Second volet du diptyque consacré au multi-millionnaire Calouste Gulbenkian après L’Homme de Constantinople, Un Millionnaire à Lisbonne commence avec les prémices de la Première Guerre Mondiale, alors que l’effervescence et le nationalisme montent en Allemagne, et que tout le monde pense que s’il y a conflit, celui-ci sera de très courte durée. On retrouve donc notre homme d’affaires arménien à Londres, tandis qu’il va devoir s’adapter aux frémissements géopolitiques en cours. J’avais lu le premier bouquin sans y retrouver l’attrait majeur des romans consacrés à Tomás Noronha, le personnage principal ne possédant pas le même capital sympathie. J’ai entamé la lecture de ce second bouquin dans un souci de complétude par rapport aux oeuvres de J.R. Dos Santos, qui est l’un de mes romanciers favoris avec Joe R. Lansdale.
Son style permet toutefois de maintenir un intérêt même lorsque les personnages ne nous parlent pas spécifiquement, et il y a quelques améliorations significatives dans ce second ouvrage, avec une traversée historique du XXème siècle bien immersive par moments. Dans l’ensemble, ce roman reste l’évocation d’un magnat du pétrole en expliquant comment il a assuré sa fortune, mais le récit va parfois bifurquer vers quelque chose d’inattendu. Le moment le plus dramatique reste sans conteste cette évocation des plus frontales du génocide arménien, que Dos Santos va nous faire vivre de l’intérieur en mettant en lumière toute la cruauté des bourreaux turcs. Je ne m’attendais vraiment pas à lire des chapitres aussi tragiques et révoltants, et j’avoue avoir été secoué par ces actes d’une violence physique et psychologique inouïes… D’un coup, on se retrouve plongé dans un récit de désespoir et d’abomination extrêmes, et dont la véracité n’a toujours pas été reconnue de nos jours par les autorités turques…
Pour nous immiscer dans cette tranche honteuse de l’Histoire, Dos Santos va inventer une relation fictive entre le fils de Calouste (dénommé Kaloust dans ce roman) et une jeune fille de son village. Le fils est nommé Krikor (il s’appelle en réalité Nubar) et va être malgré lui un guide à travers les Marches de la Mort… Je n’ai trouvé aucune mention que Nubar ait traversé une telle épreuve, il s’agit très certainement d’un moyen pour Dos Santos de relier plus dramatiquement cette atroce épreuve à la famille Gulbenkian (Sarkisian dans les livres). La portée de ces événements est telle, qu’elle s’inscrit dans une veine similaire à celle du génocide juif perpétré par les Nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale. Et c’est réellement très difficile à lire… Mais Dos Santos participe à un devoir de mémoire primordial par le biais de ces passages, qui s’avèrent terribles, nous démontrant comment il est très facile de déshumaniser des personnes…
Un Millionnaire à Lisbonne va ensuite revenir sur des considérations plus mercantiles vis-à-vis de Kaloust, qui poursuit ses négociations afin de régner sur le monde du pétrole. Ce qui permet à Dos Santos de nous proposer quelques chapitres au suspense palpable, notamment lors de la mise en place d’un accord très fameux permettant à sa compagnie pétrolière Turkish Petroleum Company de bénéficier en partie de tous les gisements qui pourraient être trouvés dans l’ancien empire ottoman. Une sorte de clause de non-monopole, obligeant notamment les compagnies américaines à partager leurs découvertes! Les négociations s’avèrent très savoureuses, et on ressent alors toute la finesse et la force de frappe de l’homme d’affaires arménien!
On va ensuite traverser d’autres affres du XXème siècle, avec bien évidemment la Seconde Guerre Mondiale, puisque Kaloust, qui vivait à Paris, va suivre le gouvernement en se rendant à Vichy. Là encore, on va vivre quelques chapitres centrés sur l’Occupation qui s’avèrent intéressants, avec la vision de la classe aisée tentant de s’adapter à cette situation. Un Millionnaire à Lisbonne offre donc quelques moments plus prenants que L’Homme de Constantinople, même si je ne parvenais pas vraiment à m’attacher à ce personnage intraitable. Ses infidélités « thérapeutiques » à base de jeunes femmes, ça reste quand même très moyen, et totalement hypocrite. Là encore, est-ce uniquement dans le roman, mais cela n’aide pas à apprécier le personnage. On ne peut évidemment pas passer outre son amour de l’art, dans lequel il faisait également preuve d’un grand art de la négociation.
Bon, j’attends maintenant avec impatience Immortel, le prochain Tomás Noronha !!!