Detroit : Become Human (2018)

Nous sommes en 2038. Les avancées technologiques ont vu l’émergence d’androïdes fabriqués par l’entreprise CyberLife, qui sont rapidement devenus des outils régulièrement utilisés dans le quotidien. Vous allez incarner 3 androïdes à différents moments de leur vie, qui vont être confrontés à des problèmes particuliers allant jusqu’à remettre en cause le bien-fondé de leur programmation. Dans cette ville futuriste de Detroit, il se pourrait bien que ces êtres de plastique deviennent humains…

 

Ce jeu développé par Quantic Dream bénéficie d’un système de narration très développé, qui va nous permettre d’effectuer de multiples choix influençant fortement le cours du récit. Il y a de nombreuses possibilités, et chaque action aura des conséquences directes pour la suite. Ce concept est certainement l’un des aspects les plus prenants du jeu, dans lequel les 3 récits des personnages vont évoluer peu à peu en se croisant par moments. Il y a une grande intelligence dans l’élaboration de ce titre, et on est très rapidement happé par l’atmosphère et l’intrigue. Derrière Detroit : Become Human se cache David Cage, de son vrai nom David De Gruttola, qui est originaire de Mulhouse! Il est la tête pensante de Quantic Dream, qu’il crée avec 5 amis en 1997, ce qui lui permet enfin de monter son jeu The Nomad Soul, qui avait été auparavant refusé par plusieurs éditeurs. C’est le début d’une aventure qui dure encore aujourd’hui, et qui a permis de créer d’autres titres comme Fahrenheit, Heavy Rain et Beyond : Two Souls. Au fil des années, Cage et son équipe ont développé un système de jeu qui s’est peu à peu affiné, et qui a atteint un potentiel impressionnant avec Detroit : Become Human!

La thématique de la dualité humain-androïde n’est certes pas neuve, et on pense forcément au sublime Blade Runner de Ridley Scott, ou encore à Alien – le 8ème Passager, de… Ridley Scott! A une époque, le metteur en scène se plaisait à interroger ce qui caractérise un être vivant, en se demandant pourquoi un individu composé de circuits électroniques ne pourrait-il pas développer une conscience à la manière d’un être purement biologique? Pourquoi seuls les humains rêveraient-ils de moutons…? Le combat DeckardBatty est clairement celui de 2 civilisations, celle des humains et celle des Réplicants, les seconds étant considérés comme largement inférieurs par les premiers. Ce sont de simples machines, et non pas des êtres à part entière, doués d’émotions et de sentiments. Mais cet état de fait va-t-il devoir être reconsidéré? C’est cette formidable thématique qui est au centre de Detroit : Become Human, Cage et son équipe apportant leur vision de cet affrontement entre 2 peuples qui semblent voués à ne pas se comprendre, et destinés à se faire la guerre…

La découverte de cet univers riche et foisonnant permet d’entrer immédiatement dans ce jeu captivant, et on va commencer par un mélange de séquences très variées qui vont nous familiariser avec les commandes de jeu. On va découvrir Markus, un androïde de maison chargé d’aider son maître Carl, un vieil homme en fauteuil roulant et peintre renommé; Kara, une androïde domestique elle aussi, qui s’occupe d’un homme et de sa fille vivant dans un quartier pauvre; et Connor, mandaté par la société CyberLife pour accompagner l’inspecteur Hank Anderson dans une enquête concernant des Déviants, des androïdes ayant perpétré des actes répréhensibles. Chaque personnage va avoir sa propre sensibilité, ses propres tiraillements intérieurs, ses propres aspirations… Mais vont-ils pouvoir se libérer de leurs obligations pour pouvoir vivre la vie qu’ils osent à peine rêver? C’est ce schéma passionnant qui va être au centre de Detroit : Become Human, et on va enchaîner les heures de jeu très rapidement tant l’addiction est forte!

