2019 s’avère être une année forte pour le cinéma français, avec des propositions diverses s’avérant très immersives. On a eu un très captivant Chant du Loup en début d’année, un envoûtant L’Heure de la Sortie dans la même période, ou encore un sublime Deux Moi à la rentrée. Il faudra donc ajouter à cette liste Les Misérables de Ladj Ly, qui radiographie le malaise social avec une acuité et un équilibre impressionnants!
Stéphane, qui sera rapidement surnommé Pento, a quitté Cherbourg pour intégrer une unité de la BAC à Montfermeil. Il va rapidement découvrir les conditions très difficiles dans lesquelles il va devoir oeuvrer pour faire son travail, avec ses collègues Chris et Gwada. On pouvait craindre une approche partiale qui se contenterait d’épouser le point de vue des habitants de la cité, mais Ladj Ly va faire coexister très intelligemment les visions des deux côtés du miroir. Le personnage de Stéphane, fraîchement débarqué, va permettre aux spectateurs ne vivant pas dans ces quartiers difficiles de découvrir le quotidien de ces habitants, avec des zones d’exclusions réelles et des conditions souvent précaires. Les 3 flics de la BAC viennent quotidiennement visiter la cité afin de surveiller ce qui s’y passe, mais Chris est du genre Judge Dredd, persuadé que la loi, c’est lui.
Le film va s’appliquer à suivre une journée type pour cette équipe, avec des tensions rapidement palpables, et le boulot de Chris, Stéphane et Gwada est justement de faire baisser ses tensions. Mais les événements vont s’enchaîner jusqu’à un point de rupture, et l’unité va se retrouver dépassée suite à une intervention. Ladj Ly va distiller ces tensions avec une très belle maîtrise dans la gradation, et va surtout les faire évoluer avec une belle intelligence. Il évite à la fois le pathos et tous les artifices qui peuvent plomber ce genre d’oeuvres sociales, et il nous livre un condensé brut et hautement explosif qui s’avère du coup être en plus un excellent film policier!
Etouffant, immersif, direct, Les Misérables bénéficie d’une mise en scène qui frappe fort et de manière très précise, grâce à des plans caméra à l’épaule qui nous plongent au coeur même de l’action sans que l’on puisse y échapper, ou à quelques brefs moments de respiration avec des prises de vue par drone, qui là encore revêtent un aspect social en montrant précisément la géographie des lieux dans lesquels s’affrontent les protagonistes. Il y a dans ces plans aériens une sorte de faux calme, histoire de reprendre son souffle avant de replonger de plus belle dans ce quotidien difficile. Ladj Ly ne se perd pas en explications rationnelles, il fait tout ça à l’instinct, et cela fonctionne d’autant mieux! Il est autant à l’aise dans les scènes d’action que dans les séquences plus calmes, et fait preuve d’une excellente justesse dans les dialogues. Le scénario est signé par Ladj Ly, Giordano Gederlini et Alexis Manenti, l’acteur qui joue Chris. La musique participe aussi de très belle manière à l’ensemble, car elle vient se greffer sur certaines scènes de manière discrète, ajoutant juste ce qu’il faut pour souligner à peine les tensions.
Damien Bonnard (En Liberté!, Le Chant du Loup) offre une retenue toute en tension sous-jacente pour son personnage de Pento, qui va devoir se faire sa place dans son équipe. Ce qui n’est pas évident avec un chef de meute comme Chris, chien enragé qui n’hésite pas à dépasser les limites autorisées… Alexis Manenti (Dans la Brume, Le Monde est à toi) est impressionnant dans ce rôle ingrat, et il s’avère très rapidement détestable, à la fois par ses propos et par ses actes. Djebril Zonga (C’est tout pour moi) va avoir un rôle plus mesuré, avec ce personnage de Gwada qui a toujours vécu dans ce quartier. Les 3 acteurs se connaissent, puisqu’ils avaient déjà joué les mêmes rôles (avec un changement de prénom pour Damien Bonnard) dans le court métrage Les Misérables de Ladj Ly en 2017, dont le film qui vient de sortir est une extension. Les jeunes acteurs sont eux aussi impliqués, notamment Issa Perica qui s’avère très bon. Là encore, si on pouvait craindre de l’utilisation de clichés, Ladj Ly parvient à complexifier les situations pour que les relations entre chacun évoluent au gré des violences et des tensions subies.
Les Misérables est une oeuvre qui frappe fort et qui marque durablement, et ce résultat est dû à une vision sans concession de son auteur, qui va souligner à la fois le quotidien difficile des habitants du quartier mais aussi le danger quotidien pour les flics travaillant dans ces banlieues difficiles. Il n’y a pas de discour moralisateur, pas de solutions toutes faites pour régler ces problèmes, et Ladj Ly ne se pose surtout pas comme un ambassadeur. Il nous propose une vision brute de la vie en banlieue pour tous ceux qui y coexistent, qu’ils aient un badge ou pas. C’est en ce sens que Les Misérables peut atteindre la puissance qui l’anime, et parvenir à être aussi impressionnant et captivant. Loin de tout discours didactique, ce film percute de plein fouet et touche d’autant plus efficacement. Ladj Ly a réalisé une oeuvre très percutante, qui marquera le cinéma français!