Swallow (Carlo Mirabella-Davis, 2019)

Lauréat du Prix spécial du Festival de Deauville, Swallow est précédé d’une réputation prometteuse et intriguante. Son metteur en scène Carlo Mirabella-Davis nous livre ici son second long métrage, après le documentaire The swell Season co-réalisé avec Nick August-Perna et Chris Dapkins (qui se centrait sur le duo de musiciens du film Once). Les premières oeuvres sont souvent l’occasion de définir un style tout en mettant en lumière des thématiques chères aux auteurs, et Swallow constitue un premier long de fiction étonnant et envoûtant, en évoquant l’existence difficile de cette jeune femme incarnée à la perfection par Haley Bennett.

La réussite du film n’aurait pas pu atteindre un tel niveau sans la présence de cette actrice incroyable, qu’on a déjà pu croiser chez Araki (Kaboom) ou chez Antoine Fuqua (Equalizer, Les sept Mercenaires). Sa composition viscérale du personnage d’Hunter prend réellement aux tripes, et s’avère d’une intensité impressionnante. Hunter mène une existence bourgeoise des plus mornes, s’effaçant perpétuellement vis-à-vis de son mari et de sa belle-famille. La vision de la femme au foyer des années 50 perdure jusque dans l’imagerie et les décors, et elle va développer un pica, qui est un trouble psychologique compulsif, poussant la personne qui en est atteinte à avaler divers objets, ce qui peut bien évidemment s’avérer très dangereux.

Carlo Mirabella-Davis va nous faire vivre cette détresse psychologique de l’intérieur, en restant constamment aux côtés d’Hunter. La sensibilité du metteur en scène impressionne, avec une certaine forme de pudeur qui est toutefois accompagnée d’une vraie frontalité. L’intelligence de son découpage et de sa composition picturale font que l’on va suivre cette descente avec une tension véritable, en ressentant presque la douleur d’Hunter. Encore une fois, le jeu d’Haley Bennett est d’une justesse incroyable, permettant de traiter ce sujet avec une réelle intensité sans tomber dans le pathos ni dans le ridicule. Ce travail d’équilibriste constant fait de sa prestation l’une des plus abouties de l’année, même si cette année commence à peine! Sous sa surface lisse et souriante bouillonnent de véritables tourments, qui vont ressortir avec ce trouble du comportement. La subtilité avec laquelle Haley Bennett jongle entre son visage de femme parfaite et l’expression viscérale de ses émotions apporte une authenticité devant laquelle on ne peut pas rester indifférent!

Carlo Mirabella-Davis construit un récit anxiogène dans lequel la jeune femme se retrouve doublement prisonnière, tout d’abord de sa condition sociale finalement dégradante, et ensuite de sa fragilité psychologique. L’intelligence avec laquelle ces thématiques sont liées est très rassurante, car c’est le genre de sujet qui peut rapidement tourner en boucle, mais qui ici se pare d’une véritable tension. La mise en scène de Mirabella-Davis enferme Hunter dans cette existence désincarnée, tout en composant des tableaux véritablement beaux. Sans atteindre la qualité graphique phénoménale d’un Park-Chan Wook avec l’hallucinant Stoker, on plonge dans un drame psychologique qui se défend vraiment bien visuellement aussi. Les scènes où Hunter avale des objets sont un mélange d’ultra-sensibilité et de stress intense, ce qui permet de vivre de manière très intime ces instants qui vont être déterminants pour la jeune femme.

L’évolution du récit va se faire là encore avec la même acuité et avec la même force, et le tout est amené sans grand discours moralisateur ou simplement explicatif, mais de manière très brute et d’autant plus intense. Swallow prend aux tripes tant par son sujet psychologique que par l’évolution de son récit, et si c’est une oeuvre à ne pas mettre entre toutes les mains, elle a le mérite d’aller au bout de ce qu’elle nous raconte, en laissant des traces émotionnelles durables.

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