Nous avons toujours vécu au Château (Shirley Jackson, 1962)

Je connaissais l’auteur Shirley Jackson grâce à son superbe Maison Hantée, roman ténébreux et atmosphérique d’une rare beauté. Je ne m’étais jamais penché sur le reste de sa bibliographie, et après tout ce temps, j’ai opté pour ce roman au titre convoquant une certaine nostalgie, qui s’inscrit à merveille dans l’oeuvre de la romancière américaine. Paru 3 ans seulement avant sa mort, ce livre va relater l’existence paisible de deux soeurs et de leur oncle dans la vieille bâtisse familiale, les habitants et la maison semblant tous figés dans le temps. Shirley Jackson semble apprécier les lieux vivants et même si cela est moins prégnant que dans Maison Hantée, on sent qu’elle veut nous signifier qu’il y a certaines forces naturelles ou autres à l’oeuvre dans cette maison et dans ses alentours également. Dans sa façon de décrire telle pièce, dans sa manière de poser les mots pour raconter tel lieu, c’est comme si quelque chose d’organique battait au sein même de la demeure.

« Nous nous rendions au grand pré qui ressemblait aujourd’hui à un océan, bien que je n’aie jamais vu d’océan; l’herbe ondulait sous le vent, les ombres des nuages passaient et repassaient, et au loin les arbres s’agitaient. Jonas disparaissait dans les herbes, qui étaient si hautes que je les touchais du bout des doigts tout en marchant, et il faisait de petits tours et détours bien à lui; pendant une minute, le vent courbait toutes les herbes ensemble, puis elles étaient traversées d’un vif frémissement à l’endroit où Jonas courait. » Shirley Jackson semble évoquer des souvenirs d’enfance qu’elle entremêle dans une intrigue à la fois tragique et lointaine. Ces deux soeurs et cet oncle vivent dans un présent à la texture étrange, sur lequel pèse un certain passé difficile. Constance, Mary Katherine et Oncle Julian vivent dans cette ancienne demeure depuis bien longtemps, on pourrait croire depuis toujours. Au fur et à mesure que l’on découvre leur histoire, on va se rendre compte que leur univers semble être quasiment limité à leur maison, et qu’ils y vivent en autarcie. Lors d’une expédition en ville de Mary Katherine, on peut être amené à comprendre pourquoi ils ne souhaitent pas descendre en ville très souvent…

La particularité des romans de Shirley Jackson (des 2 que j’ai lu en tout cas ^^) est qu’ils semblent à la fois figés dans une certaine gangue temporelle, tout en paraissant situés hors du temps. Ce rapport à la temporalité que parvient à instiller Shirley Jackson est sans conteste l’un des éléments les plus envoûtants de ses écrits, car on a cette impression diffuse d’être pris dans une sorte de brouillard ayant le pouvoir de déstabiliser nos sens, et la plongée dans un tel roman est un exercice particulièrement original. On va s’immiscer dans l’existence de ces 3 personnes en suivant leur quotidien des plus banals, mais qui va être sublimé par cette approche quasi-onirique dont l’émanation proviendrait de la psyché même de la petite Mary Katherine. Ce roman est en effet écrit à la première personne, et leurs vies vont être dévoilées à travers le regard enfantin et innocent de Mary Katherine. Elle va nous parler de ses rapports avec sa soeur, de son affection pour le vieil oncle Julian, de sa complicité pour son chat Jonas, de son côté aventurier quand il s’agit d’explorer le jardin… La prose très poétique de Shirley Jackson se pare d’une certaine naïveté due au regard ingénu de la narratrice, et on entre dans cet esprit délicat et fragile avec une sensation d’étrangeté qui ne nous lâche pas. Une sensation pas si éloignée de l’étrangeté que l’on peut trouver à la lecture de Maison Hantée

