Daredevil saison 1 (2015)

Quand une adaptation n’est pas satisfaisante, on a du mal à se dire qu’une nouvelle tentative est capable de faire oublier le passé. On se souvient du Daredevil de Mark Steven Johnson en 2003 avec Ben Affleck, qui n’est pas des plus mémorables… Le combat de Josh Trank pour redonner vie aux Fantastic Four souffre des mêmes comparaisons, au vu de la saga de Tim Story trop gentillette et superficielle. Quand Drew Goddard et Steven S. DeKnight se sont succédé à la création de ce nouveau show qui représentait la première collaboration entre Marvel Studios et Netflix, ils ont monté leur projet avec tout le passif comics et ciné de ce diable de Matt Murdock! Il fallait à la fois entièrement dépoussiérer le mythe, et le rapprocher davantage de ce qu’il était dans son matériau de base.

Revenons en novembre 2013, à l’époque où un contrat est signé entre Marvel et Netflix, qui s’entendent sur non pas une seule adaptation, mais bien la création d’un pan télévisuel de ce qu’on nomme le Marvel Cinematic Universe. C’est ainsi que Daredevil sera la première pierre d’un édifice très ambitieux, qui sera poursuivi avec A.K.A. Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist, avant d’unir les personnages dans la mini-série The Defenders. Un modèle centré sur celui qui voyait les films Iron Man, L’incroyable Hulk, Iron Man 2, Thor et Captain America: first Avenger conduire à la réunion au sommet que représentait Avengers en 2012! Il s’agissait alors de la Phase I, qui a été suivie d’une Phase II avec Iron Man 3, Thor: le Monde des Ténèbres, Captain America: le Soldat de l’Hiver et Les Gardiens de la Galaxie, avant de terminer en apothéose avec Avengers: l’Ere d’Ultron le 22 avril (et aussi Ant-Man qui sortira juste après, et qui fait office de mal-aimé depuis la défection d’Edgar Wright…). La Phase III s’annonce elle aussi dantesque, et pour plus de précisions sur l’avenir des super-héros Marvel, je vous invite à consulter cet article reprenant les adaptations de 1944 à 2019!

La machine Marvel tourne donc à plein régime depuis 2008 et son tout premier Iron Man. Avec A.K.A. Jessica Jones en plein tournage, nul doute que l’avenir est serein pour la firme… Mais au-delà de cet immense ensemble composite, qu’en est-il de l’identité propre de la série Daredevil? Se suffit-elle à elle-même, représente-t-elle une nouveauté dans le monde télévisuel? Est-ce que c’est une bonne série, tout simplement? Eh bien on va mettre fin au suspense tout de suite, Daredevil est l’adaptation que l’on n’osait plus espérer, tant dans sa beauté formelle que dans la grâce de son écriture! On se retrouve devant une série loin de toute édulcoration, capable d’assumer son statut d’entertainment tout en creusant au plus profond de ses personnages sans crainte de bousculer la sensibilité des spectateurs. Daredevil est un show exceptionnel, dans lequel on plonge d’abord avec un plaisir tranquille, et qui va rapidement évoluer vers une saine addiction au fur et à mesure de l’avancée du récit!

Les 3 premiers épisodes mettent en place une ambiance très caractéristique du comics, avec la découverte de Matt Murdock, entre son boulot d’avocat, ses flashbacks sur son passé avec son père, Battlin’ Jack Murdock, et son désir de justice qui lui fait enfiler un costume sombre pour aller combattre le crime la nuit tombée. La facture est correcte, le récit se développe bien, on se retrouve en terrain connu, pour ceux qui ont déjà lu les aventures du héros en comics. Et c’est à partir du 4ème épisode que tout ce qui a été mis en place va prendre encore plus de consistance, et que le show va gagner son statut d’oeuvre viscérale et inespérée! Dès lors, la tension ne se relâchera pas, et la multitude de personnages qui va s’entrecroiser dans ce quartier mal famé d’Hell’s Kitchen va donner vie à une histoire tout simplement passionnante et d’une densité impressionnante!

Drew Goddard et Steven S. DeKnight n’ont rien à envier aux producteurs et metteurs en scène se chargeant des adaptations ciné, ils sont parvenu à mettre tout le monde d’accord avec ce Daredevil tout simplement sublime, démontrant encore une fois la vitalité d’un média qui n’a plus rien d’un parent pauvre! Charlie Cox, un inconnu total que j’ai dû apercevoir dans Stardust, le Mystère de l’Etoile, s’avère être un Matt Murdock plus que convainquant, à la fois résolu à éradiquer le crime dans sa ville, et constamment en proie au doute quand à la légitimité de ses actions. La notion de croyance et de religion est traitée avec beaucoup de conviction et de tact, et on retrouve un Matt tiraillé entre le Bien et le Mal, pour qui l’Eglise revêt un sens très fort.


Mais comme le disait Hitchcock: « Meilleur est le méchant, meilleur est le film ». Son adage est clairement transposé dans le monde télévisuel par Goddard et DeKnight, qui créent un bad guy tout simplement exceptionnel avec le personnage de Wilson Fisk! Son implacabilité, sa sauvagerie, et sa foi en ce qu’il fait en font un ennemi redoutable pour l’homme masqué qui erre dans les rues de New York; et comme si cela ne suffisait pas, les auteurs vont le complexifier en nous présentant, au-delà de sa face démoniaque, celle très touchante d’un homme envoûté par la grâce d’une femme. Vincent d’Onofrio est magistral dans le rôle, et livre une prestation figurant probablement parmi ses plus intenses, lui qui était déjà un Soldat Baleine impressionnant pour Kubrick!

