Danse Macabre est le premier recueil consacré à des nouvelles de Stephen King, et il compte 20 récits couvrant une période allant de 1968 à 1978. On va plonger dans des univers bien différents et des époques très variées, et King va s’aventurer dans ces courts récits vers des genres eux aussi divers, avec plus ou moins de succès.
La première nouvelle, Celui qui garde le Ver, est un hommage direct à 2 grandes figures de la littérature fantastique, Howard Phillips Lovecraft et Bram Stoker. Sans spoiler, la vilaine bébête que les personnages vont découvrir semble tout droit sorti d’un cauchemar lovecraftien, et le style épistolaire renvoie directement à celui utilisé par Stoker pour son Dracula. Nous sommes en 1850, et Charles Boone s’installe avec son domestique dans un vieux manoir suite à un héritage familial. Ils ne vont pas tarder à apprendre que la réputation de ce lieu est maléfique, et les deux hommes vont enquêter sur les étranges phénomènes qui s’y déroulent. Cette nouvelle est une sorte de préquelle au roman Salem, puisque les 2 protagonistes vont se rendre dans le village abandonné et maudit de Jerusalem’s Lot, où une présence diabolique se fait ressentir… Le style épistolaire crée une certaine distance avec le sujet, mais le récit est intéressant et cet exercice d’écriture mode victorien se lit agréablement.
Poste de Nuit va raconter le travail pénible d’une équipe chargée de nettoyer les sous-sols désaffectés d’une usine. Les hommes vont s’enfoncer dans des lieux qui n’avaient pas été visités depuis plus d’une dizaine d’années, et vont se rendre compte de la prolifération impressionnante des rats, qui en ont fait leur domaine. Les rongeurs vont être de plus en plus vindicatifs au fur et à me sure que les hommes descendent, et ils vont découvrir un vrai monde d’horreur là-dessous… Avec Poste de Nuit, on est dans une histoire macabre classique, qui va droit à l’essentiel, et dans laquelle Stephen King règle également quelques comptes avec le capitalisme galopant. On pense évidemment à l’excellente trilogie des Rats due à James Herbert (Les Rats, Le Repaire des Rats, L’empire des Rats), dont le 1er roman est paru en 1973. Poste de Nuit lui est antérieure, car cette nouvelle date de 1970. Une adaptation cinématographique a été réalisée par Ralph S. Singleton sous le titre La Créature du Cimetière en 1990.
Une sale Grippe est un récit très court rédigé en 1969, qui va raconter une journée banale pour 6 jeunes tentant de survivre à la pandémie dévastant le monde. Ce récit sert de base au roman-fleuve Le Fléau que King publiera en 1978 (dont la version intégrale ne sera publiée qu’elle qu’en 1990).
Comme une Passerelle est une sorte de mélange entre SF et horreur, dans laquelle un astronaute raconte les événements découlant d’un de ses voyages dans l’espace. Alors qu’il était de retour sur Terre, ses mains se sont mises à le gratter de plus en plus fort, et un jour il a vu que des yeux y apparaissaient! Il s’agit d’une infection extraterrestre, et ses yeux permettent à la race qui l’a contaminé d’observer son monde et de prendre possession de son corps. On est dans un style très Quatrième Dimension, avec une progression très pessimiste et un final bien déprimant pour le pauvre astronaute…
La Presseuse se rapproche dans le style de Poste de Nuit, en se concentrant sur un récit allant à l’essentiel, et qui va cette fois tourner autour d’une repasseuse-plieuse hantée! Et oui, comme quoi les manoirs et les voitures n’ont pas le monopole des ectoplasmes! Plusieurs personnes sont victimes de mutilations ou de blessures mortelles en s’approchant de cette presseuse, qui semble présenter des problèmes de sécurité. Mais après une enquête approfondie, elle ne présente aucun défaut. C’est en fait une entité maléfique qui a pris goût au sang, et qui attire les victimes dans la gueule béante de cette machine industrielle. Il y a un lien avec Carrie et Chantier, puisque la blanchisserie Blue Ribbon est celle où travaillait la mère de Carrie ainsi que Bart Dawes. Une adaptation ciné a été réalisée par Tobe Hooper en 1995 sous le titre The Mangler, avec Ted Levine et Robert Englund.
Le Croque-Mitaine va nous présenter un homme qui se rend chez le psychiatre pour raconter comment tous ses enfants ont successivement trouvé la mort, à cause d’un croque-mitaine. Matière grise va se concentrer sur un individu qui s’est transformé à force de boire de la bière frelatée, et qui d’après son fils n’a presque plus rien d’humain. Petits Soldats préfigure Small Soldiers mais en mode plus sanglant, avec son armée de jouets livrés dans la chambre d’hôtel d’un tueur à gages pour l’éliminer. Les petits soldats (des G.I. Joe!) vont sortir de leur boîte avec tout leur arsenal et vont traquer le tueur dans l’appartement. Poids Lourds raconte comment des individus sont pris au piège dans une station-service, tandis que les camions deviennent autonomes et tentent de tuer l’humanité. Stephen King a lui-même adapté cette histoire dans son seul et unique film, Maximum Overdrive.
