Chantier est probablement l’un des romans les plus réalistes de Stephen King. Dénué de toute référence surnaturelle ou du moindre élément fantastique, il va raconter l’histoire de Bart Dawes, un paisible citoyen américain travaillant dans une blanchisserie et vivant dans une petite maison dans un quartier tranquille. Sauf que sa petite vie rangée est menacée par un projet d’extension de l’autoroute voisine, dont l’axe passera à la fois sur la blanchisserie et à travers son quartier. Du coup, Bart et sa femme n’ont pas d’autre choix que de déménager avant la date butoir laissée par les autorités.
20 ans à vivre à travers les mêmes murs, chargés d’histoires légères et tragiques, Bart n’accepte pas l’idée qu’on l’oblige à y renoncer aussi facilement… Alors qu’il ne lui reste que 2 mois avant d’être exproprié, il va commencer à ruminer un plan, une sorte de vengeance, à la fois très personnelle et plus vaste, face à cette bureaucratie qui écrase sans le moindre remords des citoyens anonymes. Bart va décider, tout d’abord de manière inconsciente, qu’il allait lutter contre ce vol d’une existence, et on va assister à un combat extérieur mais surtout interne, car il va lutter contre lui-même dans cette phase de changement majeur. Stephen King (sous le pseudonyme de Richard Bachman) va nous faire entrer dans la psyché de cet homme dont la vie s’émiette petit à petit, et qui va tenter de se raccrocher à une lutte symbolique et vitale pour lui.
Tout va commencer avec le fait de laisser traîner la relocalisation de la blanchisserie, puisqu’il en est chargé par ses supérieurs. Bart va se laisser glisser dans une sorte d’apathie, refusant d’effectuer les démarches nécessaires, sachant très bien où cela le mènera, mais ne parvenant pas à trouver l’envie et la force d’agir. Les graines de la dépression ont été semées, et c’est bien la thématique centrale de ce bouquin : la déchéance d’un individu lambda face à un événement trop difficile à gérer, et qui va progressivement amorcer des modifications psychologiques. La relation avec sa femme va peu à peu se dégrader, et la fuite en avant de Bart va devenir de plus en plus problématique pour les gens qui l’entourent. Cette cessation, cette sorte d’arrêt du fonctionnement normal, va le mettre dans une sorte d’état transitoire, durant lequel il va entamer des démarches auxquelles il n’aurait jamais pensé en temps normal.
L’achat d’un pistolet et d’un fusil, les promenades interminables sur l’autoroute, la consommation de plus en plus récurrente d’alcool… Stephen King nous dresse le portrait d’un homme qui commence à se noyer, qui s’isole de plus en plus, et qui se met à réfléchir de manière parfois irrationnelle… Mais pourtant, un plan se dessine inconsciemment dans tout ça, et Bart va se dresser comme le dernier rempart face à ce monstre de bitume menaçant son existence. Une sorte de David contre Goliath au combat perdu d’avance, mais qui apparaît plutôt comme le dernier effort d’un homme qui sait déjà que tout est perdu… Chantier est une oeuvre désespérée et tragique, très intérieure, et n’a rien à voir avec les écrits habituels de King. On est dans une sorte d’introspection dépressive, suivant le parcours descendant de Bart, qui tente de se raccrocher à des futilités ainsi qu’à un plan hasardeux. Il s’agit d’un roman qui ne marquera pas de manière indélébile, mais qui est intéressant dans sa justesse face à cette évocation de la chute d’un homme.