Le Fléau a un historique éditorial quelque peu mouvementé, puisqu’il aura eu droit à 2 versions. A l’ère des director’s cut, versions longues et autres remasterisation, c’est un procédé relativement courant, mais si on remonte quelques décennies en arrière, le principe était bien moins développé. On en parle beaucoup s’agissant du 7ème art, mais la littérature offre elle aussi quelques exemples de versions tronquées ou rallongées, et c’est notamment le cas avec Le Fléau de Stephen King.
C’est en 1978 qu’est édité ce roman, dans une version courte et tronquée d’environ 250 000 mots. Mais en 1990, après de longues négociations avec l’éditeur Doubleday, King a enfin la possibilité de ressortir son oeuvre dans une version longue (augmentée de 150 000 mots) correspondant davantage au récit initial. Il développe notamment les vies privées des principaux protagonistes, prenant le temps d’entrer dans leurs psychologies et dans leur vie quotidienne, avant que l’épidémie de Super-Grippe ne ravage le monde… Une manière selon King de s’attacher aux personnages avant que leur monde éclate, et de bien percevoir les différences qui vont s’opérer en chacun d’eux…
Le Fléau va nous plonger dans un récit post-apocalyptique, et va le faire de manière très graduelle, puisqu’il va partir du patient 0 et qu’il va suivre toutes les étapes de la propagation du virus mortel. Roman anti-militariste par excellence, il va prendre pour responsables des chercheurs en laboratoire souhaitant développer une arme bactériologique mortelle, et qui vont par inadvertance la relâcher dans la société… La souche très agressive de ce virus va ravager le monde très rapidement, et en quelques semaines, le vernis de l’Amérique bien-pensante va être totalement gratté, laissant à la surface les jets de sang purulents et les macabres visions des malades agonisants…
Ce fléau va toutefois épargner une frange de la population, sans qu’il y ait d’explication à cela. Mais les survivants vont alors tenter de se regrouper et de s’entraider, tous mus par d’étranges rêves dans lesquels ils voient une très vieille femme vivant dans une ferme reculée du Nebraska. Mère Abigaël serait-elle la solution à ce vent de mort ayant tout emporté? Mais à cette source d’espoir s’oppose un côté bien plus sombre, présent lui aussi en songes : le terrible Homme Noir, qui se complaît dans ce charnier et qui y trouve le moyen d’assembler une armée d’êtres perdus, qu’il va utiliser afin de faire régner la terreur. Le Bien contre le Mal, les forces de Dieu contre celles de Satan? La partie qui se joue alors est-elle aussi tranchée?
Stephen King nous interroge sur les notions de croyance et de foi, qui ne peuvent que resurgir en force tandis que la société bascule dans un déclin inévitable. Alors que les sciences et les techniques sont responsables de la plus grande épidémie au monde, la foi permettra-t-elle de sauver ceux qui espèrent encore? Si la thématique religieuse intervient régulièrement dans ses oeuvres (elle est notamment incontournable dans Carrie), elle s’avère très centrale dans Le Fléau, qui pourrait presque se voir comme une sorte de Bible post-apocalyptique. Le combat opposant les 2 camps s’avère essentiel, et il va faire appel à toutes les ressources enfouies de chacun des protagonistes. On sent une inspiration issu du Seigneur des Anneaux, référence avouée de King, et la dimension mythique souhaitée est évidente.
Le résultat n’est pourtant pas aussi spectaculaire, et on est loin de l’oeuvre de Tolkien. Le Fléau est un roman intéressant à plusieurs niveaux, mais qui n’est pas le plus captivant de l’auteur. Les 3 tomes s’avèrent finalement longs, et même si on comprend l’envie de développer les personnages, il y a pourtant de nombreux moments où le récit part trop dans les détails. Il y a également des séquences qui tombent comme un cheveu sur la soupe, je pense notamment à la rencontre entre La Poubelle et Le Kid en plein désert. Je trouve ce passage tellement inutile, surtout avec tous les poncifs que représente le Kid, personnage totalement cliché et horrible… La multiplication des personnages fait également que l’auteur se disperse à plusieurs reprises…
Le roman s’intéresse au final davantage à la reconstruction d’une structure sociale qu’aux individualités même, et c’est en cela qu’il effectue du sur-place pendant un moment. On se retrouve avec des personnages attachants, comme le sourd-muet Nick, le mélancolique Stu Redman, et on en a certains qui le sont moins, comme le chanteur Larry Underwood. Le Fléau va mélanger tout ça pour donner un récit qui va avancer lentement, et qui va mettre en avant la manière dont vont se structurer les habitants de Boulder, le lieu-refuge déterminé par Mère Abigaël. Et c’est davantage dans le questionnement de la foi et dans les avancées mystiques que Le Fléau pose ses passages les plus intéressants, avec cette lutte désespérée contre l’Homme Noir. Après, on sent également que le monde post-apocalyptique de l’époque (l’année 1990 vue en 1978) a un peu vieilli également ^^!