Trois Jours et une Vie (Nicolas Boukhrief, 2019)

Nicolas Boukhrief fait partie de ces réalisateurs n’ayant pas la reconnaissance publique qu’ils méritent, et il reste dans l’ombre de confrères moins talentueux mais qui font davantage dans la facilité. Le cinéma de Boukhrief est un art qui laisse des marques, qui se veut complexe et captivant, et qui résonne durablement. Il avait marqué un grand coup en 2004 avec Le Convoyeur, et encore en 2015 avec son fameux Made in France qui n’a pas eu la possibilité de sortir en salles. Nicolas Boukhrief fait dans le cinéma qui perturbe, le choc intimiste qui ravage. Et son Trois Jours et une Vie est de cette même veine…

J’avais tenté La Confession, mais je n’avais pas accroché, et Trois Jours et une Vie est l’occasion de renouer avec le metteur en scène. Nous sommes en 1999, dans un village des Ardennes belges. En ce matin de Noël, tous les habitants sont réunis sur la place de la mairie à la demande de la gendarmerie : une battue est organisée afin de retrouver un garçon disparu depuis 2 jours. Le village est en émoi, et on va revenir en arrière pour découvrir l’origine de ce tragique événement. Pierre Lemaitre adapte lui-même son roman homonyme, aidé par Perrine Margaine.

Nicolas Boukhrief n’a pas son pareil pour nous immerger dans des atmosphères pesantes, et son talent est toujours intact! Il nous emmène dans ce village paumé et ravagé par un drame, nous faisant côtoyer les différents habitants qui tentent de faire face à cet événement. Il y a une réelle intensité dans le jeu des acteurs, et avoir des pointures comme Sandrine Bonnaire, Charles Berling ou Philippe Torreton, ça aide évidemment à donner corps à ces personnages complexes et pris dans la tourmente. Outre ces grands acteurs, le jeune Jeremy Senez livre lui aussi une interprétation impressionnante, alors qu’il s’agit de son tout premier rôle! Pablo Pauly, qui était déjà excellent dans le magnifique Patients, est dans un autre registre tout aussi viscéral! Boukhrief peut aisément s’appuyer sur son casting pour créer un microcosme psychologiquement riche et très crédible, nous plongeant de manière frontale dans les affres qui agitent cette population. L’atmosphère est véritablement pesante, et la tension qui règne va perdurer…

Trois Jours et une Vie impressionne par son implacabilité, sa résonance profonde et son désespoir austère. Je ne me rappelle pas avoir vu un film « de terroir » aussi captivant et perturbant, et j’en suis difficilement ressorti, le film me poursuivant encore dans la soirée. Je ne vais évidemment pas vous raconter ce qui s’y passe, mais c’est un film difficile et dont l’atmosphère âpre ne parlera pas forcément à tous. Mais cet aspect réaliste est quasiment hypnotique, et fait partie de cette mise en scène implacable servie par Boukhrief. Il va analyser froidement les événements et ses conséquences, comme il les décortique dans chacune de ses oeuvres. Cette « froideur réaliste » est en quelque sorte sa marque de fabrique, mais n’a rien d’artificiel et pose bien au contraire les bases d’un cinéma-vérité marquant à souhait. Boukhrief pose aussi un contexte social intéressant, avec les problèmes sous-jacents d’emplois liés au lieu, et la justesse des problématiques est quasi-documentaire.

Sa manière de filmer la nature, avec ces bois sauvages alentours, la brume environnante, place immédiatement les personnages dans leur environnement, et achève le mélange psycho-naturaliste de l’ensemble. Trois Jours et une Vie est une oeuvre viscérale, de celle qu’on ne peut pas revoir rapidement, mais qui s’inscrit dans le cerveau de manière durable.

Publié dans 2010's, Cinéma | Laisser un commentaire

Les news de la semaine : La Blonde contre-attaque

Le cas Atomic Blonde 2 n’a rien à voir avec la situation sanitaire actuelle, puisque la séquelle de l’excellent Atomic Blonde était déjà envisagée sur une plateforme de streaming depuis l’an dernier. Charlize Theron débarquera donc directement dans votre salon pour redistribuer des mandales, et on apprend cette semaine que c’est Netflix qui a acquis les droits de la franchise. On ne sait pas si David Leitch assurera toujours la mise en scène, mais on espère que ce Jason Bourne féminin assure mieux sa pérennité que son homologue masculin!

