Je connaissais surtout la veine caustique du scénariste de comics Cullen Bunn, avec ses innombrables mini-séries consacrées à Deadpool (Deadpool Assassin, Deadpool massacre Deadpool, Deadpool vs Carnage…), et même s’il se permettait quelques exactions bien sanglantes, je ne me doutais pas qu’il s’engouffrerait un jour dans une tendance réellement horrifique! C’est le cas avec son comics The Empty Man publié chez Boom! Studios et dessiné par Vanesa R. Del Rey, dans lequel plusieurs ados se mettent à disparaître mystérieusement. Un ex-flic va commencer à enquêter, et va découvrir des ramifications terrifiantes à cette affaire…
Il s’agit du premier long métrage de David Prior, qui écrit lui-même l’adaptation du comics, et qui donne vie à un vrai chef-d’oeuvre horrifique! De cette intro bien stressante à un final très surprenant, on suit ce film sans décrocher une seule seconde, tant il est maîtrisé de bout en bout. En général, les films d’horreur sont relativement courts, aux alentours d’1h30, mais celui-ci se permet de développer son récit sur 2h17! Ce détail démontre déjà une certaine volonté de creuser davantage que le film de genre lambda… Et pour que la mythologie complexe de l’Empty Man prenne tout son sens, on avait bien besoin de tout ce temps!
Le récit que va nous conter Prior (et Bunn aussi donc!) va suivre l’ancien flic James Lasombra, qui commence à enquêter sur la disparition d’Amanda, la fille d’une amie à lui. La dernière fois qu’il l’a vue, elle tenait des propos étranges et inquiétants, et il va remonter la piste avec une de ses amies qui lui raconte la légende urbaine de l’Empty Man, que l’on invoque en soufflant dans une bouteille lorsque on se trouve sur un pont… Une caractéristique qui en fait un boogeyman typique, à l’instar d’un Slender Man, ou d’un Candyman dont il faut répéter le nom 5 fois devant la glace. Ce choix permet d’ancrer immédiatement le film dans un processus classique avec les lycéens qui jouent à se faire peur et qui vont être rattrapés par la réalité du mythe, et David Prior met en place des séquences baignant dans une magnifique atmosphère. Son film se suffirait en tant que slasher à la Scream, mais il va aller bien au-delà en développant son récit avec une force insoupçonnée!
Il faut dire que l’introduction a de quoi perturber par rapport à la trame principale, et cela met déjà en place toute la complexité du propos et de cette légende de l’Empty Man. La séquence d’ouverture, qui est nettement plus longue qu’une intro classique, démontre à quel point David Prior gère les codes horrifiques, et fait office de mise en bouche des plus délectables! La façon dont est gérée la tension, le lent basculement vers l’irréversible, et la caractérisation de personnages intéressants, permettent de s’immiscer immédiatement dans une histoire forte qui va nous secouer. La mise en scène impressionne, avec cette tension sous-jacente et ces détails anormaux. C’est également cette anormalité dans le quotidien que Prior exploitera pour démontrer l’emprise progressive de l’Empty Man. La fluidité de sa caméra permet de donner vie à des environnements à l’atmosphère lourde et inquiétante, et on se balade dans cette petite ville pas si tranquille que ça avec un vrai plaisir, tant les plans sont travaillés. On pourrait rapprocher la composition de ce film de l’excellent thriller I see you, dans lequel le metteur en scène Adam Randall possède une acuité visuelle et narrative comparables.
James Badge Dale (Iron Man 3, World War Z, The Walk : rêver plus haut, Donnybrook) s’avère excellent dans le rôle de Lasombra, avec une profondeur bienvenue dans la psychologie de son personnage. D’un côté, il semble totalement maîtriser chaque élément de son existence, et de l’autre, il est tiraillé par un passé douloureux, et ce mélange est savamment dosé, et surtout joué avec une justesse exemplaire. James Badge Dale donne vie à un héros bien plus intéressant que la moyenne dans ce genre de production, et on va voir au fur et à mesure de son enquête que cette écriture s’avère très intelligente. Rien que la façon dont il interroge l’amie d’Amanda est bien plus précise et optimale que ce qu’on a l’habitude de voir, et qui en général se perd davantage dans les poncifs. Sasha Frolova donne une consistance assez éthérée à Amanda, et on la sent bien border-line… L’actrice vue dans Red Sparrow ou Les Filles du Docteur March joue avec beaucoup de tact cette ado déphasée… Et de toute façon, à partir du moment où vous avez Owen Teague dans un film, vous savez que ça ne peut pas bien se passer ^^ L’acteur n’a qu’un rôle secondaire ici, mais il a déjà une carrière bien remplie, avec Ca, Black Mirror (l’épisode Arkangel), Ca : Chapitre 2, Le Fléau, mais surtout le magnifique I see you que j’évoquais plus haut, dans lequel il nous livre l’une de ses prestations les plus impressionnantes de sa jeune carrière.
La densité narrative de The Empty Man permet d’aller bien plus loin qu’un slasher classique, et David Prior va explorer des thématiques bien diverses que l’on voit souvent dans les films horrifiques, mais pas toutes ensembles! C’est dans cet entremêlement que le film impressionne, car il ne fait aucun faux pas et parvient à maintenir un équilibre parfait! La mise en scène bien intuitive de Prior ne fait qu’ajouter à la solidité de l’ensemble, et on se retrouve face à un film qui va bien perturber nos sens aiguisés par des décennies de films de genre! Comme quoi, il est toujours possible d’innover, et The Empty Man en est une preuve sublime et irréfutable! La construction de ses séquences est parfaite, comme lorsque James se réveille en pleine nuit en entendant des bruits, ou lors de la mise à mort très graphique dans le sauna! Prior parvient même à jouer sur une certaine sensualité qu’il mêle irrémédiablement à la mort…
The Empty Man n’a pas eu la chance de sortir en salles l’année dernière, mais je vous invite vraiment à lui donner sa chance!