Gregg Araki est un nom faisant immédiatement écho aux 90’s, période prolifique pour le metteur en scène américain, puisqu’il nous y livrait ses oeuvres les plus emblématiques. Natif de Los Angeles et ayant grandi à Santa Barbara, Araki fait partie d’une jeunesse gravitant autour du monde du cinéma, et il obtient 2 diplômes dans le domaine du 7ème art, avant de se lancer en 1987 dans la production de son premier long métrage, Three Bewildered People in the Night, qui lui vaudra 3 prix au Festival de Locarno. Des débuts prometteurs pour un réalisateur très ancré dans le réel, dont les sujets principaux sont les romances hétéros et gays, explorations qu’il poursuivra en 1989 dans The Long Weekend (O’Despair) et en 1992 dans The Living End.
C’est en 1993 qu’il réalise Totally F***ed Up, première pierre de sa trilogie Teenage Apocalypse. Construit quasiment comme un documentaire, il va suivre une bande d’amis gays et lesbiennes dans leur quotidien fait de fêtes, de questionnements et d’ennui. Ce film marque la rencontre entre Araki et James Duval, qui deviendra l’un de ses acteurs fétiches en jouant notamment dans l’ensemble de la trilogie. Totally F***ed Up traite frontalement des problèmes que rencontrent les membres de la communauté gay dans les années 90, avec la peur du Sida et les traques par les fachos. On a de nombreux moments où les acteurs se retrouvent face caméra afin que leur personnage exprime ses sentiments, et Araki a souhaité adopter cette mise en scène très réaliste, qui fait de ce film une sorte d’instantané de l’existence dans les 90’s. On ressent déjà les prémices de ce que deviendra son cinéma, avec ces quelques plans fixes mettant en avant l’esthétique des lieux, et que traversent des personnages étranges en arrière-plan…
En 1995, The Doom Generation upgradera directement son style visuel et narratif, avec ce récit centré sur un road trip meurtrier suivant 3 jeunes désoeuvrés. On y retrouve donc James Duval, qui est accompagné par Rose McGowan et Johnathon Schaech. Tout comme dans Totally F***ed Up, le personnage incarné par Duval est en décalage avec ses proches, et on va suivre le glissement progressif de sa romance avec Amy (Rose McGowan) vers un triangle amoureux complexe. Araki réalise un film hétéro dans lequel on sent des vibes gays entre les persos incarnés par Duval et Schaech. Graphiquement, The Doom Generation est nettement au-dessus de ses précédentes oeuvres, et le film s’inscrit parfaitement dans cette mouvance esthétique sauvage qui ne déplaisait pas non plus à Oliver Stone et David Lynch. Le film explore les attractions sexuelles de manière très frontale, et offre un sentiment de liberté empreint de pessimisme qui marquera durablement les spectateurs. En l’espace de 2 films, on ne peut pas dire que James Duval soit l’archétype de l’homme heureux, et les destins funestes qu’il connaît renforcent cet état de fait ^^
Gregg Araki a marqué les esprits avec cette comédie dark complètement déjantée dans laquelle les 3 jeunes brillaient avec leurs personnages très différents. James Duval est l’archétype du gars trop gentil et dépressif, Rose McGowan joue de manière électrisante sa petite amie qui n’est pas contre un peu d’aventures, et Johnathon Schaech est l’exemple typique du personnage arakien totalement décomplexé et prêt à assouvir tous ses fantasmes. L’univers d’Araki est fait de sexe, de drogues, de musique et de folie permanente, et The Doom Generation représente parfaitement le glissement de l’existence d’une certaine jeunesse dorée californienne.
Mais son morceau de bravoure reste sans conteste Nowhere, film culte pour toute une génération, qui est parvenu à mixer de manière parfaite tous les excès du monde hollywoodien et qui représente la quintessence de la perdition humaine en moins d’1h30. On va une fois encore explorer la thématique du sexe chez les jeunes branchés de LA, en allant piocher du côté des hétéros, des gays, des lesbiennes et des drag-queens, et Araki s’est fait le chantre de cette contre-culture underground qui est aux antipodes du militantisme actuel. La représentation sexuelle d’Araki est sincère, drôle, émotive et puissante, et on va suivre ces récits multiples sur fond de société légèrement dystopique dans laquelle les élèves assistent à des cours sur les apocalypses nucléaires, un extra-terrestre lyophilise des bimbos décérébrées et une star d’Alerte à Malibu joue une version hardcore d’elle-même!
Nowhere est le film le plus pop, envoûtant et hypnotique d’Araki, et il bénéficie d’un casting impressionnant avec de nombreux noms en vogue à l’époque où qui allaient le devenir, comme Chiara Mastroianni, Christina Applegate, Ryan Philippe, Heater Graham, Mena Suvari, Beverly D’Angelo, Denise Richards, Traci Lords, Shannen Doherty, Rose McGowan… Cette fois-ci, James Duval va encore morfler à cause de sa copine qui veut coucher avec tout le monde alors que lui aspire à une existence de couple normale et romantique, et une fois encore, il semble à contre-courant et pas fait pour ce monde… Il va promener son spleen à travers le film en se trimballant avec sa caméra, histoire d’être le témoin de l’apocalypse à venir… Il répond au nom de Dark, ce qui correspond parfaitement à son ressenti ^^
Nowhere est une radiographie de la décadence d’une certaine jeunesse dans ces 90’s ô combien nostalgique, et il va traiter de religion, d’abus sexuel, de libération sexuelle, de drogue, de musique, de premiers émois, le tout dans un maelstrom totalement barré et hyper coloré, avec un Araki nous gratifiant de plans iconiques à souhait et d’un mélange d’humour absurde et d’horreur métaphysique qui fait de ce film un chef-d’oeuvre mésestimé! Nowhere est punk, Nowhere est fou, Nowhere est sublime !!!