Jeanne Herry est une actrice, scénariste et réalisatrice qui pour son 3ème long métrage, se penche sur le sujet très délicat de la parole donnée aux victimes et aux responsables de crimes. Le cadre du film va être les multiples rencontres organisées au sein d’une prison, afin de mettre en relation des personnes situées de chaque côté d’un événement, sans qu’il y ait de relation directe entre une victime et un responsable. Au sein du processus encadré par des membres de cette structure de justice réparatrice, le but est de parvenir à ouvrir un dialogue pouvant amener à une compréhension des points de vue opposés. Cela paraît très naïf de prime abord, et on a souvent tendance à vouloir une vision très tranchée de ce que pourrait donner de telles rencontres, et une crainte de se dire que c’est encore un moyen de jouer sur la victimisation des coupables. Mais il y a une telle sensibilité et une si grande subtilité dans l’écriture du scénario, que Jeanne Herry parvient à nous happer durant les 2 heures de ce film tourné quasi-intégralement en intérieur, et prenant place la majeure partie du temps dans cette salle de réunion située en prison.
Ce film résonne encore plus durement avec l’actualité permanente nous montrant une violence exacerbée et trop souvent déresponsabilisée, et le fait de donner à entendre les paroles des victimes et des agresseurs est un processus qui peut paraître déconcertant. Dans un monde où chaque fait divers et fait de société est repris par tous, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les médias ou par Monsieur Tout le Monde à la machine à café, chacun y va de son jugement en fonction de ses inclinations, de ses expériences et de sa propre vision du monde. Mais ici, on ne va pas être dans une analyse distante des faits (qui selon moi possède bien évidemment son importance), mais Jeanne Herry va nous placer au plus proche de ces personnes qui vont exprimer chacune leur propre vérité avec ses mots simples, son attitude corporelle unique et ses émotions plus ou moins enfouies. Le principe a quelque chose de très thérapeutique et lorsque c’est aussi bien écrit, ça ne peut qu’avoir un fort impact émotionnel.
L’écriture est clairement le terreau sur lequel ce très beau film a été construit, mais il était impossible qu’il parvienne à son but sans un casting des plus solides, et c’est véritablement impressionnant de voir une telle conjonction de talents devant la caméra de Jeanne Herry. Suliane Brahim, vue dans Hors Normes, La Nuée ou Acide, joue l’une des membres de cette justice réparatrice qui va animer les rencontres. Ce qui paraît très agaçant au début, c’est cet aspect très codifié dans la façon de poser les questions et d’éviter tout jugement de valeur, car la première chose que l’on aimerait faire, c’est laisser parler nos émotions dans une telle situation. Mais cela fait partie du processus visant à offrir un cadre très sécurisé aux échanges, et cette retenue va permettre de ne pas influencer les paroles mais de les laisser se dérouler le plus librement possible. Suliane Brahim parvient à retranscrire très justement cet équilibre permanent qu’elle tente de conserver.
On ne présente plus Adèle Exarchopoulos, qui est l’une des plus grandes actrices de sa génération, et elle le prouve encore largement ici. Avec ce rôle très délicat et difficile de Chloé, elle nous gratifie d’une prestation impressionnante avec ce personnage faisant face à la résurgence d’un ancien trauma. Adèle Exarchopoulos fait totalement sien le scénario de Jeanne Herry, et la crédibilité avec laquelle elle retranscrit les émotions de son personnage est assez incroyable. Leïla Bekhti, que l’on a souvent l’habitude de voir dans des registres comiques (elle était géniale dans La Flamme, tout comme Adèle Exarchopoulos d’ailleurs!) impressionne par la manière dont le personnage de Nawelle lui semble chevillé au corps. Ses saillies impulsives donnent presque l’impression que l’on assiste à un documentaire tant on les croit réalistes, et de nombreux dialogues entre elle et des détenus s’avèrent très percutants et constructifs.
On pourra en dire autant de Gilles Lellouche, qui joue un homme ayant été victime d’une effraction avec vol et violence commis à son domicile. Le souci du détail dans sa manière de raconter les faits, dans sa gestuelle, dans ses choix d’intonations donnent véritablement l’impression qu’il est en train de nous raconter une expérience vécue, et je trouve que cette justesse des acteurs et actrices est un très bel hommage rendu aux vraies victimes dans notre société, qui ne pourront que se retrouver dans ses personnages. Gilles Lellouche est lui aussi sans conteste l’un des plus grands acteurs français, et c’était une fois encore un plaisir de le retrouver ici. Dali Benssalah a joué dans Mourir peut Attendre et Athena (dans lequel il était juste impérial), et il nous gratifie d’une prestation presque mutique au début, pour se mettre à se livrer peu à peu d’une façon très réaliste. Il va appréhender ce rôle difficile de braqueur mis face à des victimes avec une approche très humaine mais qui ne va pas chercher le misérabilisme, et le voir reconnaître sa culpabilité va permettre d’aller au-delà de cette barrière afin qu’il puisse donner son point de vue sur ses actions.
C’est dans cet échange de visions que Je verrai toujours vos visages est un très grand film, car ce qui paraîtrait presque anecdotique va nous toucher au plus profond simplement à travers une succession de dialogues, de tensions qui s’élèvent et qui retombent, de regards pllus ou moins fuyants, mais cet ensemble ayant pour seul but une compréhension de la nature humaine. Il y a de drôles d’interactions qui se font, quelques notes d’humour dans un sujet ostensiblement grave, mais ce que l’on ressent de manière constante, c’est ce mouvement permanent qui va amener chacun à se confronter à soi-même et aux autres dans la recherche de sa propre vérité. Ce film ne va pas excuser ou victimiser les coupables, et il ne va pas auréoler les victimes. Il va nous raconter des faits bruts, des parcours de vie sincères, et des manières différentes de tenter de se reconstruire.
Cela faisait longtemps que je n’avais plus vu Elodie Bouchez, qui joue une autre membre de cette structure de justice réparatrice, et qui elle aussi parvient à osciller sur le fil délicat de ces discussions, notamment dans ses dialogues avec Adèle Exarchopoulos. Elle doit conserver une certaine distance face à une femme désarmante de franchise, et leur duo est l’une des grandes qualités de ce film. On a également Jean-Pierre Darroussin qui je trouve est tout de même en retrait, la faute à un personnage beaucoup trop lisse. Birane Ba présente un personnage refusant de prime abord de faire face à ses responsabilités, et qui va se retrouvé confronté aux victimes face à lui. Miou-Miou est très touchante dans le rôle de cette retraitée victime de vol à l’arraché, et ses dialogues sont eux aussi empreints d’une très grande sincérité. Pour la petite histoire, Jeanne Herry est la fille de Miou-Miou et de Julien Clair. Fred Testot est méconnaissable dans un rôle difficile également, qu’il traite avec une solidité et une justesse impresionnantes également. Et on a aussi cet acteur atypique qu’est Raphaël Quenard, qui était tellement barge dans Yannick, et qui avec un rôle relativement court, parvient toutefois à briller une fois encore.
Je verrai toujours vos visages est un film qui touche véritablement au coeur et aux tripes, et qui va venir vous remuer de manière très sincère. Du très grand cinéma sans artifice, qui fait du bien en posant de véritables questions de société, et un bel hommage aux travailleurs sociaux et à leur métier si difficile.