China Girl (Abel Ferrara, 1987)

En 1987, Abel Ferrara n’a pas encore atteint la renommée qu’il obtiendra avec The King of New York, Bad Lieutenant ou Body Snatchers, l’Invasion continue. Pour l’instant, il a mis en scène une poignée de courts, un film pornographique (9 Lives of a wet Pussy), un film horrifique amateur complètement raté (Driller Killer), qui va pourtant être remarqué par William Friedkin, lequel lui offre un budget plus élevé pour réaliser L’Ange de la Vengeance, une des oeuvres les plus viscérales dans le domaine du rape & revenge. Il enchaîne avec New York, 2 Heures du Matin, quelques épisodes de séries télé (dont Deux Flics à Miami), et nous livre donc en 1987 l’une de ses oeuvres les plus accessibles avec China Girl, transposition de Roméo et Juliette à la frontière de Little Italy et Chinatown, en plein New York.

Ferrara a très souvent filmé la ville qui lui est chère et dans laquelle il a grandi, lui qui est originaire du Bronx. Il s’est la plupart du temps intéressé aux gens du peuple, dont il raconte le quotidien difficile teinté d’espoirs et de désillusions. Ferrara peut être vu comme un héritier en mode plus trash des Coppola, Scorsese et autre De Palma, dont il partage une certaine vision hiérarchisée des clans. Dans China Girl, il va traiter de la rivalité entre les Italiens et les Chinois, en plaçant au centre de cet échiquier dangereux un couple d’adolescents amoureux. Lui est d’origine italienne, elle est Chinoise, et leur rapprochement va être vu d’un très mauvais oeil par leurs communautés respectives. Ferrara va traiter du racisme ambiant avec un prisme plus complexe que ce que l’on pouvait attendre, car il va mettre en lumière les collusions permettant aux rivaux de maintenir un certain équilibre commercial.

Il s’agit du tout premier rôle pour Richard Panebianco, que l’on recroisera par la suite très peu du côté d’Hollywood. Il participera à 1 épisode de la série Vendredi 13, apparaîtra dans Né un 4 Juillet, Cadillac Man, mais sa carrière ne décollera jamais vraiment. Le constat est similaire pour Sari Chang, qui recroisera la route de Ferrara dans The King of New York, mais qui disparaîtra assez rapidement des écrans. Les deux acteurs jouent le jeune couple déchiré par leurs différences, mais assez amoureux pour prendre le risque de se voir. Ils sont plutôt convaincants, et sont aidés par quelques acteurs secondaires qui auront eux un peu plus de chance dans leur carrière. On a croisé James Russo dans Il était une Fois en Amérique, Le Flic de Beverly Hills, Cotton Club, Les Anges de la Nuit, et il est encore très actif aujourd’hui, avec plus d’une dizaine de films actuellement en post-production.

Vous connaissez forcément David Caruso, le Horatio Caine des 232 épisodes des Experts : Miami! Il était tout jeune et bien énervé à l’époque, et un peu plus combatif que dans Rambo! ^^ Abel Ferrara peut compter sur cette jeune garde pour donner vie à un récit prenant, qui cède parfois à certains clichés de l’époque, mais on sent une vraie patte dans la mise en scène et un certain souffle new-yorkais sur l’ensemble. Ferrara sait comment gérer des affrontements et des poursuites entre gangs, et sa vision donne un bel élan nostalgique à l’ensemble. Il y a par exemple davantage de tension que dans le surestimé Les Guerriers de la Nuit de Walter Hill lors des oppositions entre clans. On sent également un attrait certain pour le fonctionnement et les strates du pouvoir, qu’il va décortiquer du côté italien mais également chinois. Face à la haine se déversant dans la rue et maintenue par les jeunes, les aînés tentent de conserver le calme sur leurs différents territoires, avec des ententes laissant de côté le racisme.

C’est finalement cette vacuité de la haine de l’autre qui est mise en avant, puisqu’elle dessert à la fois les individualités mêmes en stigmatisant la différence, mais les collectivités également en mettant à mal les accords tacites et en créant de l’insécurité dans les rues. Abel Ferrara nous dépeint une histoire d’amour à la fois simple et tragique, de celles qui sont impossibles tant les différences culturelles et l’intolérance sont ancrées. Mais Tony et Tye s’aimeront coûte que coûte, au détriment de leurs proches, alors qu’une escalade de violence va baigner les rues de sang. On retrouve des thématiques essentielles chez Ferrara, qu’il traite avec un sens davantage grand public, afin de toucher une portion plus grande de la population, et le résultat est un beau film jouant la partition Roméo et Juliette avec classe. Cette plongée dans les 80’s fait du bien, et on se retrouve dans un film typique de ces années, bénéficiant d’une mise en scène habile et d’un contexte fort.

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