Leur existence se passe au rythme des saisons, de la chaleur estivale qui vient irriguer la véranda, à la pluie s’imprégnant dans le sentier montant à la maison, et les semaines sont rythmées par les taches quotidiennes, entre la préparation des repas, le dépoussiérage des différentes pièces, le jardinage ou les visites amicales. On a l’impression d’être pris dans une strate temporelle qui tiendrait à la fois du romantique et du gothique, et ces éléments s’entrecroisent sous ce toit ayant vu passer beaucoup de monde, et quelques événements marquants. A certains moments, on n’est plus en mesure de distinguer la frontière entre ce qui est purement organique et ce qui est minéral, tant les soeurs et leur oncle font partie des murs et s’insèrent dans l’histoire de cette maison. Ce vieux château est à la fois un abri face aux regards indiscrets, un cocon pour les soeurs voulant éternellement rester ensemble, mais aussi une prison les coupant du reste du monde, et dans un certain sens elle prend même des allures de tombeau… Quand l’une des soeurs aime planter des choses, l’autre aime en enterrer d’autres, comme en écho à un passé qui les a façonné et dont elles ne seraient que des pantins sans libre arbitre, alors qu’elles s’évertuent à se donner l’illusion d’être pleines de vie. On va opter pour différentes pistes explicatives tout au long de ce roman envoûtant, en tentant de comprendre pourquoi elles ont choisi cette existence isolée, et le voile va peu à peu se lever sur les circonstances les ayant mené à ce présent figé dans le passé.

Sans gros effets de manche ou de retournements de situations, Shirley Jackson parvient à nous hypnotiser suffisamment longtemps et puissamment pour que l’on dévore ce livre rapidement, grâce à une poésie gothique du plus bel effet! « Au-dessus de l’évier, un rayon de soleil faisait scintiller une goutte d’eau sur le point de tomber du robinet. Si je retenais mon souffle jusqu’à ce que la goutte tombe, peut-être Charles s’en irait-il, mais je savais que ce n’était pas vrai; retenir mon souffle, c’était trop facile. »

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Un second souffle pour le MCU?

Allez, au plus tard dans 2 ans et demi, je parie sur une résurrection du MCU! Les lignes semblent bouger du côté de l’écurie de Kevin Feige, qui n’en finit plus de se prendre des douilles monumentales, le dernier en date étant le box-office catastrophique de The Marvels (voir ici pour plus de détails). Si la technique des boules Quies et des oeillères a montré ses limites face à l’épuisement de spectateurs qui n’en finissent plus de se détourner des productions super-héroïques du groupe, on peut sentir un certain changement en arrière-plan, qui pourrait être bénéfique à une reprise en main sur ses oeuvres de la part du studio. J’avais déjà évoqué la refonte totale de la série Daredevil : Born Again alors que la moitié avait déjà été tourné, aujourd’hui c’est à un bien plus gros morceau que l’on va s’intéresser : Avengers – the Kang Dynasty.

Des bruits de couloirs parlaient depuis plusieurs semaines d’une éviction du scénariste Jeff Loveness du prochain blockbuster vengeur prévu pour le 1er mai 2026, les faits sont donc avérés. L’auteur d’Ant-Man et la Guêpe : Quantumania a été remercié, ce qui semble plutôt bénéfique au vu de la qualité insipide de la dernière aventure de Scott Lang et de Peter Venkman. Il y avait au préalable une certaine logique, puisque ce Ant-Man proposait un variant de Kang en ennemi principal. Mais qu’à cela ne tienne, Marvel Studios conserve cette logique en l’upgradant, puisque le studio a jeté son dévolu sur Michael Waldron, le créateur de la série Loki, dans laquelle apparaissait pour la toute première fois un variant de Kang à l’écran! Mais surtout, le niveau d’écriture de Waldron semble bien supérieur à celui de son collègue, tout en offrant une approche bien originale au travers de laquelle on sent un amour certain du matériau de base.

Que ce soit dans la série Loki (dont il est le créateur et dont il a rédigé 2 épisodes) ou avec son scénario pour Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Michael Waldron a démontré ses talents de contorsionniste pour triturer le Multivers de façon passionnante, et l’avoir choisi pour écrire le futur Avengers : the Kang Dynasty est un à la fois très logique et très rassurant. Evidemment, le seul poste de scénariste n’est pas suffisant pour mettre sur pied un bon film, mais c’est un point de départ non négligeable, et je trouve que c’est un signal fort envoyé à la communauté des fans pour leur signifier qu’on commence à les comprendre. Alors ce choix n’a certainement pas été fait consciemment en ce sens, le but de la manoeuvre étant de prime abord de relancer la machine à dollars. Mais si Marvel enclanche cette dynamique qui rassurera les fans, et qui devrait permettre de redonner de la couleur à des oeuvres manquant cruellement de saveurs ces dernières années, on va tranquillement voir ce qu’ils vont nous proposer, en espérant des lendemains meilleurs… Mais assurément, le crash cataclysmique de The Marvels est un électrochoc qui va (enfin) obliger Kevin et sa bande à ouvrir les yeux!!!

