A plusieurs reprises ces dernières années, José Rodrigues Dos Santos a fait des infidélités à son personnage fétiche Tomas Noronha. Le temps d’un diptyque consacré à l’entrepreneur arménien Calouste Gulbenkian (L’Homme de Constantinople et Un Millionnaire à Lisbonne), mais également pour se consacrer à un autre diptyque, centré cette fois sur la figure d’Herbert Levin, alias le Grand Nivelli. Sous ce nom un peu pompeux se cache un magicien allemand, ayant fui son pays avec sa famille pour gagner la Tchécoslovaquie. Avec la montée du national-socialisme, ses origines juives le pressent de quitter sa patrie afin de protéger les siens. Mais il sera rapidement rattrapé par l’Histoire, alors que les troupes allemandes envahissent la nation en 1939.
Avec le recul et en connaissance des événements douloureux survenus sous l’occupation nazie, il n’est pas aisé de replonger dans l’une des pages les plus abjectes de l’Histoire. J.R. Dos Santos explique en annexe qu’il a hésité pour plusieurs raisons à se lancer dans ces romans, mais que finalement cela lui semblait nécessaire. Lorsqu’on voit les doutes et les questionnements qui vont inévitablement se poser pour Herbert et pour les presque 6 millions de victimes de cette entreprise de destruction, on ressent une impuissance profonde face aux faux espoirs que les personnages peuvent ressentir. Ils n’ont pas encore conscience de l’engrenage infernal qui va s’abattre sur eux, et la position plus éclairée du lecteur apporte un sentiment de malaise diffus. Le Magicien d’Auschwitz fait partie de ces romans qui ne peuvent pas forcément se lire d’un tenant, car il faut aller respirer un peu d’air pur avant de pouvoir y replonger le temps de quelques chapitres.
Herbert Levin va rapidement perdre de plus en plus de libertés, et Dos Santos va nous accompagner à ses côtés pour suivre la descente graduelle aux enfers du magicien et de ses proches. L’interdiction d’entrer dans certains lieux, l’interdiction d’acheter certains aliments, les couvre-feux spécifiques et changeants… L’existence en Tchécoslovaquie va déjà serrer le carcan de manière bien absurde, avec des interdictions parfois incompréhensibles. Le régime nazi souhaite simplement asseoir son autorité, et faire un exemple avec les ressortissants juifs.
J.R. Dos Santos adopte une forme qu’il apprécie beaucoup, puisqu’il va alterner les chapitres entre l’histoire de Levin et celle de Francisco, un soldat portugais enrôlé dans l’armée allemande. Francisco vient de la Légion Etrangère, et va être amené, comme d’autres soldats de nationalités différentes, à endosser l’uniforme des SS. Ce choix de diviser en 2 le roman permet d’apporter quelques moments de respiration, même si les 2 récits s’enfoncent de plus en plus dans une atmosphère sombre. On pourra regretter que les personnages ne soient pas davantage travaillés, mais au final c’est un reproche qu’on peut faire à l’auteur concernant Tomas Noronha et les autres protagonistes gravitant autour de lui. L’aspect principal de ses oeuvres ne réside pas dans la profondeur de ses héros, mais dans l’élément historique ou scientifique dans lequel ils baignent. Le Magicien d’Auschwitz ne fait pas exception à la règle, et on a 2 personnages principaux un peu lisses pris dans la tourmente de la Seconde Guerre Mondiale.
Le sujet de ce livre est la Shoah elle-même, et Levin et Francisco ne sont que 2 protagonistes lambdas parmi tous ceux qui se sont retrouvés pris dans ce piège de l’Histoire. Il y a un côté anonyme qui fait que ce récit pourrait être celui de tous les autres ayant été victimes des SS, et Dos Santos fait de plus en plus ressortir la noirceur du régime, avec la découverte progressive du camp d’Auschwitz. L’auteur apporte des détails géographiques et sociaux intéressants, même si une fois encore, il ne s’agit pas d’une lecture forcément aisée. Dans un genre similaire, La Mort est mon Métier de Robert Merle, datant de 1952, explore le quotidien dans le camp d’Auschwitz par le biais de la figure détestable de Rudolf Höss, le commandant du camp qui a créé les fours crématoires… Ou dans un registre légèrement moins sombre, on a le très bon Les Mains du Miracle de Joseph Kessel.
Un élément m’a un peu perturbé tout au début : avant le début de chacun de ses livres, J.R. Dos Santos place la mention « Toutes les données historiques et scientifiques présentées ici sont vraies ». Ici, il va écrire « Cette oeuvre de fiction est inspirée de faits réels ». Il va intelligemment expliquer en annexe pourquoi il ne peut pas dire que sa description est totalement réelle, mais on se rapproche certainement au plus près de ce qu’ont vécu les victimes de la Shoah. Par contre, cette note intervenant à la toute fin du roman, et celui-ci étant un diptyque, on peut s’attendre à ce que sa suite Le Manuscrit de Birkenau soit bien plus atroce… J’avoue avoir une nette préférence pour la série des Tomas Noronha, mais même si cette plongée dans l’horreur n’est pas évidente, on sent que Dos Santos a voulu être le plus réaliste possible. C’est justement ce réalisme qui peut faire hésiter lorsqu’on se lance dans une telle lecture…