70 ans après sa première apparition dans le Godzilla d’Ishirō Honda (1954), le Kaijū (littéralement « bête étrange ») ressort des flots afin de fêter son anniversaire ! Si on a l’impression d’avoir une présence accrue de la bébête ces dernières années, c’est surtout que l’on fait davantage attention aux sorties américaines, avec le Godzilla de Gareth Edwards, le Godzilla 2 : Roi des Monstres de Michael Dougherty, le Godzilla vs Kong d’Adam Wingard, et le prochain Godzilla x Kong : the New Empire d’Adam Wingard. On peut aussi évoquer le plus lointain Godzilla de Roland Emmerich datant de 1998. Entre le Emmerich et le Edwards de 2014, je ne suis toujours pas parvenu à déterminer lequel est le pire … On a donc l’impression que ce Godjira (en VO dans le texte) ne pointe le bout de son museau que rarement, mais si on se penche sur sa carrière nippone, on se rend compte qu’il a été très prolifique puisqu’il est présent à chaque décennie depuis sa création ! Ishiro Honda a réalisé pas moins de 8 films lui étant consacré entre 1954 et 1975, et plusieurs metteurs en scène se sont consacrés au monstre sans discontinuer, et aujourd’hui, on compte 38 films mettant en vedette Godzilla !
Un des atouts de ce Godzilla Minus One, c’est sans conteste sa campagne marketing ! Avec une sortie très limitée (2 jours au mois de décembre dans à peine une poignée de cinémas!), le pari était audacieux : en gros, c’était du quitte ou double. Soit le film sortait dans l’indifférence générale, soit les spectateurs chanceux allaient pouvoir créer un buzz positif. C’est ce 2ème cas de figure qui a eu lieu, et les critiques élogieuses ont commencé à fleurir, créant par là même un sentiment de frustration pour les spectateurs qui n’avaient pas pu découvrir ce mystérieux projet. Dans une certaine mesure, ça me fait penser au coup de comm génial de Dany Boon avec Bienvenue chez les Ch’tis, qu’il a montré en avant-première dans sa région afin de générer là aussi un buzz positif, ayant permis à quasiment toute la France de s’engouffrer dans la brèche par la suite! Le film est oubliable, mais la technique s’est avérée sacrément payante!
Avec ce Minus One, on use d’un stratagème équivalent en utilisant la sortie limitée sur quelques territoires, au lieu d »avant-première régionales. Mais l’argument de vente est le même, et le résultat, c’est que je me suis retrouvé le jour de sa ressortie en salle pour le découvrir! Je suis donc faible ^^ Je n’avais pas vu de bande-annonce, j’avais juste saisi à la volée quelques visuels engageants, et j’étais plutôt motivé par la hype entourant cette résurrection. Takashi Yamazaki est un réalisateur à l’aise avec les films à grand spectacle, entre un Space Battleship futuriste ou un Kamikaze : le Dernier Assaut se penchant déjà sur l’Histoire. Et on voit d’entrée de jeu qu’il maîtrise son domaine, en nous proposant rapidement une séquence d’action immersive et prometteuse pour la suite. La première attaque de Godzilla intervient très rapidement, et Yamazaki film cet assaut avec une certaine aisance, se permettant même un petit plan-séquence très bien troussé naviguant entre les différents protagonistes, changeant rapidement d’échelle en passant des soldats au monstre. Il installe ainsi une proximité avec le Kaijū et instaure une forme de réalisme dans son oeuvre, permettant d’avoir un impact intéressant sur la vision du spectateur.
