la série Banshee! ^^ C’est assez diffus, mais ça donne l’impression en tout cas 😉 C’est vraiment dommage que je ne puisse pas vous donner davantage d’informations sur ce qui se passe dans cet excellent roman, parce qu’il y a vraiment beaucoup de très belles choses! Mais vous savez ce qu’on dit, on ne va pas divulgâcher ^^

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Les news de la semaine : Barbie Kubrick

Si m’avait dit un jour que je serai hypé par un film sur la Barbie de Mattel… Mais après les photos bien délirantes de Margot Robbie et Ryan Gosling, voici que Greta Gerwig nous livre une bande-annonce que l’on n’attendait certainement pas aussi méta et d’une certaine manière prétentieuse ou irrévérencieuse ^^ Le coup est réussi avec cet hommage à ce bon vieux Stanley, et ce Barbie fait partie de mes grosses attentes pour 2023 ^^

 

Après leurs multiples ratages, on est pourtant à chaque fois étonné par les projets que développe Sony en ce qui concerne l’univers des bad guys de Spider-Man… On attend de pied mou leur El Muerto centré sur un catcheur mexicain à super-pouvoirs, campé par le rappeur Bad Bunny, et voilà qu’ils nous balancent l’info d’une autre adaptation d’un super-vilain de 43ème zone… Le studio planche en effet sur l’Untitled Hypno-Hustler Project, qui comme son nom l’indique, mettra sous le feu des projecteurs le Hypno-Hustler, de son nom civil Antoine Delsoin, qui a la particularité de pouvoir hypnotiser les gens avec sa guitare hypnotique donc. Avec un total de 15 apparitions en comics sur la totalité de son existence (il est apparu pour la première fois dans les pages de Peter Parker : the Spectacular Spider-Man 24 en 1978), le Hypno-Hustler n’est certainement pas le plus emblématique des ennemis de Peter

 

Mais l’aspect très ancré dans les 70’s lui donnait une certaine aura colorée en comics, et ce qui empêche aujourd’hui de se marrer quant à ce projet, c’est que cette annonce est doublée avec l’engagement de Donald Glover dans le rôle principal! L’excellent Childish Gambino incarnera donc Delsoin et tâtera de la gratte hypno-électrique, dans un film qui pourrait bien être totalement what the fuck…

 

Une pensée pour Angelo Badalamenti, immense compositeur qui nous a quitté à l’âge de 85 ans. On le connaît surtout pour sa collaboration avec David Lynch et pour l’immense thème de Twin Peaks… Ses notes planantes de synthé auront envoûté de nombreux ciné(et série)philes, et le monsieur aura marqué le 7ème de sa plus belle empreinte.

 

 

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Guerilla 3 – Le dernier Combat

La trilogie explosive de Laurent Obertone s’achève ici, avec un 3ème volume qui part encore explorer des profondeurs supplémentaires et qui achève de donner une vision très réaliste de ce que donnerait un mode post-apocalyptique made in France! Cet article contiendra quelques spoils donc si vous n’avez pas lu les précédents, je vous invite à ne pas lire la suite! ^^

Guerilla 1 – Le Jour où tout s’embrasa racontait les 3 journées d’émeutes ayant fait suite à la tragique descente dans la cité de la Courneuve; Guerilla 2 – Le Temps des Barbares narrait les 24 journées suivantes, qui voyait une France éteinte, avec des systèmes de communication out, plus de médias, plus d’électricité, donc plus de chauffage, et un retour à la bestialité humaine… Quand le vernis social éclate, la bête sommeillant en chacun ne tarde pas à surgir… Laurent Obertone rédige un 3ème tome poussant l’analyse sociologique à un haut degré, en nous racontant le présent d’une multitude de personnages pris dans cette tourmente et gérant la situation avec plus ou moins de succès. Victor Escard est parvenu à se hisser à la tête du pays et l’auteur va nous montrer comment procéder à la reconstruction de la république, mise en branle par un personnage d’un cynisme et d’une cruauté n’ayant rien à envier aux barbares précédents. Dans cet ultime volume, il va explorer les rouages abjects de la politique, engoncée dans l’idéologie et la bien-pensance, qui n’est qu’un moyen d’asseoir son pouvoir de manière légitime. La figure d’Escard est typique de bon nombre de politicards, mais au moins on sait ce qu’il pense en agissant de la sorte.

