Si le titre de cette série anthologique fait immédiatement référence au Us de Jordan Peele, on se dit que l’opportunisme est de mise puisque l’auteur n’a rien à voir avec ce show. Et quand on sait que ça traite des déboires en mode horrifique d’une famille noire comptant 2 enfants, on se dit que là encore, la similitude est presque forcée. Mais après avoir lu une critique enjouée de la chose, je me suis décidé à plonger dans cette première saison intitulée Covenant (qui signifie « engagement »), et j’ai été sacrément bluffé par la création du showrunner Little Marvin! Il s’agit de son premier travail d’écriture, et il fait preuve d’une maturité que de nombreux auteurs ne parviendront pas à atteindre en une carrière! Si j’évoquais des similitudes avec le travail de Jordan Peele, c’est qu’ils partagent une vision horrifique du racisme avec un traitement où l’absurde le dispute au choquant, créant ainsi une atmosphère véritablement déroutante et captivante. On sent que Peele a fait beaucoup de bien au genre en ouvrant une certaine voie dans laquelle d’autres auteurs ont pu s’engouffrer (avec Antebellum notamment), et ce terreau va s’avérer très fertile pour les esprits aiguisés comme celui de Little Marvin.
Nous sommes en 1953, et nous suivons l’emménagement d’Alfred et Livia « Lucky » Emory, qui ont fui une Caroline du Nord très raciste pour tenter leur chance dans un quartier résidentiel de Californie. Le poste d’ingénieur qu’Alfred a obtenu est un moyen inespéré de commencer une nouvelle existence, et le couple arrive avec ses 2 filles à Compton, une banlieue peuplée presque uniquement de Blancs. Autant dire qu l’accueil ne va pas être des plus chaleureux, et un combat âpre se prépare pour faire valoir leurs droits… Le traitement très frontal du racisme est véritablement captivant, avec des événements que l’on pourrait de nos jours penser exagérés, mais qui collent malheureusement parfaitement à la réalité de l’époque (et qui perdurent encore de manière plus ou moins latente de nos jours). On se croirait dans une sorte de Desperate Housewives semi-bourgeois pour Blancs supérieurs, mêlé à un peu de Femmes de Stepford, et le malaise que crée cette soi-disant supériorité est relativement violent. L’actrice Alison Pill (American Horror Story, Devs) est impressionnante de froideur et de rage contenue, dans son rôle de la voisine persuadée de son ascendant sur cette famille de Noirs. Son éloquence et sa passion pour défendre ses convictions et son quartier font froid dans le dos, et elle confère au personnage de Betty une puissance de manipulation très inquiétante.
Deborah Ayorinde (qui jouait dans Luke Cage) campe Lucky Emory avec une grande conviction, et on sent toutes les tensions qu’elle subit et les instincts qu’elle réfrène constamment. Le personnage n’a pas eu l’existence facile, c’est le moins que l’on puisse dire, et un des épisodes s’avère clairement choquant avec un récit difficilement supportable. Mais cela va également démontrer à quel point elle est une survivante, et comment elle peut encore puiser des forces dans cette bataille abjecte. Mais s’il y a bataille contre le voisinage, il y a également un combat qui se joue au sein même de son domicile, avec une présence très inquiétante sous son toit. La manière dont Little Martin traite la thématique du racisme s’avère déjà très impressionnante, et le choix de la doubler avec le thème de la maison hantée permet de complexifier de très belle manière le propos. Ce qui rôde dans les parages est-il réel, où n’est-ce qu’une projection des instincts et des peurs enfouis au plus profond de la famille? En tout cas, cela donne l’occasion de plonger dans des séquences bien stressantes et menées avec très grand soin…
Ashley Thomas (24: Legacy) donne lui aussi une densité très palpable à son personnage, ce père de famille qui va être confronté à différentes menaces et qui va tout faire pour protéger sa famille sur tous les fronts. Il y a des séquences tellement absurdes et pourtant tellement injustes, comme celles qu’il subit au travail, que l’on comprend la rage qui bouillonne de plus en plus en lui. Toujours se taire et subir, courber l’échine afin de conserver son poste, et accepter les humiliations pour subvenir aux besoins de sa famille. L’impartialité est flagrante et les mauvais traitements psychologiques d’une telle évidence, mais c’était simplement la norme dans les années 50… Les crises d’angoisse qu’il ressent sur son lieu de travail sont visuellement très réussies, et démontrent tout ce qui se bouscule sous son crâne oppressé… Et que dire de ce tap dancer grimé, qui semble représenter sa part d’ombre et de révolte? Cet être s’avère vraiment flippant avec sa gestuelle exagérée et sa noirceur profonde, visible dans ses yeux terrifiants… Il offre des scènes à la portée dramatique très réussie, et est sans conteste l’un des personnages les plus flippants du show!
On parlait de Us? Shahadi Wright Joseph y incarnait la fille du couple, et elle incarne également la fille du couple de Them! Elle était déjà impressionnante dans Us, et elle s’avère tout aussi douée dans cette série, avec un rôle moins ambivalent mais clairement pas évident non plus. Avec elle, on va suivre ses problèmes de collégienne qui n’a pas la bonne couleur de peau, et les différents ressentis qui vont la chambouler. Et la jeune actrice Melody Hurd s’avère elle aussi impressionnante dans le rôle de la petite Gracie, avec une capacité à passer de toute mignonne à très flippante, avec les visions qu’elle a… Ca doit être difficile pour une gamine de son âge d’interpréter un tel rôle, mais elle s’en sort vraiment bien!
Them possède une atmosphère résolument intriguante et inquiétante, et parvient à traiter le réel et le fantastique avec la même intensité. Il y a juste un segment qui me parait exagéré concernant la voisine Betty, et qui est peut-être de trop dans la série. Mais l’ensemble s’avère très captivant et on est happé par cette vision sans concession du racisme normalisé des années 50… Le travail des metteurs en scène est remarquable (ils sont 5, dont Ti West, réal de The Innkeepers et d’un segment de V/H/S), et ils s’harmonisent parfaitement pour créer un climat très malaisant dans ce quartier tout propret digne de Bree Van De Kamp… Le rejet viscéral de la fille aînée par ses camarades de classe est violent, heureusement elle fera une rencontre qui pourrait bien l’aider à surmonter tout cela… La petite Gracie voit une vilaine dame lui rendre visite de temps à autre, et ce personnage est bien flippant… L’utilisation de la musique est excellente lors des différentes séquences, et contribue à modifier radicalement l’ambiance en une fraction de seconde, et participe activement à certains passages bien décalés.
Them est une très belle réussite, d’une densité impressionnante et qui offre un regard très intéressant sur la condition sociale déplorable de la population noire à cette époque…