Moon est un film très singulier, qui va prendre pour personnage principal une femme autrichienne se rendant en Jordanie pour donner des cours particuliers. Ce contraste entre l’Occident et l’Orient n’est pas dû au hasard, mais correspond à la double nationalité de la réalisatrice Kurdwin Ayub, née en Irak en 1990 et venue en Autriche en 1991 lorsque ses parents ont fui le pays. Sa double culture va être au centre de son film, qui est son 3ème long métrage après Paradise! Paradise! et Sonne, respectivement en 2016 et 2022. Sarah est une jeune femme pratiquant le kickboxing, qui a l’opportunité de se rendre au Moyen-Orient afin d’enseigner des cours d’arts martiaux à 3 adolescentes issues de la bourgeoisie jordanienne. Elle est embauchée par leur frère Abdul, et se rend chaque jour dans son immense demeure perdue dans l’arrière-pays.
Sarah va faire la connaissance de Fatima, Nour et Shaima, qui ont chacune un caractère très différent et qui n’ont pas non plus la même motivation à suivre les cours de sport. Entre des remarques étranges et des attitudes déplacées, Sarah va sentir un certain malaise planer en ce lieu, mais sans qu’elle puisse mettre le doigt sur ce qui ne va pas. La chorégraphe Florentina Holzinger, réputée pour ses mises en scène étonnantes flirtant avec le scandale, prête ses traits à Sarah en donnant vraiment corps à ce personnage introverti, qui se soucie peu de sa part de féminité et qui s’intéresse davantage à l’aspect brut de l’être humain. Sa composition très instinctive va appuyer le réalisme de ce film, avec un personnage qui va remettre peu à peu en question les différences culturelles qu’elle entraperçoit. Le propos est loin d’être didactique, mais s’inscrit au contraire dans une veine feutrée et réaliste qui va interroger Sarah sur ce qui se passe.
Les 3 soeurs semblent relativement isolées du monde extérieur, avec aucun accès à internet ou aux réseaux sociaux, et les balades pour faire du shopping sont encadrées par des gardes du corps. On sent qu’elles ont peu de marges de manoeuvre, et les actrices Celina Sarhan, Andria Tayeh et Nagham Abu Baker apportent une réelle authenticité à ces jeunes filles semblant virevolter dans une cage dorée. Il s’agit pour toutes les 3 de leur tout premier rôle dans un long métrage (Andria Tayeh a une expérience supplémentaire avec la série AlRawabi School for Girls), et elles s’avèrent impressionnantes dans leur gestion de ces rôles difficiles. Aux côtés de Florentina Holzinger, elles forment un remarquable quatuor d’actrices dans un film traitant d’une manière originale le sujet de la liberté d’expression féminine, voire de la liberté tout court.
Loin des discours pamphlétaires et contre-productifs, Moon va traiter son sujet avec un sens de l’équilibre impressionnant entre une tension qui se construit avec une grande maîtrise et une caractérisation des personnages cherchant à creuser l’intime de manière fugace. On pense à l’excellent Maryland d’Alice Winocour, avec un soupçon du tout aussi excellent Guerrière de David Wnendt, l’actrice germano-ukrainienne Alina Levshin pouvant être considéré comme un pendant de la Sarah de Florentina Holzinger. L’atmosphère va devenir de plus en plus étouffante, grâce à un traitement scénaristique là encore d’une très grande justesse de la part de la réalisatrice qui est également à l’origine du script. Moon est un savant mélange de film d’auteur et de thriller, qui mis en scène par d’autres se serait révélé plus explosif, mais dont le traitement par Kurdwin Ayub crée un glissement inexorable appuyé par une certaine frustration, et qui même dans sa résolution ne cède pas à la facilité. On est très rapidement pris dans ce récit étrange qui va avancer par strates, pour nous emmener dans un parcours de vie inexorable dans lequel le destin de ces 4 femmes va être durablement lié.
Kurdwin Ayub gère la tension traversant l’ensemble de son film, et on sent qu’elle a savamment dirigé ses actrices dans ce film au rythme étonnant et à la maîtrise impressionnante.