Publié dans Les news de la semaine | Laisser un commentaire

Am Stram Gram (M.J. Arlidge, 2014)

M.J. Arlidge (M. pour Matthew) est un romancier, scénariste et producteur anglais, qui a oeuvré sur plusieurs séries télé britanniques, dont la plus connue est Affaires non classées. Il entame en 2014 le cycle littéraire consacré à l’inspectrice Helen Grace et son équipe de Southampton, et l’auteur s’avère très prolifique, puisqu’il rédige en moyenne 2 livres par an! Am Stram Gram est le 1er bouquin centré sur Helen, et il sera suivi par 7 autres romans et 2 novellas (livres dont la longueur se situe entre la nouvelle et le roman).

Les héroïnes féminines ont la côte en ce moment, et ce n’est pas l’enquêtrice norvégienne Sarah Geringën qui dira le contraire! Helen Grace est nettement plus bourrine que son homologue venue du froid, et si elle se pare elle aussi d’une mystérieuse culpabilité, elle la traite de manière plus violente avec des méthodes SM lui laissant des marques bien durables. Helen est une femme qui doit se maintenir à flot sans jamais laisser transparaître le moindre signe de faiblesse, et elle excelle dans cet art de mener ses troupes à la manière d’un roc inébranlable.

Quand on lit les 4ème de couverture de tous ces bouquins policiers, on se rend compte que le point de départ est toujours similaire : un cadavre retrouvé témoignant d’une mort atroce et mystérieuse, un ou une flic tourmenté résolu à mener l’enquête quoi qu’il en coûte, des zones d’ombre et une culpabilité latente dans la vie de ce flic. A chaque fois, on entame un récit qui semble déjà vu (ou plutôt lu ^^), et pourtant on y replonge avec plaisir. Car à chaque fois, chaque auteur va travailler ses personnages à sa façon, nous amenant à nous attacher à chaque personnalité, et surtout à chaque faille qui nous renvoie finalement aux nôtres. C’est toujours ainsi que l’on procède schématiquement, que ce soit dans les livres, les films ou les séries : on va s’intéresser aux brisures des personnages, et on ne va pas pouvoir s’empêcher de s’approprier les persos, car ils nous parlent de manière intime.

Ce premier roman de cette série est également le tout premier roman de M.J. Arlidge, et il parvient à nous intéresser à une enquête bien spéciale. Car si on a évidemment les cadavres qui s’enchaînent, on a la particularité d’avoir des survivants qui viennent témoigner de leur calvaire! En effet, le meurtrier procède d’une manière bien vicieuse, en capturant 2 personnes en même temps, en les isolant dans un lieu dont ils ne peuvent pas s’échapper, et en leur proposant un jeu bien morbide : tuer ou être tué. Et bien évidemment, le survivant sort totalement détruit de cette épreuve, même s’il reste physiquement en vie…

Am Stram Gram va dérouler un récit bien glauque en dévoilant des scènes de survie sacrément trash, ce qui va permettre de souligner toute l’urgence de cette enquête. Les flics jouent constamment contre la montre tandis que le meurtrier perpétue ses crimes en manipulant ses victimes de la plus horrible des manières. Ce n’est jamais le meurtrier lui-même qui appuie sur la gâchette, mais il force les victimes à effectuer des choix impossibles. L’impact psychologique est énorme, et Arlidge nous confronte frontalement aux ravages de cette méthode fondamentalement destructrice. L’inspectrice Helen Grace va devoir puiser dans toutes ses réserves afin de parvenir à comprendre la logique du tueur, et elle aura besoin de l’aide de l’ensemble de son équipe, dont les personnages sont là aussi traités avec soin.

Ce roman est bien retors et Arlidge a le don de nous mener dans la bataille sans nous laisser le temps de souffler, avec des chapitres très courts et une analyse intelligente de son enquête, doublée d’une progression bien riche. Le seul reproche qu’on pourra lui faire, c’est sur la divulgation tardive de l’identité du tueur. Ce n’est pas le timing en lui-même qui pose problème, car au final dans un roman policier c’est très souvent dans les dernières pages que l’on dévoile qui est le bad guy. Mais selon l’identité de ce tueur-là, des pistes ont été volontairement mises de côté pour le besoin littéraire, ce qui donne un léger aspect factice. Cela n’ôte en rien la qualité bien prenante de ce roman, que j’ai dévoré en quelques jours. Mais en même temps, si cette piste avait été évoquée plus tôt, l’identité aurait été dévoilée bien trop tôt également. Bref, cela n’empêche pas Am Stram Gram d’être une belle réussite, qui n’atteint certes pas la perfection du Cri ou de Complot, mais qui dans un genre plus linéaire fonctionne très bien!