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BOTY 2023 World Final

Le Battle of the Year (BOTY) est une compétition de breakdance qui se déroulait quasi-exclusivement dans la ville de Montpellier. Cette année, les affrontements ont eu lieu à Osaka au Japon, et la finale vaut bien évidemment le coup d’oeil! Une fois encore, le programme est impressionnant et les prestations des Predatorz (Russie) et des Flow XL (Corée du Sud) devraient vous surprendre. La virtuosité, le sens du rythme et les enchaînements techniques sont juste bluffants !!! Cette compétition est un incontournable de la culture hip-hop, en attendant l’entrée de la discipline du breakdance aux JO cet été à Paris!

 

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Aesop Rock – Blood Sandwich

J’évoque régulièrement l’art d’Aesop Rock, et je reviens cette semaine sur l’un des meilleurs albums hip-hop de tous les temps, j’ai nommé The Impossible Kid sorti chez les excellents Rhymesayers Entertainment. Convoquant une belle nostalgie pour sa fratrie, pour le baseball et pour la musique des années 80, Aesop Rock nous livre un moment intimiste à souhait et comme d’habitude superbement rythmé. C’est très rare d’entendre des artistes hip-hop évoquer des groupes comme Ministry ou Skinny Puppy, mais les genres ne sont pas incompatibles. Si vous appréciez le hip-hop loin du bling-bling habituel, faites-vous plaisir et détendez-vous avec cet Impossible Kid tout simplement incontournable!

 

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Spontaneous (Brian Duffield, 2020)

Il y a de cela une semaine, je découvrais le metteur en scène américain Brian Duffield avec son sublime home invasion Traquée, mené par une Kaitlyn Dever impressionnante! Il était naturel que je me plonge dans sa filmographie, et j’ai donc découvert que Traquée était juste son second film! Tant de maîtrise en à peine 2 longs métrages, ça fait franchement rêver! J’ai donc cherché son premier film afin de vérifier si le talent du bonhomme était déjà bien présent 3 ans avant son Traquée. Effectivement, Brian Duffield possède un truc que beaucoup de réalisateurs n’ont pas, la preuve avec ce vraiment très beau Spontaneous!

Rien que le titre, ça renvoie à un certain cinéma horrifique pour un enfant des années 80 comme moi, avec bien évidemment le Spontaneous Combustion de Tobe Hooper avec Brad Dourif, qui aura marqué mon imaginaire à l’époque (je crois que ce que j’imaginais du film avant de le regarder m’a plus marqué que le film lui-même ^^). On était dans une histoire de corps qui prenaient feu sans aucune raison, et Brian Duffield va reprendre une trame similaire en l’adaptant pour proposer des élèves d’un lycée qui se mettent à exploser sans raison! On a donc un concept assez étonnant et original, qui va installer une véritable psychose dans la petite ville du New Jersey où se déroulent ces événements. Un pitch en mode très horrifique, que Duffield va intelligemment utiliser pour développer une très belle comédie romantique!

Comme quoi, certains genres ne sont pas si incompatibles… Si on s’attend à un film d’horreur dégoulinant d’hémoglobine ou à une bluette toute dégoulinante de guimauve, le metteur en scène va mêler tous les genres qu’il a envie de traiter pour nous livrer un film bien plus impactant émotionnellement que ce que l’on pensait voir au départ, et il va solidement entremêler l’humour, le drame, la légèreté et l’horreur dans une oeuvre qui sous ses airs de série B sans prétention, va monter les curseurs pour devenir une superbe comédie dramatique romantique horrifique sociale. Rien que ça oui. On va retrouver un soupçon du Nowhere de Gregg Araki, une pincée du Detention de Joseph Kahn, sans aller aussi loin dans le nihilisme ou dans le délire psychédélique, mais en se posant comme un constat de la jeunesse américaine des années 2010-2020. Sous ses airs légèrement acidulé, Spontaneous va nous raconter le quotidien d’élèves rongés par la peur dans une Amérique où les repères volent en éclat et où les lendemains n’ont rien d’assurés. Si le concept de l’explosion spontanée peut s’avérer drôle de prime abord, puisque on est dans une fiction après tout, Brian Duffield va très rapidement exprimer son véritable propos.

