Koyaanisqatsi (Godfrey Reggio, 1982)

Premier film de la trilogie des Qatsi, Koyaanisqatsi est certainement le plus captivant. Ce film à la frontière du documentaire et de l’expérimental est un trip ultime, Godfrey Reggio nous convoquant pour une odyssée très courte (le film dure 1h15) et d’une intensité pourtant exceptionnelle. Reggio réalise le film ultime sur la vie elle-même, démontrant à chacun de ses merveilleux plans la place de l’Homme dans l’Univers, et réalisant une oeuvre d’une poésie assez hallucinante et non dénuée d’humour!

Koyaanisqatsi est un film hors-norme, et il faut accepter de plonger dans ce périple pour en apprécier toutes les saveurs; il offre une vision unique de l’existence, et s’avère un film-somme dédié à l’humanité. Il représente ce qui pourrait caractériser la population humaine, et offre un regard extérieur permettant de saisir toute la beauté et en même temps la folle absurdité de l’être humain.

En commençant par ce plan magnifique dont on comprend assez tard ce qu’il représente, et en initiant un périple sublime dans la nature, Godfrey Reggio filme des plans incroyables pour l’époque, et dont la portée émotionnelle est encore intacte aujourd’hui! Son film est quasiment entièrement composé de ralentis ou d’accélérés, permettant de questionner la dimension temporelle à chaque instant. La beauté de ces vagues de nuages se fracassant contre les montagnes, les panoramiques à couper le souffle sur le désert… Reggio est parvenu à capter l’essence même de l’existence, et a réussi à rendre intacte la beauté inhérente d’une nature sauvage et sublime.

Puis vient l’Homme, qui puise les richesses de la Terre, et qui entame une oeuvre de déstabilisation et de destruction. L’Homme qui n’a pas de visage au début, et qui réussit à créer le chaos. Les images d’explosions atomiques sont d’une beauté terrifiante, et la vision de ces bombes larguées des soutes est d’une force prodigieuse… Reggio capte le sublime même dans l’horreur, et en cela son film est absolument incroyable. Il est comme un être totalement en-dehors de l’humanité qui piocherait des images et qui les assemblerait de manière faussement naïve…

Car s’il n’y a aucune parole dans ce film, le montage est très clair, et Koyaanisqatsi se présente comme un film ouvertement écologiste, et va encore plus loin en dénonçant un système capitaliste alors en pleine expansion à l’époque. Le montage parallèle des chaînes d’usine déversant des flots ininterrompus de saucisses, avec celui des escalators expulsant des centaines de travailleurs est très fort… Reggio filme le monde du travail comme rarement, mettant en avant les cadences infernales et la petitesse de l’Homme perdu dans ces rouages… Le temps passe inexorablement, et l’Homme est prisonnier de ces machines qui le conditionnent, dans un jeu de causes à effets absurde… La caméra qui file sur le rail où les petits pains avancent, alors que les opératrices les prennent machinalement à la chaîne… Les rangées d’ateliers où les femmes effectuent des tâches répétitives jusqu’à l’usure… Reggio filme cet enfer sur Terre avec un sens esthétique hallucinant!

Toutes les séquences nocturnes que l’on trouve dans les films américains sont contenues dans Koyaanisqatsi… Les centaines de rues où les milliers de véhicules se croisent dans un flot incessant, les bretelles d’autoroutes monstrueuses, les milliers de buildings caressés par la lune… On est pas très loin de ce qui s’apparenterait à l’une des plus belles adaptations de James Ballard! A chaque plan, la place de l’Homme est montrée par rapport à l’immensité de la nature et de ce qu’il en a fait. La beauté vertigineuse du désert ou des métropoles s’avèrent incroyables, et Koyaanisqatsi remet l’Homme à sa place.

Powaqqatsi et Naqoyqatsi ne possèdent pas la même force sublime, et Koyaanisqatsi s’avère être un véritable trésor visuel. La musique magnifique de Philip Glass souligne parfaitement ces images somptueuses, et fait de ce film un voyage temporel d’une portée incroyable! C’est une expérience dans laquelle il faut vouloir plonger, mais si on va jusqu’au bout, on en ressort bouleversé…

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2 réponses à Koyaanisqatsi (Godfrey Reggio, 1982)

  1. Vance dit :

    Tu sais sans doute combien j’avais été frappé, séduit par ce film incroyable, dans lequel je vois également un remarquable texte de SF. Tu as bon goût !

  2. Wade Wilson dit :

    Merci! 😉 Mais il faut quand même que tu saches que c’est grâce à ton article que je l’ai découvert à l’époque!

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