Publié dans Bouquin | Laisser un commentaire

Le clip de la semaine : Shadowed

Je vous avais déjà proposé plusieurs courts métrages de David F. Sandberg (Dans le Noir, Annabelle 2 : la Création du Mal) avec Lights out, Coffer ou encore Closet Space. On se retrouve à chaque fois dans un environnement très minimaliste, dans lequel va surgir un élément perturbateur horrifique! On ne change pas une recette qui fonctionne, et Sandberg convoque une nouvelle fois sa chère et tendre Lotta Losten pour lui faire vivre un nouveau bad trip ! ^^ Le concept est encore une fois bien foutu et flippant!

 

Publié dans Le clip de la semaine | Laisser un commentaire

Complot (Nicolas Beuglet, 2018)

Je vous ai parlé du Cri il y a 10 jours, et après ce premier roman de la trilogie norvégienne consacrée à l’inspectrice Sarah Geringën, j’ai évidemment enchaîné avec le second! Pas de chance par contre, je n’ai pas le 3ème volume, et ça c’est sacrément dommage!!!

Après son enquête très mouvementée ayant démarré dans l’hôpital psychiatrique de Gaustad, voilà que Sarah commençait à se détendre en menant une vie familiale auprès de son nouveau compagnon. Mais un tragique événement va à nouveau la précipiter dans une enquête impossible, durant laquelle elle va être à nouveau bien malmenée… Après l’hôpital psy, Sarah se rend donc sur un archipel situé aux confins de la Norvège, lieu totalement perdu où elle est embarquée afin de déterminer la cause d’un décès y ayant eu lieu. Un phare, une unique maison, et les éléments déchaînés tout autour. Rien de plus dans les environs, et pourtant, le corps de la Première ministre norvégienne gît sans vie au bord de la falaise. Qui s’est rendu sur cet îlot afin de perpétrer ce meurtre? Qui en est le commanditaire, et quelle en est la raison? Autant de questions qui vont hanter Sarah durant les prochains jours…

Nicolas Beuglet a un don, celui de captiver l’attention du lecteur de manière ultra-efficace! C’était déjà le cas avec Le Cri, et Complot confirme l’aisance avec laquelle il élabore des intrigues d’une richesse étonnante tout en prenant en considération ses personnages. L’attention qu’il porte à Sarah Geringën est évidemment primordiale, et il ne va pas l’épargner lors de cette incroyable enquête. On découvre qu’elle a encore des zones d’ombre dans sa personnalité, et Beuglet nous attache à ce personnage magnétique tout en venant gratter dans son passé secret, ce qui évidemment va renforcer notre envie de la connaitre davantage! Cette ancienne membre des Forces Spéciales norvégiennes n’a pas encore tout révélé sur son existence, et son nouveau compagnon est partagé entre l’envie de savoir et la crainte de découvrir son passé…

Mais la priorité est à l’enquête démarrant dans un lieu isolé, qui comme c’était le cas dans Le Cri, va être la pointe émergée de l’iceberg! Nicolas Beuglet va nous embarquer dans un récit foisonnant partant dans des directions insoupçonnées, et il le fait en usant d’une narration qui semble tellement aisée! On va coller aux basques de Sarah alors qu’elle va dérouler le fil d’un complot insoupçonnable, qui de la même manière que dans Le Cri, va avoir des répercussions à l’échelle de l’humanité! C’est impressionnant de voir comment Beuglet est capable de passer du microcosme de cet îlot au macrocosme que représente l’être humain !!! C’est là qu’on se rend compte de la richesse du bouquin et des idées qu’il véhicule, car finalement sous le couvert de la fiction, il nous amène à reconsidérer notre vision du monde ! Et pour cela, il va se servir de données scientifiques et historiques bien réelles, qu’il va assembler afin de proposer des théories viables et très intéressantes!

Le premier bouquin m’avait déjà bien estomaqué, et ce second enfonce encore le clou, avec une filiation de plus en plus évidente avec la richesse des oeuvres de José Rodrigues Dos Santos! Tout comme l’auteur portugais, le romancier français a dû passer des mois à compulser des ouvrages et à remonter le temps afin de relier des événements historiques, et le résultat est un nouveau roman foisonnant et captivant, que vous ne pourrez pas lâcher avant la toute dernière ligne, garanti !!!

Publié dans Bouquin | Laisser un commentaire