On retrouve une autre bête, Vincent Gite, homme perdu qui s’est retrouvé dans ce combat contre les arcanes du pouvoir. Gite n’a plus rien à perdre et sait que son heure est bientôt venue, mais il va lutter avec autant plus d’acharnement pour mettre un terme aux agissements d’un gouvernement corrompu et qui n’en a que faire de sa population. Après avoir patienté durant l’hiver pour que ses ouailles reviennent dans son giron en pleurnichant, Escard s’auto-proclame maître de la France grâce au soutien des médias, et met en branle un plan de reprise dans lequel il va apparaître comme le sauveur de la civilisation. Alors que le gouvernement précédent et les autres avant lui avaient précipité la nation dans le gouffre, il compte lui aussi profiter de son accession pour se servir du peuple et tirer la démocratie vers le bas, en usant de la peur habituelle…

Guerilla 3 – Le dernier Combat s’avère passionnant de par la façon dont il dévoile les rouages politiques et le jeu des alliances, tout en démontrant le fonctionnement mesquin et vicieux des médias. Pas une nouveauté en soi, mais c’est intéressant de suivre cette approche à travers ces différents prismes, et ce volume traite de manière imparable de la soif de pouvoir à tous les niveaux. On a notamment les Vigilants, ces escouades admiratives du nouveau président, qui vont faire office de brigades sociales très répressives, manipulant la population en jouant sur les notions de bien-vivre ensemble pour faire culpabiliser les récalcitrants. Laurent Obertone démonte point par point cette gauche clamant détenir la Vérité et ne supportant pas que l’on puisse simplement demander le débat.

On va retrouver le colonel et la petite fille qu’il a sauvé, qui vont encore traverser pas mal de péripéties, dont une rencontre avec Gite qui va encore faire évoluer le cours de leurs histoires respectives. Il y a une force de caractère se dégageant de ce dernier personnage, qui fait que l’on suit son parcours même en étant pas totalement d’accord avec ses actions. Vincent Gite navigue clairement dans des zones très grises, et il agit lui aussi à la manière des terroristes ayant ravagé la France dans les tomes précédents. Obertone questionne les notions d’intérêt supérieur au nom desquels agissent les personnages, et il est intéressant d’effectuer ce parallèle avec les tueurs islamistes.

Obertone signe une trilogie massive et addictive, offrant un regard très sombre et très vif sur ce que donnerait une guerre civile en France, et le résultat fait froid dans le dos avec cette dose de réalisme corroborée par une actualité faisant pencher la balance dans le sens de l’auteur… Les fameux « délestages » et non coupures électriques craints cet hiver donnent une saveur particulière à la lecture de ces romans ^^ Quand le propos est appuyé par une plume aussi efficace, avec de manière constante une sorte d’amertume et de poésie sombre, cela donne une tonalité très forte et imprime durablement les esprits!

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Guerilla 2 – Le Temps des Barbares

On ne pourra pas reprocher à Laurent Obertone d’avoir manqué d’ambition avec sa saga, puisque Guerilla explore en 3 volumes le déclin soudain de la France suite à un « fait divers » lors d’une descente policière en pleine cité de la Courneuve. L’auteur aurait pu se contenter d’un premier volume déjà bien puissant, mais il va poursuivre son récit et son exploration d’une nation mise à mal et qui va se retrouver plongée dans une ère éminemment régressive… Guerilla 1 – Le Jour où tout s’embrasa narre les 3 jours consécutifs à l’émeute ayant suivi le drame, et avec ce tome 2, l’auteur va développer cette histoire en étendant encore davantage ses répercussions. Après la chute de Paris et de quelques endroits en France, il va narrer la chute du pays dans son ensemble, avec des références assumées comme La Route de Cormac McCarthy, Le Fléau de Stephen King et même un soupçon de The Last of Us et de The Walking Dead! Avec quelques emprunts à la culture populaire, il va approfondir sa vision très personnelle de l’échec du « très-bien-vivre-ensemble », et comment les dérives islamistes ont ravagé Paris dans le premier tome.

On retrouve des personnages déjà découverts dans l’opus précédent, et on va faire connaissance avec de nouveaux protagonistes, pour une fois encore offrir au lecteur une vision globale de ce qui pourrait se passer si des attentats de cette ampleur étaient perpétrés. A l’heure où Olivier Véran cherche à nous rassurer sur les coupures de courant qu’il n’y aura pas (on se rappelle du masque qui ne sera jamais obligatoire ^^), ce second volet fait office de prémonition très pessimiste pour l’hiver à venir! En maîtrisant parfaitement les codes du roman de genre, Obertone asseoit ses idées sur notre pays à la dérive, gangrené par une violence qui ne cesse de grimper. Il va interroger avec beaucoup d’acuité ce que serait un monde coupé des réseaux sociaux, électriques et médiatiques, pour nous plonger dans un American Nightmare qui va durer un peu plus qu’une seule nuit!

