Le Requiem des Abysses (Maxime Chattam, 2011)

Maxime Chattam oscille régulièrement entre romans indépendants et cycles, et ce Requiem des Abysses fait partie d’un diptyque entamé avec Léviatemps, paru en 2010. Je ne l’avais pas chroniqué, mais je vais rapidement revenir dessus sans spoiler. L’intérêt de Léviatemps était de nous plonger dans le Paris de l’année 1900, carrefour temporel et technologique personnifié par l’Exposition Universelle qui battait son plein. On y suivait le romancier Guy de Timée, ayant fui le carcan de son existence trop embourgeoisée pour venir trouver une échappatoire dans l’anonymat du Paris populaire. Maxime Chattam parvenait à nous immerger dans une époque grouillante de nouveautés tant spirituelles que techniques, et on assistait à l’élaboration de ce qui allait donner naissance à l’ère moderne.

Durant une bonne moitié du bouquin, j’étais plutôt bien pris par cette enquête intriguante sur des meurtres de prostituées, Guy tentant de percer à jour les mystères que recelaient chaque crime. A ses côtés, on explorait les ruelles malfamées de la capitale ainsi que les lieux plus touristiques, avec toujours une approche historique intéressante. Mais l’enquête commençait ensuite à faire un peu de surplace, notamment dans l’utilisation de la graphologie pour étudier les lettres du tueur. Mais ça se lisait tout de même agréablement, le savoir-faire de Chattam en terme d’intrigue fonctionnant bien.

Du coup, j’ai commencé cette suite sans trop savoir si j’allais m’immerger davantage, et au final je l’aie trouvé plus aboutie. On quitte le tumulte de la vie parisienne pour atterrir quelques mois plus tard dans la campagne du Vexin, où Guy s’est retiré après sa première enquête. Il vit dans une grande demeure appartenant à l’un de ses amis, et va se retrouver confronté à une série de meurtres ayant lieu dans le village où il vit et aux alentours. Encore une fois, il va se retrouver confronté au Mal, et va tenter de le débusquer… L’un des aspects les plus intéressants de ce bouquin, c’est la plongée dans les abîmes du personnage lui-même, qui pour comprendre la nature du Mal, va essayer de cerner sa propre part obscure. Dans un souci de mimétisme, afin de se rapprocher du tueur, il va explorer sa noirceur avec une belle acuité. « J’ai arpenté mon esprit jusqu’à trouver la porte de ma part d’ombre. Puis je l’ai ouverte et j’ai regardé ce qu’il en sortait. Et comme ça ne suffisait pas, je suis entré. C’est l’affaire Hubris qui m’a permis de réellement cerner ma part d’ombre, mes ténèbres. C’est grâce à elle que j’ai pu contempler mes abysses. »

Guy va donc enquêter dans les fermes, dans les villages et dans la nature environnante pour nous faire découvrir la ruralité de la fin du 19ème siècle, tout en nous présentant une galerie de personnages qui va alimenter l’aspect Cluedo de l’ensemble. Plusieurs personnes pourraient être suspectes, et il va falloir un travail poussé pour tenter de déterminer qui est le responsable de ces crimes atroces. Avec ce livre, Chattam nous présente un personnage qui se veut précurseur dans le domaine du profilage et de la psychologie criminelle. Son analyse est plus captivante que dans le tome 1 finalement, en reprenant des notions déjà utilisées, en les prolongeant et en y ajoutant des nouveautés. On se retrouve face à un vrai roman d’enquête prenant, agrémenté d’une belle peinture de la vie sociale du 19ème siècle.

La progression dramatique est très intéressante également, et ce bouquin ne peut être dévoré sans avoir au préalable lu le premier. On y retrouve des personnages déjà croisés et on va notamment poursuivre une intrigue intime concernant Guy. L’affaire de Léviatemps va être rappelée de temps à autre, et l’enquête précédente va être un point de comparaison intéressant avec cette nouvelle enquête. Ce qui intéresse avant tout Chattam, ce sont les constructions psychologiques de ces êtres appelés à faire le Mal, individus dévoyés aux jugements obscurcis et au psychisme troublé, très souvent par des expériences traumatisantes dans l’enfance. Chattam aime explorer le Mal et en analyser les racines, pour donner un sens à ce qui de prime abord ressemble à un chaos sans nom. A travers ses oeuvres, il tente de construire une logique du Mal, d’en cerner ses origines et d’en comprendre ses répercussions, comme dans un souci de trouver une logique à la folie du monde. C’est en greffant cette vision très psychologique qu’il parvient à nous immerger davantage dans ses enquêtes, et ce Requiem des Abysses est encore une belle réussite pour l’auteur français!

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