La Malédiction : l’Origine (Arkasha Stevenson, 2024)

On ne peut pas dire que la motivation était à son apogée lorsque je me suis lancé dans ce film, car après les désastres Halloween, L’Exorciste : Dévotion et autres réappropriations débilitantes de classiques horrifiques, je ne voyais qu’un opportunisme commercial dans cette préquelle à la franchise initiée par Richard « L’Arme Fatale » Donner. Et je me trompais très lourdement sur cette oeuvre, qui dès ses premières images affichait une profondeur et une vision inattendues . La Malédiction : l’Origine s’inscrit avec une efficacité redoutable dans la veine des films horrifiques 70’s, qu’ils nous viennent d’Italie ou d’Amérique, et Arkasha Stevenson nous livre une des oeuvres les plus remarquables du genre depuis bien longtemps !

L’histoire prenant place à Rome en 1971, on a littéralement la sensation que le film a été tourné à cette époque, tant la direction artistique, la photographie et la mise en scène parviennent à retranscrire l’essence même de cette période. Honnêtement, le résultat est vraiment bluffant et va activement participer à la réussite de ce film. Arkasha Stevenson va bien évidemment placer des références à La Malédiction de Donner, mais va également puiser du côté du Suspiria d’Argento et d’autres oeuvres cinématographiques transalpines, et on a réellement l’impression de se balader dans un giallo de la première heure ! Arkasha Stevenson ne va certes pas recourir à des colorations criardes, mais va offrir une vraie texture à ses compositions en jouant sur les nuances de couleurs et les ombres, offrant des effets visuellement très forts. Sa manière de jouer avec les drapés, qu’il s’agisse des robes des religieuses ou des rideaux flottants au gré du vent dans les intérieurs, va apporter une dimension sépulcrale indéniable, créant une atmosphère tangible et persistante.

Arkasha Stevenson va d’entrée de jeu s’appuyer sur une très solide mise en scène, mais sans pourtant insister sur cet aspect visuel, dans le sens où elle n’est pas là pour faire de l’esbrouffe, mais sert un script bien stressant et flippant. Je dis « elle » car effectivement Arkasha est une femme, ce qui surprend dans un monde où les films horrifiques sont majoritairement traités par des réalisateurs masculins, et cette différence aura une très grande importance dans la qualité de cette oeuvre. Mais pour en revenir à sa mise en scène, elle nous gratifie de plans et de séquences qui ont été très travaillées en amont, et on sent que rien n’a été fait au hasard. On va avoir des moments de composition picturale d’une beauté envoûtante, comme ce plan où Margaret se réveille dans son lit, avec cette cascade de cheveux disposée telle Méduse, et des séquences où on va littéralement sentir la pulsation horrifique sortir du plan avec une caméra plus mouvante, qui va épouser les tremblements du personnage. Je crois que j’ai rarement vu une séquence aussi intense que cette sorte de transe/possession, qui est réalisée sans trucage mais qui est juste magnifiquement jouée !

C’est là où le sexe de la réalisatrice importe, car dans ce scénario co-écrit par Tim Smith, Arkasha Stevenson et Keith Thomas, l’élément féminin va être d’une grande importance. Deux hommes et une femme ont écrit ce film centré sur une communauté de femmes dans l’Italie des années 70, le film se déroulant dans un orphelinat géré par des religieuses. Les actrices et acteurs sont franchement très talentueux, mais je pense que la direction d’acteurs féminine apporte une solidité indéniable à ce film, car certaines actrices se retrouvent à jouer des séquences très difficiles, et le faire sous l’oeil d’une femme semble être pour beaucoup dans la qualité de la prestation offerte. Je reviens sur cette scène de transe/possession, que Nell Tiger Free joue en allant puiser au plus profond de ses ténèbres internes ! Elle est juste glaçante dans sa manière de jouer, de se mouvoir et de lâcher des grognements atroces ! L’actrice anglaise est connue pour son rôle de Myrcella Baratheon dans l’incontournable Game of Thrones, et n’a pour le moment pas encore développé une grande filmographie, mais le talent dont elle fait preuve dans ce film est indéniable, et je ne vois pas comment elle pourrait ne pas percer à Hollywood. Elle est capable de jouer l’ingénuité et l’innocence à la perfection, pour d’un coup basculer dans un registre nettement plus obscur, et la transition se fait avec un naturel confondant… Elle possède en plus une de ces beautés hypnotiques caractéristiques des films d’horreur latins, car j’y inclue également les films espagnols ^^

