En 2014, les membres du groupe anglais Storror avait lâché une belle petite bombe avec Roof Culture, une vidéo d’environ 6 minutes décrivant leurs défis sur les toits britanniques. Ces traceurs/freerunners avaient grandement contribué à lancer ce culte de la hauteur, le fameux Roof Cult. Quand on parle de Parkour et de freerun, les vidéos qui tournent le plus sur le net sont forcément celles qui sont les plus impressionnantes et qui demandent le plus de risque. Mais la notion même de risque est subjective, car tout va dépendre en grande partie de l’entraînement intensif et de la discipline appliqués au départ. Le risque zéro n’existe évidemment pas, mais tout comme un funambule s’élance sur son fil tout là-haut, les Storror arpentent les toits du monde avec respect et concentration extrême.
Face à une personne s’apprêtant à réaliser un saut à haut risque, comme c’est le cas quand il a lieu entre 2 immeubles de 20 étages, des sentiments paradoxaux nous assaillent immédiatement. Il y a la peur primale, celle de ce vide absolu, mêlée à la fascination face à cette détermination à sublimer les obstacles. Car il y a l’obstacle physique, qui peut être surpassé grâce à l’entraînement et à la rigueur; et il y a l’obstacle mental, ce blocage émotionnel qui peut tout faire dériver dans un sens positif ou négatif. Au moment d’affronter un saut, c’est certainement l’obstacle mental qui est le plus important à prendre en compte, car si le traceur veut se lancer, c’est qu’il a conscience d’en être physiquement capable.
Roof Culture Asia n’est pas une simple superposition de sauts effectués à travers l’Asie, mais va prendre le temps d’explorer la psychologie de ces athlètes de haut niveau, afin de parvenir à comprendre ce qui les pousse à tenter de tels exploits. A travers cette construction évolutive, Roof Culture Asia va révéler l’essence même de cette fratrie, elle-même appartenant à un mouvement bien plus grand dont elle n’est qu’une infime partie. La team Storror va développer son propre point de vue sur le Parkour et le freerun, sans chercher à en faire une loi établie, mais en nous mettant dans la confidence à travers les émotions ressenties au travers de ce sport. Callum Powell, Sasha Powell, Max Cave, Benj Cave, Drew Taylor, Joshua Burnett-Blake et Toby Segar vont exprimer à chaque étape leurs envies, leur doutes, leurs sensations et leurs joies, et Roof Culture Asia est un instantané de leur existence tout simplement sublime!
On peut adhérer ou non à cette culture des hauteurs, mais en voyant ce documentaire, on ne peut qu’apprécier l’esprit dans lequel ils évoluent. La prise de risque est évidemment réelle à de telles hauteurs, mais quand on les entend expliquer leur approche de chaque saut, on comprend qu’il ne s’agit pas de casse-cous ayant juste envie de reproduire les vidéos virales vues sur YouTube, mais au contraire qu’ils ont le talent, la force de caractère, le physique et le mental appropriés pour conquérir ces toits… Filmé par Sasha Powell, Giles Visive, Toby Segar et Ryan Lovejoy, et monté par Toby Segar et Sasha Powell, Roof Culture Asia est un trip rare vécu de l’intérieur, et qui nous prend littéralement aux tripes d’ailleurs! A une époque, Philippe Petit a conquis le World Trade Center en ce jour du 7 août 1974, comme l’a si merveilleusement retranscrit Robert Zemeckis dans son sublime The Walk: rêver plus haut; cette année, les Storror nous convient à leur itinéraire hors du commun, qu’ils mettent en scène et qu’ils vivent avec certainement autant de passion!
Au-delà même de l’aspect spectaculaire, Roof Culture Asia est une réussite totale dans sa réalisation et son rythme, et dans un genre forcément différent, je me suis pris à plusieurs reprises à le comparer à l’immense Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio! Ce film aux frontières du documentaire et de l’expérimentation est une sorte de radiographie des USA des années 80, et je ne pense pas exagérer en disant que les Storror viennent de nous livrer une radiographie contemporaine du Parkour et du freerun, qui risque bien elle aussi de prendre de la valeur avec le temps qui passe! L’utilisation de GoPro, d’appareils photos, de drones est désormais une constante, et permet de filmer avec une liberté de mouvement totale et une absence de contraintes physiques réellement novatrices!
Et du coup, les sauts réalisés lors de ce voyage à Hong-Kong, Tokyo et Séoul prennent toute leur envergure avec la beauté de la mise en scène caractérisant ce documentaire! On sent l’appréhension, on ressent le vertige, on est bombardé par l’adrénaline! On vit et on retient notre souffle avec les Storror, comme si on faisait le temps de ce film partie intégrante de leur groupe, et ce sentiment est un très beau cadeau de leur part! Je vous conseille vivement de plonger sans plus attendre dans ce trip ultime, riche en rebondissements et en émotions fortes!!! Ca se passe par ici! 😉