Après Carrie en 1974 et Salem en 1975, Stephen King se lance dans la rédaction de l’un de ses romans les plus célèbres, Shining, l’Enfant Lumière. Cette histoire centrée sur un hôtel maléfique a une genèse particulière, puisque la famille de King a passé une semaine de vacances dans le Colorado en 1974. Ils résidèrent au Stanley Hotel, qui allait fermer pour la saison hivernale, et les King étaient donc les seuls résidents en cette période creuse. Le vieil hôtel bâti en 1909 était-il empli de présences menaçantes? En tous cas, lors de son séjour (dans la chambre 217 bien évidemment !), King a fait un cauchemar dans lequel son fils terrifié courait en hurlant dans le dédale des couloirs de l’hôtel, poursuivi par une lance à incendie qui tentait de l’étrangler. A son réveil, il avait trouvé le sujet de son prochain roman !
Shining, l’Enfant Lumière voit en effet la famille Torrance s’installer à l’hôtel Overlook, situé au-dessus de la ville de Sidewinter dans le Colorado. Jack Torrance, un enseignant d’université qui a été renvoyé, a du mal à joindre les deux bouts, et il a accepté un travail de gardien dans cet hôtel. Sa mission consistera à gérer tout le bâtiment durant la période hivernale, alors qu’il sera fermé au public. Jack, Wendy et leur fils Danny seront donc les uniques résidents de cette immense et ancienne bâtisse durant de nombreux mois… Mais Danny a une particularité intéressante, un don qui le rend presque unique : il est capable de lire les pensées des autres, et de ressentir ce que les autres ressentent. Il est aussi capable de ressentir et de visualiser des événements passés ou qui pourraient survenir dans le futur… Un don qui va agir comme un amplificateur dans cet hôtel, et qui va réveiller une terrible menace, bien décidée à s’emparer de ce pouvoir…
Shining, l’Enfant Lumière est certainement l’une des oeuvres les plus connues du King, et l’adaptation de Stanley Kubrick n’y est certainement pas pour rien. A tel point que comme pour Carrie, j’ai été parasité tout le long par des images du film, Jack Nicholson en premier évidemment. Cette lecture à double niveau n’a pas été forcément évidente, et empêchait d’être totalement immergé dans le bouquin. Ce qui ne lui enlève en rien ses qualités, mais comme King le dira lui-même dans la préface de la version intégrale du Fléau en 1989, à propos d’une éventuelle adaptation de ce roman : « Mais finalement, je crois qu’il est peut-être préférable pour Stu, Larry, Glen, Frannie, Ralph, Tom Cullen, Lloyd et l’homme noir d’appartenir au lecteur qui les visualisera au travers de la lentille de son imagination, d’une manière vivante et perpétuellement mouvante qu’aucune caméra ne pourra reproduire. » « Les films, même les meilleurs, fixent l’oeuvre d’imagination – quiconque voit Vol au-dessus d’un Nid de Coucou et lit ensuite le roman de Ken Kesey aura bien du mal à ne pas mettre le visage de Jack Nicholson sur celui de Randle Patrick McMurphy. » C’est exactement ce que j’ai ressenti à la lecture du roman de King, également adapté avec Nicholson !
L’intérêt du livre se situe à plusieurs niveaux. Il y a tout d’abord la désagrégation de la cellule familiale, les problèmes financiers de la famille étant dus au renvoi de Jack de l’université. Il y a une exploration de la violence physique et psychologique, Jack ayant déjà eu des accès de colère dramatiques, et qu’il regrettait toujours par la suite. Cette personnalité difficile est en plus doublée d’une addiction à l’alcool, même si cela fait longtemps qu’il n’a plus replongé. Face à un tel homme, Wendy ressent constamment un mélange d’amour, de tristesse et de crainte, et par extension, Danny, avec son hyper-sensibilité, ressent la même chose. L’aspect émotionnel et intime de cette famille s’avère riche et complexe, permettant de brosser des portraits qui n’ont rien de manichéen, et qui vont ensuite être placés dans des circonstances extrêmes. C’est toujours grâce à cette acuité dans le regard et à ce sens du réalisme que Stephen King parvient à nous intéresser à ses histoires.
Et celle de l’Overlook est sacrément diabolique, avec tout ce qui se cache dans les recoins. Danny est le premier à s’apercevoir du Mal qui habite ici, mais il le ressent par petites touches, certes horribles, mais jamais continues. Il voit un mur de sang lors de la visite faite par le gérant, vision que seul lui est capable de voir. Il verra ensuite d’autres choses au fur et à mesure de son séjour, mais le cuisiner de l’hôtel, qu’il a rencontré le jour du départ, l’a prévenu que ses visions ne pouvaient en aucun cas lui faire de mal. Ce cuisinier, Dick Halloran, a lui aussi le Don, et il est capable de communiquer avec Danny sans parler, simplement par télépathie. Il lui explique que lui aussi a déjà eu des visions, mais qu’il suffit de détourner le regard pour qu’elles se désagrègent. Le problème, c’est que le niveau du Don de Danny, le fameux Shining, est hyper-développé, et que cela attise au plus haut point la convoitise du Mal rôdant dans cette demeure. Le Don agit comme un prisme, mettant en relief le Mal, et si l’entité maléfique parvenait à capturer Danny, elle obtiendrait un pouvoir incommensurable et pourrait enfin s’étendre!
Danny va donc entamer une lutte à laquelle il n’était pas préparé du haut de ses 5 ans, et elle sera d’autant plus difficile que l’hôtel cherche à l’atteindre en manipulant son père. Jack est un homme brisé, qui tente de se reconstruire avec ce nouveau travail et la pièce de théâtre qu’il rédige, mais toutes ses failles sont autant de points d’entrée pour le Mal qui va s’y insinuer de plus en plus. C’est dans la lente progression de cette contamination que le roman est une réussite, car on va suivre un homme qui essaie de reprendre le contrôle de sa vie, et qui va se laisser gagner par des accès de colère, avant de basculer dans une sorte de folie. Tout va se faire de manière insidieuse, en prenant le temps d’installer le Mal, et Le duo Danny – Wendy va peu à peu se retrouver opposé à Jack. Au-delà de l’argument fantastique, Shining, l’Enfant Lumière est une très belle exploration des faiblesses et de la culpabilité d’un homme, qui va le mener dans une direction qu’il ne voulait certainement pas.
C’est en jouant sur ces deux tableaux, l’un très réaliste et pragmatique, l’autre fantasmagorique et irréel, que King parvient à immerger le lecteur dans ce roman. On va donc suivre les pérégrinations de Danny dans tout l’hôtel, avec ses lieux clés, dont la fameuse chambre 217 dans laquelle il ne doit sous aucun prétexte rentrer ! Et d’après vous, il va y aller ? ^^ King nous livre un roman horrifique rédigé avec une très belle plume, ponctué de phrases exprimant toute la triste poésie à laquelle il nous a habitué (« Les larmes qui brûlent sont aussi celles qui consolent »).