Suite au succès de son premier roman Carrie, Stephen King décide d’arrêter sa carrière d’enseignant et de se consacrer exclusivement à son métier d’écrivain. Pour son second roman, il va s’intéresser au mythe du vampire, qu’il modernise en le situant dans une petite tranquille d’Amérique, Jerusalem’s Lot. Tout comme pour Carrie qui se déroulait dans la paisible commune de Chamberlain, King aime à placer les événements extraordinaires de ses oeuvres dans des endroits que l’on ne soupçonnerait pas receler le Mal. Si dans Carrie, cette notion de Mal est subjective, puisque les impressionnants pouvoirs de la jeune fille lui ont servi à se venger à cause d’années passées à subir la tyrannie de sa mère et de ses « camarades » d’école, la version qui se cache à Salem est bien plus tranchée.
Sur les hauteurs de la petite commune, se dresse Marsten House, une vieille maison abandonnée qui appartenait autrefois à un riche propriétaire, et qui a été le théâtre d’événements funèbres. Quand il était enfant, Ben Mears et les jeunes de sa génération craignaient tous cette maison, et se lançaient des défis pour oser y entrer. Quand des années plus tard, le garçon devenu écrivain revient dans la ville où il a grandi, cela va coïncider avec de nouveaux événements funestes… Un chien est retrouvé empalé sur la grille du cimetière, un jeune garçon disparaît mystérieusement, tandis que l’atmosphère se fait de plus en plus pesante… Se pourrait-il que les nouveaux propriétaires de Marsten House soient responsables de ce qui arrive à la ville?
Stephen King n’a pas son pareil pour croquer les lieux et les gens, avec cette capacité à se glisser sous les surfaces pour dépeindre les tensions se cachant derrière les façades, et creuser dans l’inconscient pour faire ressortir les personnalités. Le personnage de Ben Mears est clairement une extension de l’auteur, puisqu’il est également écrivain, et sa rencontre avec Susan Norton va être traitée avec une très belle approche romantique. King se place dans une certaine continuité romanesque, les récits horrifiques classiques se parant souvent de certains atours plus intimistes, comme le fameux Dracula de Bram Stoker. King va apporter un souffle contemporain au mythe du vampire, et il va prendre le temps de dévoiler la menace planant sur la ville. Autour de Ben Mears vont se rallier quelques habitants commençant à être persuadés que des créatures aux dents longues s’en prennent à eux, et ils vont essayer de garder l’esprit clair tout en se dressant contre le Mal.
La particularité de l’auteur est de parvenir, encore une fois, à nous intéresser aux divers habitants de la ville, en en dépeignant certains avec juste quelques traits caractéristiques, d’autres en les creusant davantage, mais comme pour Carrie, cela crée des ramifications entre tous et permet d’avoir une vue d’ensemble de l’esprit de cette ville. L’un des passages marquants, et qui n’est pourtant que fugace, est la confrontation entre le caïd du lycée et le jeune et frêle Mark Petrie dans la cour d’école. On sent une fois encore cette acuité de l’auteur lorsqu’il dépeint le monde de l’enfance, comme s’il n’était lui-même qu’un enfant ayant grandi trop vite… Il y a un réalisme dans les pensées de Mark lors de cette confrontation, un sens aigu des enjeux dramatiques pour un jeune, mais qui paraîtraient ridicules pour un adulte… A chacun de ses bouquins, King souligne cette impossibilité de communication entre 2 mondes, celui de l’enfance et des adultes, celui où l’imaginaire permet tout, et celui où le carcan cartésien empêche tout…
C’est en cela que Salem est également intéressant, car il va mettre sur pied une équipe hétéroclite composée de personnes d’âges différents, et qui vont conjuguer leurs savoirs afin de contrer les vampires envahissant insidieusement la ville. Les disparitions vont se succéder, sans que personne ne puisse réellement comprendre ce qui se passe, jusqu’à ce que ce groupe décide d’accepter les faits, si incroyables qu’ils paraissent. Ils vont devoir non seulement lutter contre leurs ennemis, mais également contre eux-mêmes et leur propre volonté de ne pas croire en ce qu’ils pensent être vrai. C’est typiquement un combat entre la partie rationnelle et adulte du cerveau, et celle plus fantasque de l’enfance. A travers Salem, c’est à une acceptation des contes pour enfants et de notre imaginaire que nous convie Stephen King, en les adaptant à la réalité des années 70.
Ce second roman a lui aussi connu le succès, et tout comme Carrie, il a aussi eu droit à plusieurs adaptations; on se souvient du Carrie au Bal du Diable de Brian De Palma, et il y a eu Carrie 2 : la Haine en 1999, une suite au De Palma; un téléfilm Carrie en 2002; le film Carrie, la Vengeance en 2013. Il y a même eu une comédie musicale à Broadway en 1988, reprise en 2012 et 2015! Pour Salem, il y a eu un téléfilm de Tobe Hooper intitulé Les Vampires de Salem, une suite à ce téléfilm, cette fois au cinéma, avec Les Enfants de Salem en 1987, et une nouvelle version télévisée intitulée Salem en 2004.