Comme Hot Rod, Rambo fait partie de mes classiques cinématographiques. Comme je l’ai revu récemment, j’avais envie d’en écrire une critique, mais je suis retombé sur un très vieil article que je lui avais consacré le 20 septembre 2007 (un peu comme pour Hot Rod!)! Ca se passait sur Airmole Blog, bien avant Talking Wade, et ça fait un petit quelque chose de relire ça! Du coup, j’ai republié cet article dans son intégralité, histoire de faire fonctionner la nostalgie! 😉
Après la version traumatisante de Francis Coppola et avant les visions d’Oliver Stone, Sylvester Stallone et Ted Kotcheff apportent leur contribution à l’évocation du Vietnam avec ce film racontant la lutte d’un vétéran de guerre face aux autorités. Auréolé par le succès de la saga Rocky, Sylvester Stallone revêt le personnage de ce soldat abandonné en lui apportant une humanité brute et mutique. La dimension tragique du « héros » ajoutée à la vision crépusculaire d’une petite bourgade jusqu’alors paisible achève de faire de Rambo un modèle du film d’action estampillé 80’s.
Dès l’ouverture, la dimension naturelle dans laquelle s’insère le personnage est présentée avec toute la beauté d’un Scope tirant magnifiquement parti des tonalités vert-brun dominantes. John Rambo marche au bord d’une route avec une épaisse forêt se découpant derrière lui. La caméra le suit et, après un insert sur son visage fatigué, le reprend de dos alors qu’il descend une pente jusqu’à une habitation modeste, située au bord d’un grand lac s’étendant en arrière-plan. L’atmosphère pourrait presque paraître idyllique, si le superbe travail du chef-opérateur Andrew Laszlo n’émettait ces tonalités sombres faisant obstacle à une totale quiétude. Sans un mot, John Rambo, dont on ne connaît pas encore le nom, est caractérisé comme un baroudeur qui se fond avec aisance dans ces immensités naturelles. Il semble se laisser porter au gré du vent, mais sa destination va nous faire comprendre qu’il n’en est rien. Derrière la beauté glaçante de ces paysages (le film a été tourné au Canada, en Colombie britannique), John cherche à retrouver un ancien compagnon d’armes. Toute son existence est liée à la guerre qu’il a connue, et l’annonce de la mort de son ami lui sape encore une fois cette notion d’humanité à laquelle il aspire. Privé de moyens de communication, bloqué dans un mutisme dont il essaye de sortir sans trop y croire, Rambo se retrouve encore une fois seul, rongé par ses actes et ses démons. Il ne manque qu’un détonateur pour faire exploser toute cette souffrance contenue, et ce sera le prétentieux shériff Will Teasle qui va mettre en branle le mécanisme destructeur.
Campé par un Brian Dennehy exemplaire dans ce rôle de flic bourru et brutal, le shérif Teasle est la parfaite représentation d’une Amérique qui campe sur ses positions idéalistes, et la confrontation avec l’incarnation de la face dévastée du pays va forcément être destructrice. La scène qui voit le conflit se mettre en place est symbolique de ces points de vue antagonistes: le pont situé en-dehors de la ville apparaît comme la frontière entre la civilisation et la nature, et surtout entre la quête d’humanité du héros et son instinct sauvage. Deux faces d’un même être en lutte intérieure, qui se voit refuser le statut même d’être humain par un shérif arrogant et suffisant qui ne veut en aucun cas troubler la quiétude de sa petite ville. Après avoir déposé John de l’autre côté du pont, le shérif s’en retourne satisfait. Mais John a besoin de renouer avec cette parcelle d’humanité qui persiste au fond de lui, et il rebrousse chemin, acte à la fois provocateur et désespéré. Toute l’hypocrisie d’une Amérique qui se voile la face est contenue dans cette scène, et va aller bien plus loin lors de l’arrestation de Rambo. Lorsqu’il va être confronté à ses geôliers, les horreurs de sa captivité au Vietnam vont violemment ressurgir et l’amener à réagir avec rage. John parvient à s’échapper, et la traque commence…
L’intelligence de la mise en scène va alors nous plonger dans un survival étouffant, ponctué de moments de sauvagerie intenses, Rambo se laissant envahir par l’environnement naturel et les pulsions héritées de son expérience au Vietnam. La mise en scène de Ted Kotcheff place toujours les protagonistes dans l’immensité qui les entoure, en l’occurrence la forêt et les montagnes majestueuses dans lesquelles les lois s’appliquant à la civilisation n‘ont plus cours. Cette disposition des personnages évoque le style de Carpenter, auteur qui prend lui aussi très à coeur de toujours faire apparaître les protagonistes comme des éléments faisant partie d’une nature supérieure. Comme une sorte d’excuse pour leurs actes, étant donné qu’ils sont soumis à leurS faiblesses d’êtres humains.
Mais Rambo devient paradoxalement plus fort en pleine nature, et les flics lancés à ses trousses vont douloureusement en faire les frais. Il se retrouve replongé en plein Vietnam, revivant le cauchemar qu’il a connu là-bas, incapable de s’en détacher et pris dans un engrenage psychique irréversible. Il est un furoncle sur la face lisse de l’Oncle Sam, l’élément qui dénature la glorieuse bannière étoilée, mais qui en est peut-être aussi le fils le plus fidèle. Le shérif Teasle lui dit au début: « Avec ce drapeau sur votre veste, vous allez finir par vous attirer des ennuis. » Mais Teasle possède le même drapeau sur son uniforme, comme s’il ne voulait pas reconnaître que Rambo est son semblable. Mais à force de vouloir occulter la face sombre de ce pays, elle éclate en emportant tout sur son passage.
La relation entre le Colonel Trautmann (Richard Crenna parfait ) et Rambo est aussi emblématique de ce que l’Amérique lui a fait. Brisé, abandonné par ses semblables, Rambo est en pleine phase régressive. Il passe du mutisme à l’état sauvage, et seul Trautmann est capable de l’en faire sortir; mais c’est juste pour se rendre compte qu’il est comme un enfant, en proie à une angoisse constante, assailli par des pulsions primaires qu’il ne parvient pas à réprimer, et surtout en manque total de repères, tant psychologiques qu’affectifs. Il fait simplement ce qu’il sait faire le mieux; il reproduit simplement les gestes que l’Oncle Sam lui a enseigné. Et la figure paternelle de Trautmann se teinte également d’une culpabilité rentrée qui lui fait endosser partiellement les actes de Rambo. Faute de réhabilitation et de respect, la machine de guerre qu’il a créée tourne à vide et déverse son flot de souffrance avec son propre système de communication.
Au-delà du film d’action sans concession, Rambo est une charge sévère contre l’hypocrisie d’un gouvernement dépassé, et le propos est traité avec suffisamment d’intelligence et de subtilité pour s’accrocher à l’esprit durablement. Rambo est un très grand film d’action, doublé d’une tragédie humaine dévastatrice. Une date dans l’histoire du cinéma, à laquelle Sylvester Stallone semble déterminé à répondre 15 ans après (avec John Rambo!)…