Mais il ne s’agit pas là que de son aspect physique, Wilson Fisk étant un homme de forte corpulence capable de se battre à mains nues avec la rage d’un animal féroce; il s’agit de la dualité de cet homme capable également d’une grande tendresse envers celle qu’il aime, et qui oscille constamment entre ces deux aspects de sa nature profonde, qui se complètent paradoxalement dans une vie qui a été marquée dès le plus jeune âge par la violence. Tout comme pour Murdock, on va découvrir des flashbacks du passé de Fisk, qui vont permettre d’apporter un éclairage nouveau sur le personnage. Personnage qui prend d’ailleurs son temps pour apparaître, laissant d’abord planer la peur qu’il inspire… Le travail des scénaristes est excellent, et ils jouent avec l’aura de Fisk comme des autres protagonistes, les embarquant dans une valse démoniaque à Hell’s Kitchen, les faisant tournoyer au gré des épisodes, apparaître puis disparaître dans un combat opposant deux figures antagonistes capables toutes deux d’aller très loin dans le bien comme dans le mal.

C’est dans cette vision à la fois réaliste et très incisive que s’inscrit Daredevil, qui pose une ambiance très sombre et un contexte très violent. La série va bien plus loin que sa grande soeur Marvel: les Agents du S.H.I.E.L.D. et que les films Marvel, en proposant une descente implacable dans les bas-fonds new-yorkais où règnent la corruption, la drogue, le trafic de femmes et d’enfants… Daredevil explore un pan jusque-là resté fermé pour le studio, et y gagne une légitimité certaine et une solidité incontestable, en développant une série au ton beaucoup plus adulte. C’est un peu comme comme si les auteurs avaient adapté la ligne Max existant en comics, qui propose des récits plus sanglants et perturbants que les comics habituels… D’ici à ce qu’on voit le Punisher débarquer en série, il n’y a qu’un pas, que Steven S. DeKnight à d’ailleurs déclaré être prêt à franchir!

Si Daredevil raconte l’affrontement entre Matt Murdock et Wilson Fisk, le show est habité par de très nombreux protagonistes bénéficiant du même traitement très inspiré. C’est ainsi que l’on découvre en chair et en os Foggy Nelson, l’ami et associé de Matt, interprété par un Elden Henson qui rend hommage à ce personnage drôle et attachant. Deborah Ann Woll (True Blood) campe une Karen Page aussi touchante que fragile. Toby Leonard Moore joue Wesley, le bras droit de Fisk, avec un dévouement et une froide détermination qui en font un personnage fort. Le personnage du journaliste Ben Urich a lui aussi droit à son adaptation, sous les traits de l’excellent Vondie Curtis-Hall. Leland Owlsley est incarné par Bob Gunton, qui était déjà excellent dans 24 Heures Chrono sous les traits d’Ethan Kanin. Il apporte à Owlsley un côté acerbe et un humour noir bien cinglant! L’actrice israélienne Ayelet Zurer donne vie à une Vanessa qui n’a pas froid aux yeux et qui parvient à émouvoir Wilson Fisk. Rosario Dawson participe au show dans le rôle de Claire, l’infirmière qui va soigner Matt à plusieurs reprises après ses missions nocturnes. On découvre encore Stick, le mentor de Matt quand il était jeune, qui est juste génial sous les traits de Scott Glenn!

Goddard et DeKnight ont composé avec la mythologie de Daredevil en puisant dans les récits de Frank Miller, le scénariste qui a certainement apporté la touche la plus sombre et désespérée au comics. Son run sur le personnage figure parmi les oeuvres les plus emblématiques chez Marvel, et ce n’est pas un hasard si on suit un Matt Murdock en costume noir… C’est Miller lui-même qui en est l’inventeur, dans le comics L’Homme sans Peur qui revenait sur les débuts du héros costumé! Les scénaristes respectent le travail de Miller, et on va suivre Murdock dans son combat nocturne avec un costume noir pas très élaboré, mais suffisant pour que le héros inspire la peur aux bad guys et gagne le surnom de Devil de Hell’s Kitchen!

Ah oui, j’allais oublier, Matt Murdock est aveugle, mais ses autres sens sont décuplés! Les metteurs en scène retranscrivent de manière très efficace les perceptions particulières de Matt, et le travail sur l’image et le son apportent une certaine authenticité dans le réalisme de ses super-sens. L’avocat aveugle le jour se transforme en justicier impitoyable la nuit, et on est pris dans une spirale de violence véritablement attractive, que ne renierait pas un certain Lucas Hood! Les combats sont âpres et bénéficient d’une mise en scène intéressante, voire ludique comme le fameux plan-séquence du 3ème épisode!

Mais au-delà de la violence, c’est aussi à des relations humaines captivantes que l’on est convié. L’amitié entre Foggy et Matt, leur aide envers Karen, le lien entre Karen et Urich, la romance entre Wilson et Vanessa, l’amitié entre Wilson et Wesley… Chaque protagoniste entretien des liens qui s’avèrent très forts, et la plus grande réussite de ce show est de parvenir à conserver un équilibre constant entre le suspense, l’action, la violence et l’émotion qui se dégagent de ce récit. Il y a une réelle évolution de chacun durant ces 13 épisodes, et le talent d’écriture des scénaristes n’a d’égal que celui des acteurs et des réalisateurs qui ont participé à l’élaboration de cette série. On craignait que Daredevil soit une énième série de super-héros, elle est simplement ce qui se fait de mieux dans ce domaine!!!

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