Guerilla 2 – Le Temps des Barbares

On ne pourra pas reprocher à Laurent Obertone d’avoir manqué d’ambition avec sa saga, puisque Guerilla explore en 3 volumes le déclin soudain de la France suite à un « fait divers » lors d’une descente policière en pleine cité de la Courneuve. L’auteur aurait pu se contenter d’un premier volume déjà bien puissant, mais il va poursuivre son récit et son exploration d’une nation mise à mal et qui va se retrouver plongée dans une ère éminemment régressive… Guerilla 1 – Le Jour où tout s’embrasa narre les 3 jours consécutifs à l’émeute ayant suivi le drame, et avec ce tome 2, l’auteur va développer cette histoire en étendant encore davantage ses répercussions. Après la chute de Paris et de quelques endroits en France, il va narrer la chute du pays dans son ensemble, avec des références assumées comme La Route de Cormac McCarthy, Le Fléau de Stephen King et même un soupçon de The Last of Us et de The Walking Dead! Avec quelques emprunts à la culture populaire, il va approfondir sa vision très personnelle de l’échec du « très-bien-vivre-ensemble », et comment les dérives islamistes ont ravagé Paris dans le premier tome.

On retrouve des personnages déjà découverts dans l’opus précédent, et on va faire connaissance avec de nouveaux protagonistes, pour une fois encore offrir au lecteur une vision globale de ce qui pourrait se passer si des attentats de cette ampleur étaient perpétrés. A l’heure où Olivier Véran cherche à nous rassurer sur les coupures de courant qu’il n’y aura pas (on se rappelle du masque qui ne sera jamais obligatoire ^^), ce second volet fait office de prémonition très pessimiste pour l’hiver à venir! En maîtrisant parfaitement les codes du roman de genre, Obertone asseoit ses idées sur notre pays à la dérive, gangrené par une violence qui ne cesse de grimper. Il va interroger avec beaucoup d’acuité ce que serait un monde coupé des réseaux sociaux, électriques et médiatiques, pour nous plonger dans un American Nightmare qui va durer un peu plus qu’une seule nuit!

La séquence d’ouverture de ce tome 2 est véritablement choquante, et m’a ramené à certains passages de Des Voix sous la Cendre… Obertone décrit avec une très grande précision la sauvagerie humaine, et cette scène s’avère vraiment insoutenable. Face à cette bestialité, il oppose une société faite de civils qui vont à l’abattoir sans rechigner, et si on pense que c’est exagéré, il suffit de lire les témoignages de camps de concentration durant la seconde guerre mondiale pour se rendre compte à quel point c’est véridique… En déshumanisant et en ôtant tout espoir à l’être humain, on peut lui faire accepter l’inacceptable…

On va retrouver ce vieux colonel parti sur la route avec cette petite fille qu’il a sauvé, on va recroiser Vincent Gite dans sa quête vengeresse, et on va également revoir certains activistes de gauche qui vont en prendre pour leur grade ^^ Alors que l’on évoquait récemment l’Ocean Viking, Obertone nous livrait sa propre vision de ces bateaux de migrants accostant le pays, et on ne peut pas dire qu’il fasse dans le politiquement correct ^^ Il n’est d’ailleurs pas très tendre non plus avec les militants de gauche, et se fait plaisir en rédigeant quelques passages bien gratinés, comme lors d’une réunion : « L’heure était grave à la Maison des opprimé.e.s, qui en raison des événements tenaient une réunion inter-non-straight-cis-binaire avancée, à la lueur des bougies équitables de Rodrigue, leur épicier queer préféré. Sur la porte du local, une première ligne : « Réservé aux personnes LGBTQIA2+ », puis on avait ajouté : « Et personnes racisé.e.s minoré.e.s », puis : « Et non-vaildes et atypiques », puis : « Et femmes », et on avait finalement rayé le tout au marqueur pour écrire : « Entrée interdite aux mâles blancs valides psychotypiques hétéro-binaires non-fluides », mais de sulfureux militants anti-assignation prétendaient que nul ne devait se réduire à des cases, et que désigner et catégoriser c’était déjà stigmatiser. »

 

Si Laurent Obertone gère très bien son mode humour, ce livre s’avère pourtant très sombre, tout en étant traversé par la même forme de poésie lugubre que le premier roman. Sa façon de décrire la nature ainsi que les rapports de l’homme à ce qui l’entoure est très belle, teintant de tragique ce qui est déjà bien noir… « Le jour s’était levé, mais pas le soleil. La soudure de la mer et du ciel, incertaine, vacillait sur l’horizon. Le large se balançait, l’abscisse de la mer oscillait autour du navire, et les migrants vomissaient. Sur la face gelée des flots, la neige s’était mise à tomber. Elle fondait sur le vernis de la mer et l’étrave fendait ces eaux grasses comme un fer de patineur marquant la glace. Fragile miroir que cette mer, posé sur les grandes profondeurs, où l’on ne voyait que son reflet. »

L’auteur va s’immiscer dans plusieurs genres à travers les évocations de la survie de tous ces personnages, et il va notamment offrir quelques séquences de guerre prenantes, avec par exemple ces échappés de l’armée s’en prenant au Califat nouvellement installé. La beauté de l’écriture d’Obertone se retrouve même lors de ces séquences mortelles, et il nous fait vivre ces affrontements au plus près du réel qu’il sublime à sa manière si particulière. Ce tome 2 part davantage dans le post-apocalyptique, et il prend le temps d’explorer ce monde qui a bien changé, et même si l’impact est un peu amoindri par une certaine distance plus grande avec ce qui a été traité dans le volume 1, on suit avec plaisir et effroi les destins de tous ces personnages, qui ne s’arrêteront donc pas pour tous ici, et que l’auteur achèvera avec l’ultime tome de Guerilla!

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