Avec Deux Moi, Cédric Klapisch va prendre le pouls d’une société qui se veut hyper-connectée et dont la solitude est une constante paradoxale. Un thème très moderne qui a déjà été abordé par le cinéma et qui fait partie des dérives contemporaines, et sur le papier on se demande bien ce que l’on va pouvoir rajouter de plus à ce sujet archi-rebattu. Mais c’est sans compter sur la délicatesse et la sensibilité de Klapisch, qui va prendre à témoins les personnages de Rémy et Mélanie pour radiographier la réalité d’une jeunesse actuelle qui n’a pas les outils pour se connecter aux autres…
Le film va suivre le quotidien de ces 2 êtres esseulés, à qui il manque ce quelque chose de fondamental pour avoir envie de se lever chaque jour. Rémy passe des nuits d’insomnie tandis que Mélanie peut dormir 13 à 14 heures d’affilée, et chacun sent que son corps et son esprit ne suivent pas leurs envies. Sans parvenir à mettre des mots dessus, ils subissent cette solitude et tentent de vivre leur quotidien dans lequel les moments de joie semblent bien diffus… Cédric Klapisch va aimer et va nous faire aimer ces 2 êtres isolés et pris dans une spirale d’échecs, et par le biais de ces 2 personnages, il va narrer la réalité d’une société contemporaine très décalée et qui s’avère finalement anxiogène pour les relations.
En traitant en filigrane de la réduction des coûts en entreprise, avec les replacements et les délocalisations que cela engendre, ou encore de cette volonté de jeunisme qui anime hypocritement d’autres entreprises, il va glisser quelques messages que l’on connaît malheureusement mais qui permettent de comprendre comment les êtres peuvent être étouffés par un système qui les dépasse. Comment parvenir à se trouver soi-même et à trouver un ou une autre qui nous corresponde quand la société se base sur des valeurs qui ne mettent pas l’humain au centre? Le principe de robotisation de l’usine, ou la standardisation et la déshumanisation dans les hot-line téléphoniques sont des exemples tellement évidents de ces dérives…
Cédric Klapisch ne va pas frapper du poing sur la table, il va se poser en tant qu’observateur bienveillant, à la fois désolé des virages pris par le monde actuel, et qui refuse pourtant de laisser ses 2 personnages partir complètement à la dérive. Chacun va croiser un spécialiste qui va tenter de les aider à mettre le doigt sur leurs peurs et leurs problèmes, et à mettre des mots sur ce qu’ils traversent. Un mal moderne qui demande de la compréhension et de la remise en question, de l’ouverture et de la recherche quant aux racines de ce mal. Klapisch va nous présenter des scènes traversées par un humour léger mais aussi par de vraies émotions lorsqu’il va placer Rémy et Mélanie face à leurs psys. Des spécialistes interprétés avec une belle justesse par l’excellent François Berléand et la tout aussi excellente Camille Cottin!
François Civil n’en finit plus de gravir les échelons dans le cinéma français, et après Le Chant du Loup et Mon Inconnue, il retrouve donc Klapisch et Ana Girardot avec qui il avait tourné Ce qui nous lie en 2017. François Civil excelle dans ce rôle de l’homme moderne sensible et paumé, et il s’avère très touchant dans sa composition de Rémy. Ana Girardot apporte toute sa luminosité au personnage de Mélanie, dont la fragilité est elle aussi très touchante. Elle prouve encore une fois tout son talent et sa sensibilité dans ce rôle. On sent qu’une connection est possible entre ces 2 êtres pris dans leur solitude, il faut juste que chacun apprenne à s’ouvrir et comprenne le sens profond de leur mal-être… Deux Moi est une sorte de fable psychanalytique, et dit comme ça ça ne donne pas forcément envie, mais en fait il s’agit d’un superbe film qui va analyser avec une très belle précision ce mal-être qui touche tellement de personnes… Deux Moi n’est pas une comédie romantique, mais va en utiliser quelques codes et jouer avec, pour nous livrer une histoire captivante emmenée par 2 personnages à la fois anonymes et précieux, de ceux qui se fondent dans la masse par peur de vivre, et qui ne demandent au final qu’à aimer et à être aimés.
Deux Moi va osciller entre tendresse, poésie urbaine, humour et vrais moments d’émotions, et va se poser comme une vision d’une très belle acuité sur l’état social actuel. Il va user de très belles et subtiles méthodes pour chercher à connecter ses personnages, comme cette volute de fumée, ou cette musique entendue à travers les cloisons… Il y a en Deux Moi une vision à la fois très concrète des difficultés à se rencontrer, mais également quelques belles envolées naïves et crédibles qui font du bien! Touchant, simple et tellement beau, Deux Moi va susciter de l’émotion, mais il va le faire subtilement et en atteignant directement l’intimité des spectateurs. Parce qu’après tout, il nous connecte à nos propres envies et à nos propres peurs, et c’est en cela que Cédric Klapisch parvient brillamment à nous immerger dans son film!