La Mort est mon Métier (Robert Merle, 1952)

Robert Merle (ci-dessous) est un écrivain français ayant démarré sa carrière en 1949 avec Week-End à Zuydcoote, qui sera adapté en 1964 par Henri Verneuil. Merle a été très marqué par la Seconde Guerre Mondiale, durant laquelle il a été agent de liaison avec les forces britanniques, ce qui le conduira à être retenu prisonnier de 1940 à 1943. En 1950, il décide d’entamer l’écriture d’un roman consacré aux camps de concentration, en se penchant sur la figure maléfique de Rudolf Höss, rebaptisé Rudolf Lang dans le roman.

On pourrait se dire que cette « littérature concentrationnaire », qui a démarré directement après la fin de la guerre, avait pour vocation d’exprimer ce qui s’était réellement passé dans ces lieux de cauchemar, et qu’elle était nécessaire pour le devoir de mémoire. C’est effectivement le cas, mais politiquement il était préférable pour les relations entre les pays européens de cacher tout ça et de ne plus l’évoquer… Donc dès 1950, Robert Merle savait que sa tâche ardue ferait grincer des dents, et qu’il agissait à contre-courant de ce qui était admis… Mais La Mort est mon Métier apparaît comme un mélange de fiction et d’histoire réellement indispensable, afin de comprendre à quel point l’Homme a pu tomber aussi bas pour se renier lui-même…

La première partie du livre va être une évocation romancée de la vie de Rudolf Höss, de son plus jeune âge à son engagement chez les SS, en passant par les différentes mobilisations effectuées pour son pays en tant que militaire. Robert Merle nous décrit un individu socialement limité, qui préfère la solitude à la compagnie de ses semblables, mais qui semble surtout gouverné par un besoin de contrôle. Un exemple très simple avec ce besoin constant, lorsqu’il est gamin, d’effectuer un cheminement très précis en comptant le nombre de pas effectué. Il y a à plusieurs reprises des situations comme celles-ci, qui paraissent anecdotiques, mais qui révèlent une certaine structure de sa pensée. Rudolf Lang est un individu qui ne semble pas capable de trouver de raisons de faire les choses par lui-même, mais qui a besoin d’être guidé afin d’avancer. C’est lors d’un travail pénible en usine que ce schéma va réellement se révéler, puisqu’il ne veut pas mentir pour ralentir la cadence et être solidaire avec ses collègues, et préfère se mettre tout le monde à dos en respectant le contrat de départ. Rudolf est un homme toujours prompt à accomplir une tâche donnée par un supérieur hiérarchique, sans se poser la question de sa pertinence…

Ce schéma fonctionnel va être vérifié à plusieurs reprises, et il va apparaître comme un soldat très zélé, obéissant à ses supérieurs sans la moindre remise en doute du commandement. Un individu qui s’efface au profit de son pays, un bon petit soldat qui ne pose pas de questions. De fil en aiguille, il va prendre de plus en plus de responsabilités, et va se retrouver au camp de Dachau en novembre 1934. Il s’agit de sa première expérience dans le milieu concentrationnaire, et sa rigueur va lui faire grimper les échelons, jusqu’à devenir en 1940 le commandant du camp d’Auschwitz… Il y arrive afin de développer la capacité d’accueil des prisonniers, mais également afin de trouver des moyens d’augmenter le rendement de la Solution Finale… Et cet individu zélé, totalement fidèle à sa patrie et admiratif du Reichsführer Heinrich Himmler, va tout mettre en oeuvre pour plaire à ses supérieurs… En niant toute humanité à ses prisonniers juifs, il va mettre en oeuvre une machine de mort implacable, et apparaît comme l’un des artisans les plus atroces du IIIème Reich.

L’évocation de cette partie de l’existence de Rudolf est très difficile, mais elle est faite avec une sorte de neutralité soulignant bien son détachement vis-à-vis de ses victimes. A aucun moment, il ne va se poser de questions sur la pertinence de ce qu’il est en train de faire, et encore moins sur la cruauté de ses actes. En bon petit bureaucrate, il ne fait qu’obéir à des ordres qui lui sont donnés, et il n’est en aucun cas responsable de ce qui est en train de se passer. Il n’est qu’un rouage d’une machine qu’il ne va pas certainement pas remettre en question, et il va passer ses journées à trouver des moyens d’optimiser les méthodes utilisées dans ce camp… C’est ainsi qu’il va développer l’utilisation du Zyklon B et faire construire des fours crématoires de très grandes dimensions… Le plus difficile en lisant tout ça, c’est de voir l’absence de considération pour l’être humain, la négation même des individus se tenant face à lui, qui ne sont que des statistiques… « Il avait suffi d’une boîte d’un kilo de Cyclon B pour liquider, en dix minutes, 200 inaptes. Le gain de temps était considérable, puisqu’avec le système de Treblinka, il fallait une demi-heure, sinon davantage, pour atteindre le même résultat. Par ailleurs, on n’était pas limité par le nombre des camions, les pannes mécaniques, ou le manque d’essence. Le procédé, enfin, était économique, puisque le kilo de giftgas – comme je le vérifiais aussitôt- ne coûtait que 3 marks 50. »

Si la première partie du roman est une extrapolation de la vie de Rudolf Höss, la seconde est basée sur de nombreux documents du procès de Nüremberg, et dévoile la terrible réalité derrière ce processus immonde… On croit souvent que les monstres sont des êtres vicieux et pervers, mais ils peuvent également être de simples fonctionnaires zélés, qui se refusent à réfléchir à la portée de leurs actes et se dédouanent de ces derniers en se disant qu’après tout, ils ne font que respecter les ordres… Et dans chaque guerre, les Rudolf Höss sont très nombreux…

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