Rage (Stephen King, 1977)

Après le succès immédiat de son premier roman, Carrie, Stephen King a publié Salem puis Shining, l’Enfant Lumière, qui se sont également très bien vendus. Comme les règles du marché de l’édition américaine ne permettent pas de publier plus d’un roman par an, Stephen King opte pour un pseudonyme afin de contourner cela. C’est sous le nom de Richard Bachman qu’il va sortir son premier roman n’ayant aucun élément surnaturel, Rage. Ce choix d’un pseudo est également un bon moyen de faire retomber la pression engendrée par le succès de ses livres, puisque chacun d’eux est de plus en plus attendu. Rage ne bénéficie donc pas de l’effet de notoriété attribué au nom de Stephen King, et n’atteint pas les succès pécuniaires de ses oeuvres précédentes. Mais paradoxalement, il s’avère être une des oeuvres les plus intéressantes de son auteur.

S’il est sorti en 1977, Rage a été rédigé en grande partie lorsque King était lycéen, et il l’avait finalisé en 1971. Le récit se centre sur Charlie Decker, un élève du lycée de Placerville que l’on ne peut pas considérer comme un meneur ou un élève-modèle. Charlie rejette l’autorité et n’est pas du genre à se laisser faire, ni a accepter les standards ou à intégrer l’équipe de foot comme quaterback. Il a une conscience aigüe des problèmes sociaux et de l’hypocrisie régnant au sein de la société, qu’elle se situe au niveau des élèves ou des professeurs. Un beau jour, il va péter un plomb et franchir la limite, en tuant un professeur et en prenant sa classe en otage…

Ce roman s’avère très intéressant de manière rétrospective, avec les événement de Columbine et autres s’étant déroulés depuis. King s’intéresse au cas de cet individu à part qui ne trouve pas sa place dans ce monde, coincé entre des diktats autoritaires et une volonté de tout envoyer bouler. Sa force de caractère lui permet de tenir tête aux autorités, et sa conscience de tout ce qui va mal dans le système va lui donner les armes pour tenter de faire imploser tout ça. Si le sujet est explosif, l’écriture elle va se faire très intimiste, et on va se retrouver dans un huis-clos avec Charlie et ses camarades de classe enfermés, et les flics, les professeurs et les badauds situés à l’extérieur. 2 mondes vont être littéralement coupés, celui des ados perdus et que l’on oblige à embrasser un futur auquel ils ne tiennent pas forcément, et celui des adultes qui vacille violemment face à cette révolte d’un jeune homme désespéré.

Rage va être mené sur le ton de la confidence, avec un Charlie Decker qui va se livrer à ses camarades avant que ceux-ci expriment également ce qu’ils pensent et ressentent. Ce bouquin est une sorte d’extrapolation de toutes les peurs inhérentes à l’adolescence, et du manque de communication existant entre les élèves eux-mêmes ainsi qu’entre les différentes générations. Charlie est en révolte car cela bouillonne depuis un moment en lui, et son passage à l’acte est une sorte de message adressé aux adultes, cristallisant tout le mal-être que peuvent ressentir les jeunes. La discussion qui va être entamée avec les autres élèves va permettre de redistribuer les cartes, et de preneur d’otage, Charlie va passer à libérateur de  consciences. Il va commencer par raconter ses propres souvenirs traumatisants, avant de laisser la parole aux autres jeunes, et on va aller sur différents terrains comme l’abus d’autorité parentale, le sexe, la drogue, l’érosion des rêves adolescents…

Rage a été écrit dans les années 60-70, mais sa lecture permet de voir que les problèmes semblent récurrents suivant les époques. L’incommunicabilité entre jeunes et adultes est la clé de toutes les problématiques, ainsi que les strates mises en place par les élèves. Ceux qui sont exclus par leurs pairs se retrouvent acculés et tourmentés, et cela peut en partie expliquer (et non pas pardonner) des actes parfois insensés. Mais au-delà de son aspect polémique, Rage est une radiographie captivante du monde adolescent, en proie à des émois qu’il ne gère pas forcément, et là où la vie et l’espoir devraient primer, la noirceur et la mort s’imposent parfois avec tristesse. Les discussions entre Charlie et ses camarades vont s’avérer très intéressantes, et il va leur permettre de se révéler, à la fois dans leurs bons côtés et dans leurs aspects plus primaires, mais cette journée va tout changer pour chacun d’entre eux. De geôlier, il va passer confident et va exacerber tout ce qu’ils ressentent, afin de les laisser s’exprimer sur leur condition, sur leurs rêves et sur leurs peurs. C’est dans cette vision où se mêlent les espoirs et les craintes que Rage devient sacrément bon, et peut figurer parmi un des romans les plus intéressants de son auteur!

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