La séquence d’ouverture de ce tome 2 est véritablement choquante, et m’a ramené à certains passages de Des Voix sous la Cendre… Obertone décrit avec une très grande précision la sauvagerie humaine, et cette scène s’avère vraiment insoutenable. Face à cette bestialité, il oppose une société faite de civils qui vont à l’abattoir sans rechigner, et si on pense que c’est exagéré, il suffit de lire les témoignages de camps de concentration durant la seconde guerre mondiale pour se rendre compte à quel point c’est véridique… En déshumanisant et en ôtant tout espoir à l’être humain, on peut lui faire accepter l’inacceptable…

On va retrouver ce vieux colonel parti sur la route avec cette petite fille qu’il a sauvé, on va recroiser Vincent Gite dans sa quête vengeresse, et on va également revoir certains activistes de gauche qui vont en prendre pour leur grade ^^ Alors que l’on évoquait récemment l’Ocean Viking, Obertone nous livrait sa propre vision de ces bateaux de migrants accostant le pays, et on ne peut pas dire qu’il fasse dans le politiquement correct ^^ Il n’est d’ailleurs pas très tendre non plus avec les militants de gauche, et se fait plaisir en rédigeant quelques passages bien gratinés, comme lors d’une réunion : « L’heure était grave à la Maison des opprimé.e.s, qui en raison des événements tenaient une réunion inter-non-straight-cis-binaire avancée, à la lueur des bougies équitables de Rodrigue, leur épicier queer préféré. Sur la porte du local, une première ligne : « Réservé aux personnes LGBTQIA2+ », puis on avait ajouté : « Et personnes racisé.e.s minoré.e.s », puis : « Et non-vaildes et atypiques », puis : « Et femmes », et on avait finalement rayé le tout au marqueur pour écrire : « Entrée interdite aux mâles blancs valides psychotypiques hétéro-binaires non-fluides », mais de sulfureux militants anti-assignation prétendaient que nul ne devait se réduire à des cases, et que désigner et catégoriser c’était déjà stigmatiser. »

 

Si Laurent Obertone gère très bien son mode humour, ce livre s’avère pourtant très sombre, tout en étant traversé par la même forme de poésie lugubre que le premier roman. Sa façon de décrire la nature ainsi que les rapports de l’homme à ce qui l’entoure est très belle, teintant de tragique ce qui est déjà bien noir… « Le jour s’était levé, mais pas le soleil. La soudure de la mer et du ciel, incertaine, vacillait sur l’horizon. Le large se balançait, l’abscisse de la mer oscillait autour du navire, et les migrants vomissaient. Sur la face gelée des flots, la neige s’était mise à tomber. Elle fondait sur le vernis de la mer et l’étrave fendait ces eaux grasses comme un fer de patineur marquant la glace. Fragile miroir que cette mer, posé sur les grandes profondeurs, où l’on ne voyait que son reflet. »

L’auteur va s’immiscer dans plusieurs genres à travers les évocations de la survie de tous ces personnages, et il va notamment offrir quelques séquences de guerre prenantes, avec par exemple ces échappés de l’armée s’en prenant au Califat nouvellement installé. La beauté de l’écriture d’Obertone se retrouve même lors de ces séquences mortelles, et il nous fait vivre ces affrontements au plus près du réel qu’il sublime à sa manière si particulière. Ce tome 2 part davantage dans le post-apocalyptique, et il prend le temps d’explorer ce monde qui a bien changé, et même si l’impact est un peu amoindri par une certaine distance plus grande avec ce qui a été traité dans le volume 1, on suit avec plaisir et effroi les destins de tous ces personnages, qui ne s’arrêteront donc pas pour tous ici, et que l’auteur achèvera avec l’ultime tome de Guerilla!

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Athena (Romain Gavras, 2022)

Entre 2 tomes de Guerilla, j’ai voulu retenter ce long métrage signé Romain Gavras, dont le début ne m’avait pas forcément parlé. J’étais resté sur la performance technique de ce plan-séquence, qui me paraissait aller à l’encontre de l’aspect brut du moment. La perfection de la mécanique annihilant la puissance émotive. Bon, j’ai donc repris avec davantage de recul, et avec cette connaissance du procédé narratif de Gavras, j’ai pu entrer bien plus aisément dans ce récit sans concession, qui propose une vision à la fois sublimée et très réaliste d’un tel événement. Il y a des liens évidents entre les bouquins de Laurent Obertone et ce film, à commencer par un « fait divers » qui va mettre le feu aux poudres dans la cité. L’événement en soi n’est pas identique, mais l’embrasement va être tout aussi rapide et mortel.

