True Detective saison 1 (Nic Pizzolatto, 2014)

True Detective fait partie des séries des années 2010 dont le souvenir devrait perdurer, grâce à son aura particulière, la force évocatrice de son ambiance et la richesse thématique qui la caractérise. On jurerait voir une adaptation de roman tant le matériau est à la fois dense et extrêmement travaillé, mais il n’en est rien, et True Detective bénéficie d’un scénario original. Ecrite et produite par Nic Pizzolatto, cette série va plonger deux enquêteurs dans les profondeurs moites et sordides de la Louisiane des années 90. L’auteur va sublimer l’atmosphère si particulière de ce territoire grâce à une écriture audacieuse et complexe, offrant un solide écrin littéraire à ce récit sombre et sans concessions. La passion de Pizzolatto pour l’écriture (il a publié 2 romans) se fait ressentir dès les premières minutes, et tout au long des 8 épisodes de la série, il nous gratifiera d’un point de vue vraiment puissant sur ce microcosme, son passé tumultueux et son présent assombri.

Le personnage de Matthew McConaughey, Rust Cohle, est un régal d’écriture, Pizzolatto se servant de lui pour démonter tous les mécanismes destructeurs de la civilisation, utilisant son personnage comme un observateur extérieur de toute cette folie silencieuse qui nous consume. Rust est un être définitivement à part, possédant une théorie très radicale sur l’humanité, et qui ne semble prendre de plaisir à rien. A son total opposé, le personnage de Woody Harrelson apparaît comme un être sensé et jovial. Marty Hart a une belle femme et deux jolies filles, mais contrairement à Rust, il (se) cache ses défauts et ses faiblesses. Les deux policiers sont tout ce qu’il y a de plus indissociable, mais ils vont devoir faire équipe pour enquêter sur ce qui apparaît comme des meurtres rituels dans un état de Louisiane pas si paisible que ça…

Matthew McConaughey est tout simplement génial dans ce rôle incroyable qui lui va parfaitement, et il rend véritablement honneur au grand sens de l’écriture de Nic Pizzolatto en donnant chair à Rust Cohle d’une manière tout aussi complexe et surprenante que l’est la plume de l’auteur. Il est véritablement marquant dans ce rôle, élément anachronique arrivant sur ces terres de Louisiane en bousculant tout, et s’y fondant peu à peu de manière mimétique. Le travail physique, postural, vocal, tout dans son jeu est captivant, et il offre la vision désabusée d’un Rust fatigué mais toujours à la recherche d’une dernière provocation. A ses côtés, Marty Hart semblerait presque normal, mais le talent de Woody Harrelson lui permet de mettre en lumière le côté looser du personnage tout en ne le décrédibilisant pas, et en permettant aux spectateurs de conserver un certain intérêt pour lui. Ses errements amoureux, la façade de sa vie familiale s’effritant de plus en plus, sa perte progressive d’équilibre en font un personnage certes moins intéressant que celui de Rust, mais il offre une autre dimension à cette enquête. Les deux points de vue vont se confronter, s’affronter et s’apprivoiser pour oeuvrer de concert sur ce Mal insidieux rongeant les alentours.

Cary Fukunaga a réalisé deux films, Sin Nombre et Jane Eyre (version 2011), et son apport à True Detective est indéniable. Il faut signaler, contrairement à d’autres séries où les réalisateurs se succèdent au gré des épisodes, que Fukunaga est le metteur en scène de l’ensemble du show, offrant ainsi une cohésion totale entre l’écriture et l’aspect visuel. Sa manière de filmer la Louisiane est juste sublime, et s’aligne à la perfection sur la sensibilité littéraire de Pizzolatto. L’atmosphère pesante et mystérieuse est travaillée avec un soin étonnant, et True Detective nous plonge avec passion dans cette enquête difficile située dans des lieux magnifiques et intemporels dont Fukunaga semble avoir percé tous les mystères . Il faut signaler que le générique réalisé par le studio australien Elastic Wit est tout simplement somptueux, offrant les prémices de l’atmosphère languissante et tortueuse que va développer la série. Les magnifiques photographies se suivent en transparence, accompagnées par le morceau envoûtant Far from any Road du groupe de country alternative The handsome Family qui achève de plonger le spectateur dans ces limbes captivantes.

Le casting de la série peut compter sur des acteurs très talentueux, avec Michelle Monaghan qui joue la femme de Marty, et qui use de tout son talent pour mettre en lumière les difficultés de cette femme délaissée. Les autres sont moins connus, mais ne déméritent pas tant ils parviennent à s’immiscer dans ce récit étrange avec beaucoup de volonté. On retrouve même Lili Simmons, qui décidément se plaît à jouer les garces! Son rôle n’est certainement pas aussi percutant que dans Banshee, mais ça fait plaisir de la retrouver!

La narration très particulière de True Detective est également pour beaucoup dans l’intérêt du show. Les aller-retour perpétuels entre les années 90, époque de l’enquête initiale, et l’époque contemporaine où Rust et Marty sont interrogés sur les événements d’il y a 20 ans, donnent une densité indéniable à l’ensemble, et Nic Pizzolatto se plaît à jouer avec les zones d’ombre et les révélations progressives. Il éclate totalement sa narration, pouvant terminer un épisode sur un cliffhanger et ne l’évoquant pas du tout dans le prochain! Il s’est vraiment libéré des contraintes scénaristiques habituelles, et nous gratifie de quelques moments percutants sans prévenir, comme ce plan-séquence de 6 minutes tout simplement majestueux à la fin de l’épisode 4, qui démontre si besoin est que la virtuosité n’est plus l’apanage exclusif du cinéma!

La fin de saison peut décevoir par son caractère plus logique, et c’est surtout dans ses chemins de traverse que True Detective tire toute sa substantifique moelle. Mais il faut bien arriver à une conclusion, et celle-ci reste intéressante, même si au final c’était surtout le mystère qui rendait le tout palpitant. On termine donc cette saison avec un léger goût d’amertume, non pas dû à un essoufflement du récit, mais à l’obligation de le terminer, déjà… Reste le souvenir impérissable de deux acteurs incroyables, d’un personnage génial, et d’un show qui a bousculé nos sens pour mieux nous surprendre!

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