Christine Kelly est connue comme étant la présentatrice de Face à l’Info sur CNews, mais elle était déjà très active bien avant 2019, sa carrière au sein de rédactions télévisuelles ou radiophoniques étant très riche et très formatrice. Ce n’est pas la première fois qu’elle publie un essai, puisqu’on lui doit 6 ouvrages précédents, allant du domaine social (Le Scandale du Silence : Familles monoparentales) au football (avec William Gallas : La Parole est à la Défense), ou encore à la politique (2 ouvrages consacrés à François Fillon). Christine Kelly est une touche-à-tout qui va trouver de l’intérêt dans des domaines très variés, et qui va à chaque fois en ressortir avec une connaissance plus approfondie.
Cet essaie Libertés sans Expression, publié au Cherche-Midi, va cette fois-ci se focaliser davantage sur elle-même, puisqu’elle décide de faire le constat de ce que représente le terme liberté dans cette France de 2022 qui semble avoir galvaudé la nature même de ce terme pourtant si éloquent. Elle va nous accompagner dans un retour en arrière très intéressant, lors duquel elle nous dévoile ses évolutions personnelles et professionnelles, ce qui sera très intéressant pour cerner davantage cette femme si souvent mystérieuse. Elle qui se dévoile très peu sur sa vie privée, va nous livrer des réflexions et des situations intimes réellement touchantes, qu’elle mettra en parallèle avec la réalité du monde contemporain.
Elle se livre d’entrée de jeu, dans sa très belle relation avec sa fille Léa, avec les réflexions que cela suscite sur son rôle de mère et de protectrice. Christine Kelly a les mots justes et surtout, les mots qui touchent, pour nous faire comprendre cette simplicité essentielle de l’amour filial et de l’enjeu primordial que représente ce petit être dans une vie déjà très riche de par ses autres aspects. On sent simplement une sincérité et un amour qui prennent forme grâce à la magie des mots, et c’est déjà un régal de plonger dans cette évocation… Et c’est à la fin de chapitre très court que le titre va prendre son sens, et que l’on va se rendre compte de l’absurdité de notre monde à l’heure où une scène aussi intense et universelle que ce dialogue mère-fille se pare ici d’atours bien tristes…
Un journaliste est censé pouvoir sillonner le monde à la recherche de la vérité, sans crainte pour son existence et celle de ses proches. Le principe même du journalisme est synonyme de liberté, la fameuse liberté de la presse qui fait joli quand on l’évoque, mais qui vacille rapidement au gré des intérêts en jeu et des protagonistes concernés. Alors oui, quand on a une mère journaliste et sa gamine de 7 ans qui sont quotidiennement flanquées de 2 gardes du corps, on nage en plein absurde, ou en pleine tristesse… Au nom de quelle forme de liberté en est-on arrivé là?…
Christine Kelly va nous retracer son parcours, de son enfance en Guadeloupe à sa découverte de la métropole, et ce qui s’avère très fascinant, c’est cette passion sans équivoque pour les principes de libertés et d’expression, cet amour pour le travail journalistique, qui va la mener dans des directions très différentes au fil des années, mais avec à chaque fois des apprentissages majeurs. Elle a travaillé sur La Chaîne Météo, sur Voyage, sur RFO, LCI, Ushuaïa TV, Touche pas à mon Poste… Un parcours d’une très grande souplesse, lui ayant permis d’avoir une vision très globale du fonctionnement des médias. Kelly possède encore une certaine vision d’honneur du journaliste, et les références qu’elle donne démontre sa distanciation face à la standardisation du métier. Elle évoque notamment Albert Londres, un éminent journaliste à la plume virevoltante et ô combien enthousiasmante, et qui aurait malheureusement du mal à trouver sa place aujourd’hui… Le court passage de son évocation sur l’agonie de la cathédrale de Reims lors de la Guerre de 1914-1918 est impressionnant et emprunt d’une vraie tristesse.
A l’heure où les combats pour les minorités font rage, elle propose sa propre pensée, qui la caractérise depuis toujours : « J’avais travaillé partout en France, mais c’était la première fois que je découvrais la réelle prédominance de ma couleur de peau dans les yeux de mes interlocuteurs. Une certaine partie de la société faisait de moi une Noire alors que j’avais naturellement et simplement envie d’être reconnue pour mes compétences. Par conséquent, je ne voulais pas d’un statut exceptionnel, et et qu’importe si celui-ci m’eût apporté une protection plutôt que des inconvénients. J’étais journaliste. Si je méritais une place, c’était au titre de mes qualités professionnelles. »
Sa vision est d’une simplicité absolue, mais se heurte aux dérives de plus en plus nombreuses du monde moderne. Christine Kelly est une humaniste qui ne comprend pas comment on en est arrivé là, et quand elle nous partage ses pensées, c’est pourtant d’une telle évidence : « Comment peut-on encore croire au XXIè siècle que l’humanité se conçoive à partir des identités raciales? Cette passion jamais repue qui consiste à attribuer des « fiertés » ou au contraire de la « honte » à une identité catégorielle, surtout si elle est fondée sur la race, est une catastrophe pour nos sociétés. L’identité, c’est autant un projet qu’un héritage, un devenir qu’un passé. Le nier nous fait glisser dans une république laïque qui se contera d’abriter voire arbitrer des diversités. C’est là un revers non seulement pour la politique, mais aussi pour le genre humain. »
Cette suite de réflexions entrecoupées de moments intimes est une bouffée d’air frais dans un monde où la simplicité est remplacée par les exagérations médiatiques et la starification via les réseaux sociaux. On nage en plein absurde, mais on n’est pas prêt d’y couper… Christine Kelly propose bien évidemment sa propre analyse des réseaux sociaux ou encore du monde politique actuel, et c’est un plaisir d’avoir ce regard à la fois aiguisé et bienveillant pour venir nous démontrer à quel point tout pourrait être bien plus simple… Elle a choisi un métier noble et fier, mais pris dans une époque bien loin de cette noblesse, les conséquences en sont parfois dramatiques. Mais coûte que coûte, elle poursuit son existence, ses passions, son métier, et elle ne renoncera jamais. Parce qu’elle exprimera toujours sa liberté.