Cours, Jimmy, cours raconte l’histoire d’un professeur d’Anglais qui voit resurgir dans sa classe des élèves qui le harcelaient quand il était gamin, et qui ont tué son frère. Ils n’ont pas grandi, et il va devoir faire face à son passé en tentant de les éliminer pour de bon. Le Printemps des Baies se concentre sur des meurtres ayant lieu sur un campus, la paranoïa s’installant rapidement et chacun pouvant être l’auteur des faits sordides. King use d’une sorte de prose poétique qui donne une atmosphère légèrement éthérée à l’ensemble. La Corniche va voir un champion de tennis pris dans le piège d’un vieil homme riche dont il a piqué la femme. Le vieil homme va lui proposer un marché qui va l’obliger à faire le tour de la corniche de son appartement, situé sur un immeuble de grande hauteur. Aucun élément fantastique, King s’intéressant ici à la tension générée par cette traversée. La Pastorale est probablement la nouvelle la moins intéressante, avec son délire de tondeuse à gazon tuant des gens et cette sorte de dieu se baladant nu dans le jardin… Le Cobaye a été vendu comme une adaptation de cette nouvelle, mais après un procès intenté par King, la vérité a été rétablie. En même temps, le film n’a strictement rien à voir avec cette nouvelle! Desintox, Inc s’intéresse à une société spécialisée dans la suppression du tabagisme, et qui offre à ses adhérents un programme simple et très efficace pour arrêter de fumer. Evidemment, une fois qu’on a signé, on ne peut pas revenir en arrière… Cette nouvelle a été adaptée dans le film à sketches Cat’s Eye, avec James Woods. On peut également voir dans Cat’s Eye l’adaptation de La Corniche avec Robert Hays.
Si toutes les nouvelles précédentes se lisent agréablement, elles s’avèrent finalement assez classiques. Mais c’est vers la fin de ce recueil que l’on découvre des récits qui offrent davantage de densité et plus d’émotions. L’Homme qu’il vous faut est une très belle étude sur une relation de couple, l’homme semblant tellement parfait que ça en devient légèrement inquiétant. La rencontre entre Elizabeth et Ed semble totalement fortuite, et leur relation va se construire peu à peu au fil des rencontres. Mais la voisine de chambre d’Elizabeth va mener sa petite enquête, et va se rendre compte qu’Ed est bien différent de celui qu’il prétend être… On plonge dans cette courte nouvelle avec beaucoup d’intérêt, et King manie ces variations sentimentales avec beaucoup de soin.
Les Enfants du Maïs est certainement l’une des nouvelles les plus connues de King, et s’avère excellente. Un couple en crise traverse une région isolée du Nebraska, et va se retrouvé confronté à une sorte de culte diabolique perpétué par de jeunes enfants. La tension est palpable et cette variation sur Le Village des Damnés de John Wyndham est vraiment d’un très bon niveau. On y ressent toute l’atmosphère délétère de ce lieu maléfique, où les champs de maïs prennent une dimension terrifiante. Il y a une vraie justesse dans l’écriture des personnages, notamment avec ce couple en crise, et il y a un vrai suspense dans la fuite du héros principal. Une adaptation a été réalisée par Fritz Kiersch en 1984, avec Linda Hamilton, intitulée Les Démons du Maïs.
Le dernier Barreau de l’Echelle est sans doute l’une des plus belles pièces courtes de King, baignant dans une ambiance nostalgique et terriblement tragique. L’histoire de ce frère et de cette soeur qui étaient tellement proches enfants, et qui se sont perdus de vue en grandissant, à de quoi mettre la larme à l’oeil. Et les flashbacks sur les jeux d’enfants à la ferme, avec ces plongeons dans le foin d’une hauteur de 20 mètres, sont écrits avec une prose magnifique et une vraie émotion! « Elle parut un instant flotter dans l’espace, comme portée par l’un de ces mystérieux courants d’air qui ne circulaient que là-haut, sous le toit, telle une radieuse hirondelle au plumage doré; jamais le Nebraska n’en a revu de pareil. C’était Kitty, c’était ma soeur, les bras rejetés derrière son dos cambré, et que n’aurais-je pas donné pour un tel instant? »
L’Homme qui aimait les Fleurs va encore s’intéresser à un tueur en série, avec comme pour Le Printemps des Baies la découverte de l’assassin au fur et à mesure que le récit progresse. Un dernier pour la Route va nous ramener à Salem, avec cette histoire de 2 hommes qui vont accompagner un 3ème dont la voiture est tombée en panne en plein blizzard, et surtout du côté de Salem… Ils vont se retrouver face à une menace très précise, et cette nouvelle fonctionne encore une fois très bien. Et Danse Macabre se clôt avec Chambre 312, une vision tragique de la maladie, et du dilemme d’un fils qui se demande s’il doit donner une surdose de médicaments à sa mère pour qu’elle arrête de souffrir… Stephen King a rédigé cette nouvelle prenante à la suite de la mort de sa mère, et l’émotion véhiculée est très sincère.