Premier long métrage du metteur en scène Pedro Martín-Calero, Les Maudites s’aventure sur le terrain du film fantastique avec une approche sensitive et une écriture qui se plaît à varier les temporalités. On va suivre les destins entremêlés de 3 jeunes femmes aux prises avec une entité invisible mais destructrice, dans une oeuvre qui évoque par certains aspects le It Follows de David Robert Mitchell. Andrea, Marie et Camilla vont être les témoins des agissements de cet être qui ne peut se voir directement, mais qui agit dans l’ombre et de manière très perverse. Andrea, incarnée par Ester Expósito (vue dans la série Elite), est une étudiante qui va assister à des apparitions cauchemardesques, et qui se sent terriblement seule alors que son petit copain se trouve à l’étranger. Pedro Martín-Calero fait preuve d’une mise en scène très moderne avec cette approche des réseaux sociaux, en notifiant visuellement les échanges entre Andrea et Pau. On pense à des oeuvres comme Unfriended ou Host, et cet ajout donne une tonalité intéressante au métrage. L’irruption du Mal à l’ère technologique crée un soupçon d’anachronisme qui donne une certaine patine à l’oeuvre.
Mais Pedro Martín-Calero ne va pas se contenter de cette tonalité, puisque son film va nous inviter à découvrir un autre lieu avec une approche sensiblement différente. Cette rupture peut s’avérer déroutante mais va démontrer à quel point l’auteur maîtrise son sujet et sa trame narrative, car il parvient à nous embarquer à travers cette nouvelle vision qui va se faire cette fois-ci à travers l’objectif de la caméra d’une étudiante en cinéma. On va là encore s’intéresser à la technologie mais en s’éloignant des smartphones et des ordinateurs portables, pour accéder à une certaine essence du 7ème art, mais sans que cela paraisse pompeux et prétentieux. Pedro Martín-Calero va interroger les images comme il le faisait précédemment avec Andrea, mais cette fois-ci en observant Marie à travers le regard de Camilla. Le Mal va apparaître de manière fugace et toujours détournée, et c’est dans l’anticipation de la captation d’image que vont se jouer la peur et l’angoisse.
On ne se retrouve pas face à un film d’épouvante qui va glacer d’effroi son spectateur, mais devant une oeuvre qui se plaît à jouer avec l’effet d’attente et les limites de ses cadrages, donnant aux instruments d’enregistrements (téléphone, ordinateur, caméra) le rôle de révélateurs de l’indicible. Si cette technique n’est pas nouvelle, elle est utilisée avec beaucoup d’intelligence par Pedro Martín-Calero, qui gère parfaitement la montée de la tension et qui dirige ses actrices avec une grande précision. Ester Expósito, Mathilde Ollivier (Marie) et Malena Villa (Camilla) apportent chacune leur sensibilité pour offrir à ces trois femmes des personnalités très différentes et qui vont enrichir la trame de départ du film. On ne se retrouve pas dans un slasher américain avec ses personnages interchangeables, mais on sent à la fois une approche esthétisante de la part du réal et une volonté de creuser les âmes des personnages avec une approche davantage film d’auteur au niveau du scénario, co-écrit par Isabel Peña et Pedro Martín-Calero. C’est très agréable de voir un film qui prend le temps d’élaborer les relations entre ses protagonistes et qui les fait évoluer, tout en questionnant quelques sujets très modernes comme la notion de respect de l’intimité. Le fait de suivre une femme en filmant une autre paraît moins problématique que s’il s’agissait d’un homme filmant une femme, mais le questionnement se pose tout autant.
L’une des scènes de départ a lieu dans une boîte de nuit, et lors de cette séquence stroboscopiques, Pedro Martín-Calero fait preuve d’une très belle maîtrise et crée une sensation de malaise à travers ces flash lumineux tout en magnifiant une certaine vision de la beauté féminine. Ces ressentis antinomiques participent à cette tonalité bien personnelle avec laquelle il crée ce long métrage, et cette séquence hypnotisante s’avère excellente. Pedro Martín-Calero va jouer sur les subtilités temporelles et géographiques pour mettre en place des atmosphères différentes, mais qui vont à chaque fois se retrouver gangrenées par cette présence diabolique et insaisissable, qui lorsqu’elle est captée par un appareil, s’avère très flippante.
Les Maudites est une très belle surprise dans le genre du cinéma fantastique ibérique, qui s’il a connu son heure de gloire dans les années 2000, parvient à nous happer encore de temps en temps!