D’habitude, on prend un flingue et on dézingue à tout va, ou on entame des course-poursuites en voiture, ou on va explorer des contrées inconnues au bout du monde! Ici, on peut passer la serpillère, faire la vaisselle, sortir les poubelles ou encore ranger un atelier! ^^ Vous croyez pourtant que ça va être ennuyeux? Pas du tout, car on se retrouve dans un univers des plus réalistes, ce qui va considérablement augmenter notre empathie pour ces personnages! On va donc devoir assumer les tâches quotidiennes des androïdes dans un premier temps, afin de découvrir leur environnement et les rapports qu’ils maintiennent avec leurs propriétaires. Markus est respecté par le vieux peintre, Kara est traitée comme une moins que rien par le père de la pauvre Alice, qui est elle-même victime de la violence de cet homme instable. Et Connor va devoir faire face à un inspecteur qui déteste les androïdes… Chacun va avoir son parcours de vie, et va être obligé de lutter à sa manière…

On va plonger dans un univers palpitant à la fois futuriste et marqué par certains classiques, comme les séquences policières avec Hank et Connor qui renvoient à pas mal de polars américains! L’enquête dans le club de strip-tease, l’arrivée en pleine nuit dans une maison où a eu lieu un crime… La solitude de Hank et son côté râleur, accentué par ses altercations verbales avec son supérieur, renforcent encore ce côté très hollywoodien! (Bon, c’est pas Slaaaaaaater, mais quand même! ^^). On va découvrir un monde où après avoir été traités avec mépris, les androïdes vont commencer à être craints par les humains… Et cette montée de la suspicion va entraîner des réactions très violentes envers les robots… La haine et la peur vont engendrer un conflit majeur, car c’est bien connu, la différence fait peur alors qu’elle devrait surtout être une source de curiosité… Et que dire de l’ouverture du jeu sur cette prise d’otage, qui nous met direct dans le bain? Le stress est à son comble, Connor doit agir très rapidement pour tenter de sauver la victime en allant jouer le négociateur! Les phases d’enquête préliminaires, avec les analyses du lieu, s’avèrent excellentes, et on va devoir recueillir des indices afin d’optimiser notre manière de parler au preneur d’otage, afin de maximiser les chances qu’il relâche sa victime! On va suivre la jauge de stress du preneur d’otage, et on va tout faire pour qu’il se calme et qu’il accepte de se rendre! Et cette séquence sublime de marche pacifique, qui aura lieu plus tard dans le jeu? J’en ai eu des frissons, et ce n’est pas le seul moment qui m’en a donné! Et cette séquence digne des plus sombres films de SF, dans cette décharge pour robots évoquant les charniers de la Seconde Guerre? Il y a de réelles émotions qui se diffusent à travers les diverses séquences de ce jeu, et on en ressort vraiment secoué…

La relation de confiance instaurée entre Carl et Markus est très belle, le vieil homme considérant son employé comme un être vivant à part entière. Il va l’encourager à exprimer ses sens, ses émotions, et à s’interroger sur sa propre existence. Leurs dialogues vont s’avérer enrichissants et on se retrouve dans une oeuvre à la beauté complexe, qui va bien plus loin que le jeu vidéo lambda pour proposer une percée philosophique réellement captivante! Et pour encore renforcer la beauté du procédé, le rôle de Carl est dévolu à Lance Henriksen, qui jouait l’androïde Bishop dans Alien : le Retour !!! L’hommage est sublime, car le grand Lance incarne donc un personnage virtuel qui dans le récit est humain, alors qu’en tant qu’acteur, il jouait un robot à l’apparence humaine! ^^ Ce renversement fait partie de la beauté de la trame narrative, et vient renforcer la richesse métaphysique du titre signé Cage!

