Si La Convocation est le premier long métrage du metteur en scène norvégien Halfdan Ullmann Tøndel, j’avais déjà croisé sa route de manière détournée puisqu’il officiait en tant qu’assistant réalisateur sur l’excellent Thelma signé Joachim Trier. Tøndel a également réalisé 3 courts depuis 2015, et on sent immédiatement que sa maîtrise du matériau cinématographique est très grande. Quand on repart avec la Caméra d’Or pour son premier film présenté à Cannes, il y a de quoi avoir une certaine fierté, et ce prix est incontestablement mérité.
Dès l’entame du film, on va ressentir ce malaise diffus avec cette séquence de conduite sur une petite route, et l’urgence qui point ne va pas s’estomper par la suite. Elisabeth est convoquée au sein d’une école car un incident a eu lieu, et l’administration souhaite en discuter avec elle. On ne connaît pas la nature des faits, ni en quoi cela concerne Elisabeth, mais elle a été convoquée de manière urgente pour avoir des informations et en donner également. Je n’irai pas plus loin dans l’énoncé du film puisque tout ce qui va se dérouler ensuite va découler de ces premiers instants de discussion, qui vont nous plonger dans une intrigue se parant d’un grand réalisme tout en offrant une certaine vision vertigineuse de ce procédé d’entretien.
Halfdan Ullmann Tøndel signe un scénario captivant qui va nous questionner sur nos ressentis profonds et sur notre nature humaine profonde, en nous renvoyant à nos propres biais de jugement et nos propres filtres d’interprétation. La Convocation va confronter différents points de vue sur un événement s’étant déroulé dans cette école, chacun ayant ses convictions quant aux faits mais voulant agir pour des intérêts différents. Faut-il rester discret, faut-il faire toute la lumière au risque d’ébruiter les faits, les faits d’ailleurs sont-ils finalement graves ou non? On va assister à la mise en place d’une mécanique implacable faite d’oppositions verbales, entre tentatives d’arrangements et menaces voilées, l’ensemble s’articulant autour d’un point très précis mais dont les faisceaux possibles vont toucher les protagonistes de manière différente.
J’ai découvert l’actrice Renate Reinsve qui est tout simplement impressionnante avec cette composition d’Elisabeth, et qui puise dans sa propre force intérieure pour nous ressortir une partition étonnante avec cette ambivalence de jeu qui en devient presque hypnotique. On va ressentir ce malaise avec elle, remettre en question son analyse, à nouveau replonger dans ses émotions, et Halfdan Ullmann Tøndel va construire son oeuvre autour de cette figure insaisissable dont on ne parvient pas à déterminer le degré de sincérité. Mais si Elisabeth est le personnage le plus expansif et qui attire le plus la lumière, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas remettre en question les versions des autres personnages. Ellen Dorrit Petersen incarne une femme bien moins volubile et bien plus discrète, et souhaite faire éclater la vérité sur cet événement. On a déjà pu voir l’actrice dans Thelma, et elle partageait déjà l’affiche avec Renate Reinsve dans Vilmark 2. Face au caractère plus exubérant d’Elisabeth, elle apporte une vision plus directe et froide, afin de résoudre le cas qui les préoccupe. Dans ce registre plus mesuré, l’actrice prouve également un talent impressionnant.
Endre Hellestveit (Cold Prey III) a un rôle un peu en retrait par rapport aux femmes, mais il est lui aussi d’une justesse exemplaire dans sa manière de personnifier Anders. Thea Lambrechts Vaulen est tout aussi excellente dans le rôle de cette jeune femme qui va devoir gérer cet échange, mais que l’on sent bien perdue par rapport aux éventuelles répercussions de celui-ci. Sa manière de jouer la fragilité est très réaliste, et Sunna s’avère être un personnage très intéressant. Øystein Røger (qui a déjà croisé le chemin de Renate Reinsve dans Oslo, 31 août de Joachim Trier) va jouer le directeur de l’école qui souhaite avant tout que la réputation de l’établissement soit préservée, et qui a pour but de trouver une conciliation le plus rapidement possible.
Sur une trame scénaristique au déroulement extrêmement bien maîtrisé, Halfdan Ullmann Tøndel va appliquer une mise en scène frôlant la perfection et qui va grandement contribuer au caractère étouffant de ce huis-clos. Il sait exactement quel angle utiliser afin d’accentuer l’oppression, tout comme les personnages savent quels mots utiliser pour discréditer la version de l’autre. C’est à une lutte épuisante que l’on va assister, une lutte qui tente de garder certains contours courtois, mais ce vernis social risque bien de se craqueler durablement. La façon dont le metteur en scène suit ses personnages de dos, son aisance dans les lignes de fuite de ces couloirs, sa caractérisation quasi-clinique à certains moments, et les contrepoints aux allures poétiques qui surprennent le spectateur, tout est fait pour dérouter les sens, jouer avec les faux-semblants et capter les insaisissables variations dans les tensions et les subtils changements dans les enjeux et dans la manière dont chacun se positionne.
Il y a du Qui a Peur de Virginia Woolf? dans cette Convocation, dans le sens où le travail sur l’écriture et les dialogues est vraiment impressionnant, avec des personnages captivants qui vont redéfinir le genre du huis-clos. La Convocation est un très grand film, de ceux qui vous happent et ne vous lâchent pas jusqu’à leur résolution, et cette alchimie entre un scénario d’une rare efficacité, une mise en scène implacable et envoûtante, et un jeu d’acteurs d’une finesse rare, fait de cette oeuvre une pièce maîtresse du cinéma norvégien actuel.