Athena (Romain Gavras, 2022)

Entre 2 tomes de Guerilla, j’ai voulu retenter ce long métrage signé Romain Gavras, dont le début ne m’avait pas forcément parlé. J’étais resté sur la performance technique de ce plan-séquence, qui me paraissait aller à l’encontre de l’aspect brut du moment. La perfection de la mécanique annihilant la puissance émotive. Bon, j’ai donc repris avec davantage de recul, et avec cette connaissance du procédé narratif de Gavras, j’ai pu entrer bien plus aisément dans ce récit sans concession, qui propose une vision à la fois sublimée et très réaliste d’un tel événement. Il y a des liens évidents entre les bouquins de Laurent Obertone et ce film, à commencer par un « fait divers » qui va mettre le feu aux poudres dans la cité. L’événement en soi n’est pas identique, mais l’embrasement va être tout aussi rapide et mortel.

Romain Gavras va limiter géographiquement son récit à la cité Athéna, qui va se transformer en place forte gérée par les jeunes qui y vivent, menés par Karim, qui veut venger la mort de son petit frère tué par des policiers. Le principe du lieu unique, avec cette cité encerclée par les forces de l’ordre, va être traité d’une manière bien particulière par Romain Gavras, qui nous offre des accents très carpenteriens dans sa mise en scène. Son aisance et sa force renvoient à Assaut de Big John, et il met les moyens pour donner toute sa densité à ce film qui aurait bien mérité de trouver son chemin vers les salles obscures. Il y a une réelle attention portée à la cinématographie, et on se retrouve plongé dans un western urbain étouffant doublé d’un drame familial qui va de plus en plus prendre aux tripes.

Il faut dire qu’avec des acteurs de cette trempe, il y a de quoi donner de l’intensité, et l’intelligence de ce film est de ne se dévoiler que petit à petit. Ce qui me paraissait très schématique lors de ma première tentative va en fait évoluer subtilement, et les personnages vont se découvrir au fil de l’avancée du métrage. Sami Slimane, qui joue le meneur Karim, impressionne par l’intensité de son jeu, et Dali Benssallah, qui incarne son grand frère, n’est clairement pas en reste. Le travail sur les points de rupture est impressionnant, et on sent tout le bouillonnement des émotions intérieures qui travaillent de plus en plus, et qui permettent au film de gagner en densité. Une séquence notamment avec Dali Bensallah prouve toute la puissance de son jeu, et on est happé par les destins croisés de ces frangins, dont l’un veut hurler sa vengeance, et l’autre apaiser les troubles. Le schéma shakespearien s’inscrit avec subtilité dans ce récit très moderne, et d’autres éléments rajoutent quelques strates émotionnelles ou narratives supplémentaires.

Ces allers et retours entre point de vue intérieurs et extérieurs de la cité donnent une dimension globale à Athena, lui conférant une force d’attraction évidente. Anthony Bajon, qui incarne le CRS Jérôme (et qui était déjà bon dans Tu mérites un Amour), va faire glisser le métrage vers le film de guerre, en montrant comment un individu peut se retrouver envoyé au front avec la peur au ventre. Il joue avec beaucoup de conviction ce jeune homme obligé de se lancer avec ses frères d’armes à l’assaut du territoire ennemi afin de mettre un terme à cette émeute. Certaines séquences font presque penser au Seigneur des Anneaux ou à 300, avec l’esprit très graphique dans lequel elles s’inscrivent. Romain Gavras gère ses acteurs avec beaucoup de tact, et ils le lui rendent bien en donnant le maximum pour démontrer la gravité des situations, et l’intensité de séquences qui en plus sont filmées avec une maestria impressionnante. Gavras se fait plaisir avec des plan-séquence ultra-maîtrisés, dont le premier reste évidemment le morceau de bravoure.

Au niveau du scénario, ce n’est pas étonnant qu’aux côtés de Romain Gavras, il y ait Ladj Ly, lui qui nous avait donné un très bon Les Misérables en 2019, qui dépeignait déjà les tensions en cité. Ils sont accompagnés à l’écriture par Elias Belkeddar, et la boucle est bouclée pour Alexis Manenti, qu’on retrouve avec plaisir ici, lui qui incarnait le flic de la BAC bien cramé pour Ladj Ly dans Les Misérables. Athena impressionne par sa forme très libre et apocalyptique, avec ses séquences visuellement très belles (l’utilisation des feux d’artifice confère un côté irréel tout en étant très pratique en tant qu’armes), et se double d’un récit fort questionnant les points de vue différents mis en opposition lors de cet événement. On sent toute l’oppression des émeutes en cours, et on est en plein film de genre, qui va même par moment flirter avec l’horrifique en utilisant avec efficacité la topographie des lieux. Le travail sur la lumière, signé Matias Boucard, donne une texture particulière au récit et augmente l’aspect tragique de certains passages. Romain Gavras frappe un grand coup cinématographique, et Athena se pose comme un film de banlieue ambitieux et très abouti, qui se situe à la croisée des genres pour mieux asseoir son propos, et révélant 2 très bons acteurs avec Sami Slimane et Dali Benssallah!

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