Tout au long du jeu, on va devoir prendre des décisions qui vont questionner notre nature profonde, et c’est paradoxalement en incarnant des androïdes que l’on va découvrir l’humanité qui peut se cacher dans un jeu vidéo! On a souvent le choix entre une solution pacifique ou agressive, et selon sa sensibilité ou son audace, on va opter pour l’une ou l’autre. Il est aisé de tuer sans remord dans un jeu vidéo, alors pourquoi est-ce qu’on hésite quand un individu nous demande de flinguer un robot à l’apparence humaine? La neutralité et la banalité de cet acte, perpétré d’innombrables fois dans des décennies de gaming, est remise en question à travers différents dilemmes, et à travers des choix multiples qui vont durablement nous marquer. Detroit : Become Human est comme une somme de tout ce qui a déjà été fait, et qui se permet de reconsidérer cet ensemble de potentiels en osant nous demander si cette impunité est bien légitime, et dans quelle mesure s’arroge-t-on le droit de considérer ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas? Si on poussait le concept à son paroxysme, on pourrait même se demander si Markus, Kara et Connor sont, dans l’espace-temps impalpable de ce jeu, tout aussi vivants que vous et moi dans notre espace-temps? La mise en abyme est vertigineuse et ouvre des possibilités insoupçonnées, tout en nous questionnant nous-mêmes sur notre propre identité et mortalité. Aaaah, ça change de Candy Crush et Crash Bandicoot hein??? ^^

Les séquences sont tournées en motion capture, avec de vrais acteurs prêtant donc leurs traits aux personnages et agissant devant une caméra tout en étant bardés de capteurs (je vous avais mis un extrait de making-of dans l’article consacré à Uncharted 4 : A Thief’s End, si vous voulez découvrir le procédé). On a donc ce bon vieux Lance qui joue Carl, mais on a également Jesse Williams, le beau gosse de Grey’s Anatomy, qui joue Markus, avec un talent indéniable en lui conférant une humanité troublante. Ce bon vieux Clancy Brown, briscard d’Hollywood avec un palmarès impressionnant (de Highlander à Promising Young Woman, en passant par Randonnée pour un Tueur, Moonwalker, Simetierre 2, Les Evadés et tant d’autres!) incarne Hank, l’inspecteur bourru qui va devoir se coltiner un androïde dans son enquête. On va alors être en mode buddy movie à l’ancienne, avec le duo de flics improbable qui ne peut pas se sentir. Face à lui, Bryan Dechart (c’est pas loin de Deckard, tiens…) campe un Connor très procédurier dont l’assurance va être mise à rude épreuve lors de son enquête. Et Valorie Curry apporte toute sa sensibilité à Kara, qui va vouloir protéger à tout prix la petite Alice des griffes de son père.

Markus, Kara et Connor vont chacun façonner leur chemin, qui va mener à une opposition de plus en plus ouverte entre humains et androïdes. Markus va devenir un leader malgré lui, Kara va devenir une survivante, et Connor va osciller entre sa fonction première et une certaine propension à aller contre son programme… Chacun va puiser en lui des ressources insoupçonnées, qui vont être le germe d’une prise de conscience et par là même de la création d’une existence personnelle pure, et donc d’une humanité consciente. On assiste donc à travers ce titre à l’émergence d’une nouvelle espèce, fabriquée par les humains, et qui devient autonome tout en revendiquant ses droits. Cette thématique sociale renvoie avec force à l’oppression des Blancs sur les Noirs, et ce parallèle est traité avec beaucoup de subtilité et de profondeur, jusque dans les moindres détails, comme les emplacements réservés aux androïdes dans les bus… Detroit : Become Human va également traiter des violences faites aux femmes et aux enfants à travers plusieurs personnages, et quand on a des humains qui frappent des androïdes de type féminin, c’est simplement parce qu’ils ne voient en ces robots que de simples objets. Exactement comme un homme violent peut percevoir sa femme pourtant bien humaine? Les questionnements sont forts, et Detroit : Become Human va loin pour nous interroger sur notre société, nos travers, nos espoirs et nos désillusions. Et le désir de vivre des androïdes va nous renvoyer à la simplicité même que devrait représenter notre propre existence, en s’éloignant de tout ce qui nous déshumanise…

Les machines seront-elles la perte de l’humanité? Sarah Connor dirait bien que oui, mais Connor et ses semblables nous poussent à adopter un autre point de vue, et à tenter de faire coexister 2 peuples pas si différents que cela… Je vous invite fortement à découvrir cet excellent jeu, qui vous remuera les neurones avec une aisance impressionnante, et qui vous marquera durablement même après l’avoir terminé! Et pour ne rien gâcher, il est graphiquement superbe, avec un réalisme bluffant et des environnements réellement immersifs!

 

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