Black Box Diaries est le premier film de Shiori Itō, mais c’est un exercice qu’elle n’aurait paradoxalement jamais tenté si elle n’avait pas été victime d’un viol à l’âge de 25 ans. Ce film fait suite à l’édition de son premier livre, La Boîte Noire, dans lequel elle dénoncait déjà le traumatisme qu’elle avait subi de la part d’un important journaliste. Mais étant elle-même journaliste, elle va se mettre dans le rôle de l’investigatrice afin d’enquêter sur sa propre affaire, ce rôle lui permettant par la même occasion de ne pas sombrer et de garder un certain recul dans ses procédures. Shiori Itō est une femme au courage et à la détermination exemplaires, qui est capable de montrer ses failles et ses faiblesses tout en démontrant sa combativité et sa résolution à aller jusqu’au bout.
Au Japon, seuls 4% des agressions sexuelles font l’objet d’un dépôt de plainte. Un chiffre catastrophique démontrant la quasi-impunité des criminels, alors même que la notion de consentement n’est pas inscrite dans la définition du viol, et que l’âge de la majorité sexuelle était de 13 ans… Une aberration au niveau d’une loi vieille de plus d’un siècle, et que la médiatisation de cette affaire allait peut-être permettre de faire évoluer… Car au-delà de son propre exemple, Shiori Itō souhaite aussi apporter son aide à d’autres victimes, dans un pays où la honte et le déshonneur sont les principaux freins à la libération de la parole. Quand les victimes ont davantage honte que leur agresseur, cela pose effectivement question sur le fonctionnement même de la société…
On débute le film sur sa décision de rendre les faits publics, avec les questionnements personnels que cela suscite et les conséquences sur l’entièreté de sa vie. Cela va remettre en cause le principe sacré nippon du « surtout ne pas faire de vagues », et risque d’avoir des conséquences durables sur sa vie privée, professionnelle, et aura également un impact sur ses proches. Mais malgré ces difficultés, Shiori Itō va décider de faire une conférence de presse afin de révéler ce qui lui est arrivé 2 ans auparavant, et va témoigner à visage découvert. Elle va mettre en cause le directeur d’agence journalistique qui l’a violé, Noriyuki Yamaguchi, qui est un proche du premier ministre Shinzō Abe, ce qui va fortement compliquer son chemin vers la vérité.
Shiori Itō est un exemple incroyable de ténacité et de courage face à un système archaïque et des individus qui s’en servent pour asservir les autres. En racontant sa propre histoire, elle se fait malgré elle la porte-voix de l’ensemble des femmes japonaises, et sa longue procédure va à un moment coïncider avec l’affaire Weinstein et le #metoo qui s’en est suivi, mouvement qui a pourtant eu énormément de mal à trouver sa voie au Japon. Mais l’affaire s’est de plus en plus médiatisée, et Shiori Itō, qui n’avait pas été épargnée par les reproches, les injures et les menaces, trouvait une résonnance avec les victimes d’autres pays.
Ce documentaire retrace les événements en temps réel, puisque la journaliste a souhaité documenter l’intégralité de son parcours judiciaire. L’une des particularités de ce film est qu’elle a enregistré (parfois juste en audio, parfois en filmant) de manière cachée de nombreux échanges qui se révélaient importants pour l’enquête, et on se retrouve pris dans un doc qui prend des allures de thriller d’autant plus captivant qu’il est d’une sincérité absolue! On ressent avec Shiori les émotions qu’elle traverse lors de certains appels et de certaines rencontres qui s’annoncent cruciaux, et on a par moments des instants pris sur le vif dans son intimité, lorsqu’elle se filme ou que des amis la filme, dans des instantanés terriblement touchants qui permettent de se rendre compte des modifications importantes que toute cette affaire a sur son bien-être. On découvre des réactions suivant directement certaines annonces, et on ne peut qu’être pris à la gorge par les boulersements émotionnels qu’elle subit de manière permanente…
Je choisis de ne pas trop divulguer des éléments de l’intrigue qu’est devenue sa vie suite à ce crime dont elle a été victime, afin que vous puissiez découvrir ce film poignant et indispensable par vous-même, mais on peut le rapprocher d’une certaine manière du superbe Citizenfour de Laura Poitras, qu’elle avait consacré à Edward Snowden. Black Box Diaries est composé avec le même sentiment d’urgence vitale et de recherche absolue de la vérité, et des premières images jusqu’aux dernières, on se retrouve totalement happé par cette histoire bouleversante et le destin de cette jeune femme qui a décidé de se battre pour faire enfermer son agresseur, et pour retrouver son équilibre et la maîtrise de son existence.