A ses côtés, on a sa compagne Luz (Maria Caballero, qui tiens, est Espagnole !), qui intensifie encore l’aspect innocent de Margareta, puisque Luz est quant à elle un peu plus libre et frivole. La séquence de la boîte de nuit apporte des instants totalement hypnotiques, et là encore, Arkasha Stevenson excelle tant dans la retranscription d’une époque que dans l’exacerbation des sens, et on ressent littéralement l’intensité de la rencontre entre Margareta et ce jeune homme en discothèque. Arkasha Stevenson ne reste pas en surface, mais est capable de faire jaillir les émotions à l’image, et c’est un talent somme toute assez rare malheureusement! On a également la jeune actrice américaine Nicole Sorace qui apparaît dans son premier film, et qui impressionne par la force de son personnage, qui n’est pourtant pas du tout évident à jouer! On ne peut pas oublier l’Australienne Ishtar Currie-Wilson, qui sait comment jouer de ses traits particuliers pour être à la fois hypnotique et terrifiante ! Aux côtés de ces actrices très talentueuses, on retrouve les mythiques Charles Dance et Bill Nighy, qui apportent bien évidemment une belle solidité à leur rôle de père ou de cardinal. Sonia Braga, Ralph Ineson et Tawfeek Barhom complètent ce casting impressionnant, chacun occupant sa place très efficacement dans cette oeuvre que l’on croirait tournée à une autre époque.

La Malédiction : l’Origine va être à contre-courant du schéma contemporain axé sur un rythme effréné et des jump scares à foison, pour se focaliser sur un récit très bien construit et imiter le rythme plus calme mais pas forcément plus détendu des classiques des années 70. Arkasha Stevenson ne va pas lésiner sur les effets gores et l’atmosphère malsaine, mais rien n’est fait pour pallier artificiellement la vacuité du scénario, ce qui est souvent le cas dans les films décérébrés habituels. Sa manière de filmer le gore en révèle toute la beauté crépusculaire, et l’atmosphère qu’elle crée ne va pas s’essouffler comme un ballon de baudruche dès les changements de séquence. Arkasha Stevenson sait comment gérer les différents paliers pour construire une oeuvre forte, dans laquelle les émotions, les sentiments, les pulsions, les croyances et les peurs vont s’entremêler dans un maelstrom de plus en plus hypnotique, mais d’une maîtrise tellement rare que c’est un réel plaisir de plonger dans ce récit d’une noirceur sans fond! A la manière des films italiens de cette époque, elle va traiter du sujet central de la religion et de la culpabilité qui en découle, en traitant également des notions de Bien et de Mal qui ne sont pas si distinctes.

Je vous invite vraiment à tenter ce film, qui vaut bien mieux que ce que l’on pouvait croire au départ, et qui est bien loin de la production purement commerciale à laquelle je m’attendais. La Malédiction : l’Origine est un vrai grand film d’horreur, d’autant plus impressionnant qu’il adopte à la perfection le système narratif et les codes sensitifs d’une autre époque. L’utilisation de ralentis, les chuchotements et les soupirs venant alourdir la musique, la beauté picturale de l’ensemble du film (c’est vrai que la réalisatrice à oeuvré sur la 3ème saison de Legion, et on comprend donc son aisance au niveau de la mise en scène!), en font une oeuvre atypique et essentielle. La musique envoûtante de Mark Korven participe activement à la qualité de cet ensemble, tout comme la puissance de la photographie d’Aaron Morton dont j’avais déjà croisé la route, puisqu’il a travaillé sur les excellents Spontaneous et Traquée de Brian Duffield, dans lequel il faisait déjà des merveilles!

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