L’histoire éditoriale derrière ce bouquin est plutôt originale, puisque l’auteur a décidé de publier son roman directement sur internet en 2006, sans apposer son nom à son oeuvre. En 2007, une version papier sort en Grande-Bretagne, et le bouquin sera ensuite distribué dans une vingtaine d’autres pays, toujours de manière anonyme. Ce Livre sans Nom, qui parle lui-même d’un Livre sans Nom publié anonymement, est une belle mise en abyme et permet à son auteur de jouer avec les codes tout en évitant la pression publique. Il faut dire que niveau codes, il se plaît vraiment à jongler avec tout ce qui se fait en matière de polar, de western, d’horreur et de fantastique, et on sent dès les premières pages un amour sincère pour les films de genre!
Le Livre sans Nom convoque les esprits de Tarantino, Rodriguez, Leone, Cameron et tellement d’autres, dans un melting-pot foutrement joyeux et bordélique! C’est justement cette approche très cinéphilique et bourrée de clins d’oeil qui me faisait craindre un bouquin axant tout sur le name-dropping, mais il n’en est rien, et avec la phase test du premier chapitre, j’ai été très rapidement happé dans cet univers délirant, violent, sombre et fortement alcoolisé! Tout commence dans un bar miteux comme il y en a tellement dans les films d’action et d’horreur, et la référence qui vient directement en tête est évidemment ce bon vieux Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez. L’auteur nous livre un pastiche d’un classique du genre western-fantastique, avec un bar rempli de débauchés habitués des lieux, et un mystérieux inconnu qui y entre pour la première fois. Il est vêtu d’une cape à capuche, occultant son visage, et son allure calme et étrange renvoie immédiatement au personnage principal du magnifique La Tour Sombre – le Pistolero. Une allure de pistolero donc, ou de desperado pour être plus proche de Rodriguez également, dans une scène dont la tension va monter graduellement et avec une belle intensité!
L’auteur de ce Livre sans Nom va donc au fil des chapitres nous démontrer que sa galerie de personnages a beau être à la limite de la parodie, il a pourtant bien décidé d’en faire des personnalités fortes et parfois surprenantes. Il va littéralement s’amuser avec les codes des films de kung-fu (avec les moines venus d’Hubal), des westerns (avec le chasseur de primes Jefe), des films de gangsters (avec El Santino, le parrain local), des polars (avec les 2 enquêteurs), et en fait avec l’ensemble des films de genre. Ce mélange avait tout pour être insipide, et pourtant le dosage est savamment pensé pour que l’équilibre prévale, et que l’on soit bringuebalé dans cette histoire complètement barge en ayant à chaque fois hâte d’en apprendre davantage sur chacun. Il faut dire que l’intrigue à base de pierre précieuse magique a de quoi alimenter les folles rumeurs dans la petite ville perdue de Santa Mondega en Amérique du Sud, et le gratin des bad boys est à sa recherche. D’autant plus qu’une éclipse solaire est sur le point de plonger la ville dans le noir, et que des rumeurs sur des créatures malfaisantes se font de plus en plus insistantes…
Il y a dans ce bouquin une vraie générosité qui ne peut venir que d’un amoureux des films et romans transgressifs, et c’est pour cela que le délire fonctionne sacrément bien! L’auteur parvient à élaborer une structure narrative dont la base est simple (la recherche d’un mystérieux artefact avant un événement cataclysmique), mais qui est agrémentée de personnages tellement barrés que ça en devient jouissif! On a un tueur à gages sosie d’Elvis, une femme étrange sortant du coma après 5 ans, un flic obsédé par un tueur en série, le fameux Bourbon Kid, un colosse en mode biker dénommé Rodeo Rex, une valise contenant 100 000 dollars, une Cadillac jaune, un temple où a eu lieu un massacre, des créatures de la nuit… Et encore, la liste est loin d’être exhaustive, mais plus vous aurez de culture bis, plus facile se sera de mettre un visage sur chaque personnage! Le barman du Tapioca fait immédiatement penser à Cheech Marin, le barman de Desperado), Rodeo Rex fait penser à l’Undertaker version biker, etc!
« Ne pas fumer était inacceptable. Le fait de ne pas boire de l’alcool était aussi considéré comme un péché, mais le plus grand des péchés, c’était d’être un inconnu dans ces lieux. Dans ce bar, personne n’aimait les inconnus. Les inconnus n’apportaient que des problèmes. On ne pouvait pas se fier à eux. Aussi, lorsqu’un homme, vêtu d’une longue cape, capuche rabattue sur la tête, entra et s’assit sur un tabouret de bois au bar, Sanchez eut la certitude qu’il ne ressortirait pas en un seul morceau. » Cette entame a un côté très Tarantino, et on pense à de nombreuses séquences de ses films dans lesquels un élément étranger vient perturber la relative quiétude des lieux, comme dans l’intro de Django unchained par exemple. Tout le talent de l’auteur anonyme est de parvenir à aller au-delà du simple pastiche pour totalement maîtriser sa partition et créer une séquence qui possède son style propre. Du simple hommage sans relief auquel on pensait assister, on accède à une lecture bien supérieure et bien plus riche! Et ce sera le cas pour l’ensemble des scènes de ce Livre sans Nom, qui vont explorer la ville de Santa Mondega en passant dans différents lieux et en convoquant de bien nombreux et curieux personnages. L’auteur s’attache même à rendre les personnages secondaires intéressants, permettant à cette partie de chasse au trésor (et accessoirement chasse à l’homme) de rester palpitante de bout en bout. Il parvient à boucler l’ensemble avec un vrai sens du suspense, une verve rurale bien trempée, et une hécatombe impressionnante au fil des pages! Et surtout, il est capable de nous surprendre dans le développement de cette intrigue bien plus corsée qu’il y paraît!
Le Livre sans Nom est le premier d’une longue saga nommée Bourbon Kid, composée de 8 romans et une nouvelle, le dernier roman étant paru en 2019. Il y a donc encore de quoi apprécier le style très rythmé et violent de l’auteur, et je devrais vous en reparler dans les mois à venir! ^^