Sicario (Denis Villeneuve, 2015)

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Je ne m’attardais plus trop sur la carrière de Denis Villeneuve après ses 2 premières expériences américaines, Prisoners et Enemy, qui si elles offraient tout de même la griffe visuelle reconnaissable du metteur en scène canadien, ne possédaient de loin pas l’âme de ses réalisations précédentes, tournées dans son pays natal. Polytechnique et Incendies sont 2 joyaux bruts de tension et de dureté, mis en images avec une inventivité et une précision à couper le souffle! Prisoners et Enemy faisaient simplement office de copies désincarnées de tout ce que Villeneuve avait à offrir dans son cinéma.

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Du coup, j’ai laissé passer ce Sicario, que je découvre sur le tard et avec davantage de recul. Et là, je ressens un certain soulagement à voir que la tension prend dès le début, avec des cadrages typiques du metteur en scène, mais cette fois bien plus immersifs que dans ses précédents efforts ricains. On suit une Emily Blunt qui plonge en plein cauchemar, et on y plonge totalement à ses côtés, grâce à la puissance visuelle d’un Villeneuve qui semble avoir retrouvé toute sa ténacité! La manière dont il compose cette scène d’ouverture est juste sublime, avec une approche que l’on pourrait comparer au Malick de la grande époque, adoptant un point de vue oscillant de manière permanente entre microcosme et macrocosme.

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Denis Villeneuve filme toujours ses personnages en les intégrant dans le cadre strict de leur fonction immédiate, tout en basculant dans une vision d’ensemble bien plus large, créant une ambiance étonnante où des plans très larges vont contenir des conversations qui seraient normalement filmées en gros plan et en champ-contrechamp. Avec un tel procédé, Villeneuve cherche à filmer la temporalité elle-même, démontrant la vacuité d’un dialogue tendu entre deux personnages, démontrant la supériorité d’une nature et d’un temps qui survivront bien au-delà de ces querelles humaines si vite dépassées. Puis il va revenir à un traitement visuel au corps à corps, offrant un contrepoids immédiat à ce qu’il proposait juste avant, et ce procédé complexe offre une richesse impressionnante au lieu d’annuler l’effet précédent!

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Ca n’est pas forcément aisé à expliquer, mais le cinéma de Villeneuve marche aux tripes, il possède une sorte de puissance viscérale qui répond au sourd écho que l’on entend à plusieurs reprises, et qui crée/accompagne la tension de certaines scènes. Si la séquence de l’embouteillage a été trop dévoilée dans la bande-annonce, elle n’en reste pas moins là encore un modèle de précision dans l’élaboration d’un climat ultra-tendu, et on se rend rapidement compte que le metteur en scène est sacrément doué pour mettre en images des scènes de guérilla urbaine! La tension monte implacablement, et se transforme en éclat de violence de manière aussi incisive que brute, et on tient là encore une scène qui aurait été tellement banale filmée par quelqu’un d’autre…

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Avec un metteur en scène de cette trempe, les acteurs ne peuvent qu’évoluer en milieu très favorable, et ils en ressortent grandis. On pourrait, dans une certaine mesure, comparer cet effet à celui de la saison 1 de True Detective, dans le sens où la conjonction des talents vaut bien plus que chacun pris séparément. Il y a une sorte de synergie qui se dégage de l’ensemble, permettant de créer avec Sicario un film puissant. Emily Blunt y trouve un rôle tout à la mesure de son talent qui n’est déjà plus à démontrer, et dans le rôle de Kate Macer, cette femme soldat dure et un peu paumée, elle s’avère excellente. Benicio Del Toro trouve là l’un de ses rôles les plus marquants (encore une fois j’ai envie de dire!), passant de l’homme effacé à l’homme totalement impliqué, et entremêlant crainte et respect, pour un personnage dont on ne sait pas de quel côté il vacille.

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Josh Brolin est à son habitude excellent, avec son côté résolument Texan (n’avait-il pas d’ailleur joué le rôle-titre de W., l’improbable Président?), prétentieux et macho, prenant Kate Macer dans son équipe, mais semblant constamment la tenir en joue… Les relations entres les différents protagonistes obéissent à des règles qui vont bien au-delà de leur propre entendement, chacun devant faire avec les infos auxquelles il a droit, et tentant d’avoir une vue d’ensemble de ce qui est en train de se passer. C’est tout le danger de cette mission visant à inculper un trafiquant de drogue agissant au Mexique, et qui contraint les autorités à passer également la frontière du cadre légal. On a également Jon Berthal, qu’on a extrêmement hâte de découvrir dans le rôle du Punisher dans la saison 2 de Daredevil, qui joue un personnage lui aussi complexe, à l’image des autres finalement.

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Sicario représente tout ce que Kathryn Bigelow n’avait pas réussi à faire avec Zero dark thirty, à savoir un film mêlant aspect militaire, sous-texte politique et personnages forts, en les traitant avec des variations de tension impressionnantes! Alors il y a quelques aspects du récit qui paraissent parfois trop appuyés, comme cette perpétuelle volonté de maintenir Kate dans l’ignorance et d’en jouer, mais Sicario offre suffisamment d’originalité dans son traitement narratif et dans l’élaboration de ses personnages, pour être une oeuvre radicale et unique en son genre. C’est avec beaucoup de plaisir que je découvre que Denis Villeneuve n’a pas perdu son potentiel!

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Je reviens encore rapidement sur sa mise en scène, terriblement marquante, car Villeneuve est capable de générer une tension en prenant en compte des éléments paradoxalement anodins. Dans la scène du trajet des voitures, il va filmer 2 personnes en train de jouer avec une balle contre un mur, faire basculer sa caméra sur la gauche pour voir les voitures arriver et prendre un tournant, pour terminer encore furtivement en balayant les mêmes personnes en train de jouer. Villeneuve est un cinéaste qui sublime le réel en y trouvant les bases mêmes de toutes les tensions qu’il génère. Un metteur en scène lambda aurait simplement filmé les voitures sur cette route, sans s’attarder sur la réalité de cette vie qui pulse à ses abords, et c’est dans cet échange permanent entre ce qui prime dans le cadre et ce qui oscille entre la bordure du champ et le hors-champ qu’il trouve la source de toute cette tension, et ce qui fait le génie de son cinéma. Enfin, une partie de son génie, car il y faudrait passer quelques heures pour vraiment analyser sa mise en scène implacable! Quoi qu’il en soit, je suis sacrément plus motivé de voir ce qu’il va faire sur la séquelle de Blade Runner!!!

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