Quand on voit les instants de panique suivant chaque explosion, la ruée des élèves dans les couloirs afin de sortir sains et saufs du bâtiment, ça va forcément vous faire penser à quelque chose. Et oui, Duffield utilise l’aspect de prime abord fun et horrifique de l’explosion pour en filigrane nous faire sa propre version de Bowling for Columbine. Des élèves qui courent de manière désordonnée dans des couloirs en hurlant, d’autres dont les corps explosent de manière aléatoire, ça fait évidemment référence aux multiples tragédies vécues par ces centaines d’écoliers américains avec les tueries de masse qu’ils se prennent chaque année. Dans une telle configuration, comment donner un sens à son existence, et comment avoir foi en l’avenir, alors que l’on est même pas certain de voir le lendemain? Spontaneous bascule dans un tout autre registre quand on le regarde par ce prisme, et l’intelligence du propos de Duffield (qui signe le scénario en se basant sur le livre d’Aaron Starmer) est de développer un récit puisant dans beaucoup d’émotions contradictoires pour se raconter. Dans un monde qui tourne de moins en moins rond, comment trouver la motivation de survivre?

Paradoxalement, c’est à cause de ce monde complètement désaxé que l’histoire d’amour entre les protagonistes principaux va démarrer, et Duffield va nous offrir une comédie romantique adolescente là encore d’une très belle intelligence. On est très loin des stéréotypes et des séquences convenues dans ce type de production, pour atteindre une forme de réalisme rafraîchissante et tellement prenante! L’histoire entre Mara et Dylan est tout simplement belle, drôle, émouvante et tendre, sans la guimauve et la fadeur habituelles, mais avec un vrai sens de l’exploration intimiste et un mélange de peur et d’espoir typiquement adolescents, mais qui va être pris au sérieux. Il y a une spontanéité dans l’écriture et dans l’expression des sentiments des protagonistes qui rejoint là encore le titre du film, et qui fait de cette oeuvre une très belle réussite dans son développement. Katherine Langford et Charlie Plummer apportent cette spontanéité et ce réalisme faisant défaut à de nombreux films du genre, et on regarde le développement de leur idylle avec le sourire aux lèvres tant ils sont touchants et qu’ils méritent de vivre ces instants ensemble. Langford est connue pour avoir joué dans la série 13 Reasons Why, et on a pu voir Plummer dans la série Boardwalk Empire. L’alchimie fonctionne à merveille entre les deux, et la façon dont ils expriment leurs émotions, de manière à la fois directe et avec un peu de retenue, ça donne une très belle dynamique au film. Ils sont véritablement touchants, et au niveau des rapports humains, on appréciera aussi le dialogue intergénérationnel entre Mara et ses parents, qui là encore va à l’encontre des fossés habituels entre parents et enfants. Piper Perabo et Rob Huebel campent un père et une mère certes cool mais qui gardent les pieds sur terre, et on ressent tout l’amour qu’ils ont pour leur fille avec une certaine émotion. Et l’une des plus belles scène du film est certainement ce dialogue entre Mara et une autre adulte, alors qu’elle cherche un sens à son existence.

Mine de rien, Spontaneous va nous livrer pas mal d’émotions tout au long de son déroulement, et va même se permettre de nous expliquer le sens de la vie. Et ça, quand c’est fait avec un tel tact et un tel respect, ça fait sacrément plaisir! Ce film n’a rien de prétentieux, et il est d’autant plus impactant qu’il avance avec beaucoup de sensibilité (et pas mal de références geeks glissées de manière subtiles!), pour devenir une sorte de somme de ce que peuvent vivre les adolescents de nos jours. Duffield va traiter les sujets de la vie, de la mort, de l’amour, du deuil, en prenant la hauteur du point de vue ado, et quand c’est fait avec intelligence et avec une sorte de poésie sous-jacente aussi maîtrisée, on ne peut qu’être conquis!

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