Outre cette mise en scène réussie, un autre atout de ce film réside dans la période à laquelle il se déroule. Nous sommes en 1945, à la toute fin de la Seconde Guerre Mondiale, et les Japonais sont au bord de la capitulation. Koishi Shikishima est un pilote de chasse ayant déserté, car il refusait de mourir en kamikaze. Il a donc survécu à la guerre, mais emporte avec lui une grande culpabilité suite à l’attaque de Godzilla sur l’île d’Odo, la plupart des soldats ayant été tués par le monstre, alors qu’il aurait peut-être pu empêcher ce massacre. Ryunosuke Kamiki interprète Koishi de manière très impliquée, avec parfois un peu trop d’emphase, mais il en fait un personnage intéressant et dont on a envie de suivre le cheminement psychologique. Dans un Japon en pleine reconstruction, il doit faire face à son double sentiment de culpabilité, et Yamazaki, qui a également rédigé le scénario, traite intelligemment de la thématique des kamikazes. C’est très rare de voir ce sujet abordé, et avoir le point de vue d’un auteur japonais est très intéressant, car il met en lumière les personnalités de ces soldats suicidaires à travers le personnage de Koishi, lequel est poussé par un instinct de survie plutôt que par un instinct de mort. Mais le retour à la civilisation n’est pas forcément évidemment, pour des questions de culpabilité donc, mais également d’honneur.
On va littéralement assister à ce qu’a pu être la vie des habitants de l’archipel au lendemain direct de la guerre, qui vivaient dans les décombres en tentant de se faire des baraquements de fortune. Cette partie du film est historiquement prenante, car on va voir l’évolution progressive de la vie de Koishi et de ses proches, alors qu’il a recueilli une femme avec un bébé sous son toit. Cette vision d’un Japon dévasté dans lequel chacun survivait comme il pouvait va forcément avoir un impact émotionnel, et voir ce film quelques semaines après Oppenheimer laisse un goût étrange… Koishi, Noriko et Akiko vont voir leur train de vie se modifier peu à peu, en même temps que le pays se relève lui aussi. Mais un nouveau drame va venir raviver des cicatrices encore fraîches…
En effet, Godzilla fait son retour et se dirige vers une métropole qu’il va copieusement dévaster, dans un maelstrom de bâtiments arrachés et de véhicules balancés dans les airs. On assiste à une dévastation qui fonctionne plutôt bien visuellement, et c’est d’autant plus impressionnant que le budget n’a même pas été de 15 millions de dollars! A titre de comparaison, celui de 2014 a coûté 160 millions de dollars, pour le résultat que l’on connaît! On appréciera donc d’autant plus la qualité artistique de l’ensemble, la vision de Yamazaki permettant de solidifier l’impact de ses séquences de combats et de destruction. Le design de la créature est très belle, Godzilla parvenant à être impressionnant et flippant, et on sent à travers une séquence comment le réalisateur est parvenu à allier modernité et hommage au film originel avec aisance. Et pour couronner le tout, il ajoute un élément structurel moderne à son monstre, qui claque beaucoup visuellement.
Avec toutes ces qualités, on s’attend donc à voir un film qui nous laissera sur le carreau. Mais s’il possède effectivement des atouts solides dans sa manche, ce Godzilla Minus One ne parvient pas à être le blockbuster qui va changer la face du monstre… Si Yamazaki est généreux lors des séquences de batailles, elles sont finalement trop peu nombreuses, et l’aspect soap prend parfois trop le dessus. Les atermoiements entre Koishi et Noriko étirent certaines scènes, alors que d’autres fonctionnent parfois émotionnellement. Mais on sent une sorte de surjeu de la part de certains personnages secondaires et une sorte de fibre patriotique un poil trop caricaturale par moments, même si le réalisateur fait bien la distinction entre l’armée et les civils. Il manque davantage de séquences frappantes et d’apparitions du monstre, qui auraient permis de contrebalancer les scènes de dialogues plus convenues. Dans un sens, ça me fait penser au Ring d’Hideo Nakata, dont j’avais apprécié les passages horrifiques, mais qui s’avérait un peu trop bavard.
Ce Godzilla Minus One est donc une excellente opération commerciale, cette dernière ayant permis de rehausser l’intérêt que le film pouvait avoir. En l’état, il est une réécriture intéressante du mythe, et vaut déjà mieux que les films de 1998 ou 2014, ce qui est déjà pas si mal ! Mais il aurait gagné à être plus immersif, plus généreux en séquences d’action, car les qualités de celles-ci font que l’on peut être frustré de ne pas en avoir eu davantage !