Romain Gavras va limiter géographiquement son récit à la cité Athéna, qui va se transformer en place forte gérée par les jeunes qui y vivent, menés par Karim, qui veut venger la mort de son petit frère tué par des policiers. Le principe du lieu unique, avec cette cité encerclée par les forces de l’ordre, va être traité d’une manière bien particulière par Romain Gavras, qui nous offre des accents très carpenteriens dans sa mise en scène. Son aisance et sa force renvoient à Assaut de Big John, et il met les moyens pour donner toute sa densité à ce film qui aurait bien mérité de trouver son chemin vers les salles obscures. Il y a une réelle attention portée à la cinématographie, et on se retrouve plongé dans un western urbain étouffant doublé d’un drame familial qui va de plus en plus prendre aux tripes.

Il faut dire qu’avec des acteurs de cette trempe, il y a de quoi donner de l’intensité, et l’intelligence de ce film est de ne se dévoiler que petit à petit. Ce qui me paraissait très schématique lors de ma première tentative va en fait évoluer subtilement, et les personnages vont se découvrir au fil de l’avancée du métrage. Sami Slimane, qui joue le meneur Karim, impressionne par l’intensité de son jeu, et Dali Benssallah, qui incarne son grand frère, n’est clairement pas en reste. Le travail sur les points de rupture est impressionnant, et on sent tout le bouillonnement des émotions intérieures qui travaillent de plus en plus, et qui permettent au film de gagner en densité. Une séquence notamment avec Dali Bensallah prouve toute la puissance de son jeu, et on est happé par les destins croisés de ces frangins, dont l’un veut hurler sa vengeance, et l’autre apaiser les troubles. Le schéma shakespearien s’inscrit avec subtilité dans ce récit très moderne, et d’autres éléments rajoutent quelques strates émotionnelles ou narratives supplémentaires.

Ces allers et retours entre point de vue intérieurs et extérieurs de la cité donnent une dimension globale à Athena, lui conférant une force d’attraction évidente. Anthony Bajon, qui incarne le CRS Jérôme (et qui était déjà bon dans Tu mérites un Amour), va faire glisser le métrage vers le film de guerre, en montrant comment un individu peut se retrouver envoyé au front avec la peur au ventre. Il joue avec beaucoup de conviction ce jeune homme obligé de se lancer avec ses frères d’armes à l’assaut du territoire ennemi afin de mettre un terme à cette émeute. Certaines séquences font presque penser au Seigneur des Anneaux ou à 300, avec l’esprit très graphique dans lequel elles s’inscrivent. Romain Gavras gère ses acteurs avec beaucoup de tact, et ils le lui rendent bien en donnant le maximum pour démontrer la gravité des situations, et l’intensité de séquences qui en plus sont filmées avec une maestria impressionnante. Gavras se fait plaisir avec des plan-séquence ultra-maîtrisés, dont le premier reste évidemment le morceau de bravoure.

Au niveau du scénario, ce n’est pas étonnant qu’aux côtés de Romain Gavras, il y ait Ladj Ly, lui qui nous avait donné un très bon Les Misérables en 2019, qui dépeignait déjà les tensions en cité. Ils sont accompagnés à l’écriture par Elias Belkeddar, et la boucle est bouclée pour Alexis Manenti, qu’on retrouve avec plaisir ici, lui qui incarnait le flic de la BAC bien cramé pour Ladj Ly dans Les Misérables. Athena impressionne par sa forme très libre et apocalyptique, avec ses séquences visuellement très belles (l’utilisation des feux d’artifice confère un côté irréel tout en étant très pratique en tant qu’armes), et se double d’un récit fort questionnant les points de vue différents mis en opposition lors de cet événement. On sent toute l’oppression des émeutes en cours, et on est en plein film de genre, qui va même par moment flirter avec l’horrifique en utilisant avec efficacité la topographie des lieux. Le travail sur la lumière, signé Matias Boucard, donne une texture particulière au récit et augmente l’aspect tragique de certains passages. Romain Gavras frappe un grand coup cinématographique, et Athena se pose comme un film de banlieue ambitieux et très abouti, qui se situe à la croisée des genres pour mieux asseoir son propos, et révélant 2 très bons acteurs avec Sami Slimane et Dali Benssallah!

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