En 1985, William Friedkin est un metteur en scène reconnu, nous ayant livré French Connection (1971), L’Exorciste (1973), Le Convoi de la Peur (1977), Cruising – la Chasse (1980)… Il fait partie de cette génération d’auteurs à la vision très frontale et aux oeuvres âpres, tels Peter Yates, Michael Cimino, Sam Peckinpah, Paul Schrader… Des réalisateurs qui sont parvenus à livrer leurs oeuvres les plus emblématiques durant les années 70 et 80, avec toujours en filigrane cette fin de l’innocence post-JFK. En 1985, Friedkin poursuit donc son exploration sociétale en nous plongeant dans un genre qu’il affectionne particulièrement, le film policier. Police Fédérale, Los Angeles (To live and die in L.A. en version originale) est une sorte d’instantané sur le quotidien d’un jeune flic, mais aussi sur la lente décadence des mégapoles. Friedkin va irrémédiablement lier Richard Chance, fougueux et opiniâtre agent des services secrets, à la ville dont il compte bien assurer la sécurité.
Depuis des mois, Chance et son partenaire Jim Hart enquêtent sur un faux-monnayeur dont ils remontent peu à peu la piste, et qu’ils espèrent enfin parvenir à prendre en flagrant délit. Mais la mission tourne mal, et Chance va devenir de plus en plus obsédé par la traque du criminel. C’est William Petersen qui incarne Chance, et il apporte toute sa vivacité et sa grande gueule au flic sanguin, lui qui est connu pour avoir incarné Grissom dans 196 épisodes des Experts! A l’époque, il n’avait alors joué que dans Le Solitaire de Michael Mann, et ce rôle de Chance est son 2ème film (qui se trouve être produit par Mann)! On le sent très à l’aise dans ce polar urbain, et il parvient à donner une belle complexité à son personnage. Face à lui, on a un Willem Dafoe tout jeune aussi, qui en est juste à son 7ème rôle dans un film! Il incarne le faux-monnayeur Eric Masters, et lui confère une âme d’artiste et un goût prononcé pour la violence, créant un personnage ambivalent et d’une certaine manière fascinant! Dafoe est sans conteste l’un des plus grands acteurs de sa génération, et c’est un réel plaisir de suivre sa performance chez Friedkin!
Police Fédérale, Los Angeles commence presque comme un documentaire, avec une vision très réaliste et ultra-détaillée sur la fabrication de faux billets. On suit Eric Masters dans l’accomplissement de son travail, étape par étape, et on se rend compte du boulot fastidieux que cela représente! Cette vision terre-à-terre offre un contrepoint artistique, car celui qui peint à ses heures perdues est véritablement un artiste dans sa fabrication de billets. En s’attachant à nous dévoiler le long processus, Friedkin nous place aux côtés de Masters pour qui il s’agit d’un boulot comme un autre, et ce choix narratif vient appuyer une vision « banalisée » du travail de faussaire, dans le sens qu’il gangrène de manière relativement facile la ville de Los Angeles. Il y a un côté anti-spectaculaire qui fait que l’on va plonger au coeur du trafic aux côtés de protagonistes tout ce qu’il y a de plus humain, avec ce que cela comporte comme héroïsme et comme failles profondes. C’est ce fort réalisme qui donne sa force à Police Fédérale, Los Angeles, et qui en fait un représentant important du polar 80’s.
Si on a vu French Connection ou Le Convoi de la Peur, on se retrouve en terrain connu et on apprécie la continuité de cette oeuvre dans la filmo de Friedkin. Il se plaît à recréer le plus fidèlement possible la réalité de la vie urbaine de son époque, et on va arpenter les rues et les autoroutes aux côtés de Chance et de son équipier, lors de séquences se permettant même parfois de se passer entièrement de musique, pour renforcer encore l’aspect réaliste des événements en train de se dérouler. On sent un questionnement perpétuel sur l’âme de la ville, à l’instar d’un Michael Wadleigh avec son envoûtant Wolfen en 1981. C’est dans cette recherche d’une identité profonde issue de cette jungle bétonnée que réside une autre grande partie de la force de ce film, et on va arpenter les trottoirs et l’asphalte en ressentant à chaque instant la connexion liant Chance à Los Angeles. Et c’est cette connexion même qui va le pousser à franchir les limites de la loi, et à dangereusement basculer, au risque d’entraîner d’autres personnes avec lui dans sa quête vengeresse…
La relation qu’il a avec son indic Ruth démontre déjà une prise de pouvoir machiste, et celui qui apparaissait au préalable comme une grande gueule sympathique commence dès lors à dévoiler des travers plus discutables… L’actrice Darlene Fluegel confère à Ruth une très belle fragilité, à laquelle elle doit constamment offrir un contrepoids. Elle se sert de ses informations pour tenter d’amadouer Chance, et sous le couvert d’être une simple indic, elle aimerait pourtant représenter bien plus à ses yeux. La carrière de Darlene Fluegel n’est pas très étoffée, mais elle a participé à des films importants sur plusieurs décennies, comme Les Yeux de Laura Mars, Il était une Fois en Amérique, Haute Sécurité ou Simetierre 2. On retrouve également John Turturro, qui aura joué dans tellement de films dans sa carrière!!! Ce bon vieux Steve James également, ou encore un certain Robert Downey Sr., qui n’est autre que le père de Jr., oui ^^
Police Fédérale, Los Angeles développe encore un rythme très 70’s dans sa narration, qui n’est pas une succession de course-poursuites mais qui oscille avec intelligence entre séquences de dialogues tendues et filatures. La longue scène de poursuite automobile vers la fin du film est vraiment prenante, et on sent le lien spirituel avec French Connection ou Bullitt. La partie à contresens sur l’autoroute est assez dingue, et a dû être un calvaire à tourner! Il a fallu 6 semaines pour filmer toute cette poursuite, et Friedkin avait décidé qu’il s’agirait de la dernière séquence à réaliser. Au cas où un accident arriverait à un des acteurs, le reste des scènes serait déjà dans la boîte… Et pour l’anecdote, il s’agit de la toute première fois où on assiste au cinéma à une poursuite à contre-sens sur une autoroute! Cette scène fait bien monter le palpitant, et on saluera le travail exemplaire de Buddy Joe Hooker et de son équipe de cascadeurs! L’homme est un vétéran chevronné dans sa discipline, et a participé à plus de 200 oeuvres, du Survivant de Boris Sagal en 1971 à Fast & furious 8 en 2017, en passant par Le Jeu de la Mort, Prophecy – le Monstre, L’Emprise, Rambo, L’Etoffe des Héros, L’Arme fatale 2 et tellement d’autres!!!
Ce film de Friedkin fait encore partie de la belle époque, et on ne penserait jamais qu’il puisse un jour nous livrer un truc aussi immonde que son dernier The Devil and Father Amorth…