26 ans. Il aura fallu attendre 26 longues années avant de pouvoir retourner dans la petite bourgade de Twin Peaks, située dans l’état de Washington. Dire que la série de Mark Frost et David Lynch est mythique relève de l’évidence la plus totale, tant ce show a brouillé les pistes à l’époque en proposant un traitement radicalement différent de tout ce qui était connu dans le monde télévisuel! En associant un adepte du surréalisme et de l’étrange comme Lynch et le scénariste Mark Frost, la chaîne ABC (la même qui diffuse Marvel: les Agents du S.H.I.E.L.D.!!!) allait donner vie à une oeuvre explosant tous les codes narratifs et qui ne se souciait aucunement d’un quelconque respect du format. Twin Peaks est la source originelle de toutes les séries modernes, intégrant une écriture, une mise en scène et une atmosphère qui toucheront tous les adeptes de séries, et la très grande majorité des producteurs, qu’ils le reconnaissent ou non…
Quand on parle de Twin Peaks, on a toujours à l’esprit l’image de David Lynch, cinéaste de l’étrange par excellence dont cette série représente un aboutissement. Mais il faut rendre à Mark Frost la place qui lui revient, lui qui aurait pu être crédité du terme anachronique de showrunner à l’époque. C’est en effet lui qui supervisait l’écriture et la production des épisodes des 2 premières saisons, car une fois le pilote emballé, Lynch est allé tourner Sailor et Lula. L’expérience télévisuelle est très différente du cinéma, et il fallait un connaisseur pour assumer l’ensemble des contraintes inhérentes à ce format, et Frost ayant à son actif l’écriture de 48 épisodes de Capitaine Furillo ou de 13 épisodes d’American Chronicles (sans compter une première expérience de production sur cette série documentaire), il semblait l’homme chevronné nécessaire pour canaliser la folie créative de Lynch. Les deux hommes ont élaboré ensemble toute la mythologie de la ville et toute l’intrigue gravitant autour de la figure tragique de la mystérieuse Laura Palmer… Je vous invite d’ailleurs à lire cette interview très intéressante sur Daily Mars!
Avec un pilote écrit en 8 jours, une 1ère saison de 8 épisodes et une seconde de 22 épisodes, on ne peut pas dire que les auteurs s’embarrassent des normes… Mais l’impunité artistique se verra bien malmenée par les responsables de la chaîne, qui obligent Frost et Lynch à dévoiler le nom du meurtrier de Laura, ce qu’ils ne voulaient absolument pas faire… Du coup, Lynch déteste ce qu’est devenu la seconde saison (voir l’excellent article de Brain damaged)! Et voilà qu’après quelques péripéties (dont un abandon pur et simple du projet par Lynch, avant de revenir rapidement!), une saison 3 est lancée, avec un total de 18 épisodes, menés par les 2 créateurs du show originel, qui ont eu une liberté artistique totale, avec un David Lynch en réalisateur exclusif sur l’ensemble de la saison (en plus de reprendre son rôle de boss du FBI Gordon Cole)!
Si on s’attendait forcément à un retour nostalgique dans la petite bourgade de North Bend (le vrai nom de la ville où a été tournée la série!), Frost et Lynch vont une fois de plus brouiller les pistes en plaçant leur récit dans divers lieux aux Etats-Unis, alors qu’en 1990 et 1991, on n’était jamais sorti de Twin Peaks! Un départ surprenant donc, mais avec cette histoire de boîte en verre mystérieuse située à New York, et qu’il faut constamment surveiller pour voir ce qui va se passer, Frost et Lynch installent une ambiance étrange et oppressante… On va ensuite découvrir de (très) nombreux personnages au fur et à mesure des épisodes, qui vont nous balader dans différents endroits, et même à Twin Peaks tiens! Pendant une très longue partie de cette saison, on se demande où veulent nous emmener les auteurs… Ils vont développer un autre pan de la mythologie de la série, en jouant sur l’absurde bien évidemment, mais aussi une certaine forme de second degré, ou alors carrément quelques belles erreurs scénaristiques… Et pour ceux qui ont vu la série, ils ne pourront qu’être d’accord quand je dis que le traitement infligé au personnage de Dale Cooper a été vraiment exagéré… Mais bon, ça fait partie de la folie lynchienne et de sa volonté d’aller là où on ne l’attendait pas, tout en offrant une certaine logique absurde à cet aspect de l’histoire…
En plongeant dans cette saison 3 qui était attendue comme le Saint Graal, on pensait replonger directement dans l’essence même de ce qui faisait la série, avec un mélange subtil de nostalgie et de magie sombre… Le résultat est plus bancal que cela, car durant la majeure partie du show, on ne retrouve pas du tout l’atmosphère originelle! Mais Frost et Lynch parviennent à maintenir notre attention, en rédigeant des séquences étranges desquelles pourraient bien découler cette vieille magie perdue… On va donc naviguer entre des scènes looongues et étirées qui peuvent selon l’humeur paraître totalement dénuées d’intérêt ou gentiment absurdes, mais une chose est sûre, c’est que l’on se retrouve dans une sorte de Twin Peaks-bis, entre hommage et parodie à l’originale… On va recroiser par moments des figures connues, qui seront pour la plupart du temps secondaires, et c’est là encore un des grands regrets de cette saison! Revoir Catherine E. Coulson dans le rôle de la Femme à la Bûche est source d’une belle émotion, Lynch ayant tourné avec elle ses scènes en 2015, l’actrice étant décédée peu de temps après… On retrouve Bobby Briggs, l’adjoint Hawk, Lucy et Andy, et évidemment Dale Cooper… Mais de nombreux nouveaux personnages apparaissent, sans qu’ils aient forcément une importance capitale dans le script, c’est notamment le cas de Naomi Watts, James Belushi, Robert Knepper (T-Bag dans Prison Break), et ils étirent le récit dans des directions dont on aurait franchement pu se passer, si ce n’est le côté absurde qu’ils apportent. Cette saison 3 de Twin Peaks s’éloigne en fait de Twin Peaks durant de très (trop!) nombreux épisodes, mais Frost et Lynch ont tout de même eu la bonne idée de ne pas totalement abandonner les fans de la première heure…
La fin de la série est à ce titre aussi remarquable qu’inespérée, et le season finale en 2 épisodes s’avère tout simplement sublime, avec quelques prémisses dans les quelques épisodes précédents! On a enfin l’impression de replonger dans les années 90 en revoyant le générique avec la douce musique d’Angelo Badalamenti, et les expérimentations visuelles et narratives des auteurs trouvent enfin leur sens! L’épisode 17 est à ce titre monumental, suivi d’un épisode 18 plus en retenue mais qui nous laisse sur une fin peut-être encore plus dingue que celle de la saison 2!!! La manière dont les auteurs jouent avec leur propre mythologie, en la triturant et surtout en y retrouvant des émotions sincères et lointaines, rend ces épisodes juste indispensables! Cette 3ème saison n’aura été à la hauteur des 2 premières que sur une poignée d’épisodes, mais il fallait les mériter en suivant tout le reste! Frost et Lynch signent un ultime retour à Twin Peaks très ambivalent, mais qui marquera pourtant encore une fois grâce à un tiers de ses épisodes! Laura l’avait prédit à en 1992: