La Fièvre saison 1 (2024)

En 2016, Eric Benzekri créait avec Jean-Baptiste Delafon la série Baron Noir, centrée sur la montée d’un homme politique incarné par Kad Merad. Cette année, il fait cavalier seul pour nous concocter La Fièvre, une série possédant également des ramifications politiques, mais prenant également le pouls d’une société sur le point d’imploser. Racisme anti-blanc, racisme systémique policier, fenêtre d’Overton, la série va évoquer des concepts très contemporains et qui sont rarement évoqués à l’écran, et ça fait du bien de suivre une fiction collant d’aussi près au réel!

Tout commence lors d’une soirée de remise de trophées dans le monde du football, quand un joueur noir met un coup de boule à son entraîneur en le traitant de « sale toubab », le terme « toubab » signifiant « blanc » en langue wolof. Le scandale éclate et le club du Racing est sous le feu des projecteurs, avec sa star Fodé Thiam en mauvaise posture après ce geste et ces propos inexcusables. C’est là que va intervenir l’agence Kairos, qui comprend en son sein des spécialistes de la gestion de crise. Eric Benzekri part d’un postulat qui va avoir des répercussions très importantes, et la façon dont il va articuler les différentes ramifications issues de ce scandale va s’avérer passionnante! Benzekri va s’entourer de Laure Chichmanov et Anthony Gizel afin de rédiger un scénario à la fois très dense et d’une très belle fluidité dans sa progression. Les 3 auteurs nous immergent très rapidement dans cette situation tendue et cette forme d’urgence permanente, inhérente à la gestion de crise. On va découvrir les rouages de ce métier s’appuyant en grande partie sur la psychologie collective, et c’est vraiment un régal de plonger dans ces concepts qui vont théoriser les strates sociales afin de tenter de comprendre comment résoudre ce point de friction qui risque d’embraser le pays.

La mise en scène est à l’avenant, et se combine parfaitement avec ce sentiment d’urgence et ce délitement social. Le metteur en scène libanais Ziad Doueiri s’occupe de l’ensemble des 6 épisodes de La Fièvre, et il n’est pas un inconnu pour Eric Benzekri, puisqu’il avait précédemment réalisé 12 épisodes de Baron Noir. Et c’est à souligner, il avait mis en boîte en 2005 un épisode de l’excellente série Sleeper Cell ! Ziad Doueiri parvient à générer une belle  atmosphère délétère, et il est capable de rendre passionnant des séquences dialoguées parfois conceptuelles qui auraient pu perdre les spectateurs. Ici, il n’en est rien, et la cohésion entre la qualité d’écriture et la maîtrise visuelle fait que l’on a du mal à décrocher de cette série, et que le rythme hebdomadaire s’avère rapidement frustrant ! ^^

Nina Meurisse, vue dans BRI ou Le Ravissement, incarne Sam Berger, l’une des communicantes de l’agence Kairos, et l’actrice s’avère excellente dans la composition de ce personnage passionné, possédant une acuité impressionnante dans sa compréhension des événements et des fluctuations sociétales, tout en devant composer avec un HPI la laissant souvent à l’écart par rapport aux autres. L’énergie du personnage est communicative, et on souffre avec elle lorsqu’elle se trouve dans des phases plus difficiles. Sa relation avec son fils est également traitée avec beaucoup de sensibilité, bénéficiant là encore d’un travail d’écriture exemplaire, complétée avec une mise en scène capable de faire ressortir la beauté de ces moments intimistes. Sam est représentative d’une certaine gauche, éclairée et humaniste, qui sent la nation se fracturer et qui a de plus en plus de mal à supporter le poids de cette chute imminente.

Aux antipodes de Sam, on retrouve Marie Kinsky, incarnée par l’excellente Ana Girardot. Quel plaisir de voir cette grande actrice sortir de ses rôles habituels de femme timide ou naïve! Je l’avais vue dans les excellents La Prochaine Fois je viserai le Coeur ou Deux Moi, et également dans l’excellente série La Flamme ^^ Loin des rôles de femme réservée, elle incarne avec brio une comédienne de stand-up usant d’un humour très à droite, qui de son côté possède tout comme Sam Berger une brillante capacité d’analyse de la société, et qui va appuyer là où ça fait mal pour mettre en lumière les problématiques fortes secouant la France. C’est un plaisir de la voir se lâcher dans une interprétation très cynique et machiavélique, et la joute qui se met en place à distance entre Sam et Marie est captivante!

J’ai été agréablement surpris par la prestation de Benjamin Biolay, qui est très bon dans le rôle du patron du Racing, même si j’étais souvent perturbé par sa ressemblance avec Benicio Del Toro ! ^^ Pascal Vannson est excellent dans le rôle de l’entraîneur passionné et qui ne fait pas dans la langue de bois, ça fait plaisir de voir un personnage avec ce caractère fort, et l’acteur le joue parfaitement! Lou-Adriana Bouziouane interprète quant à elle la militante Kenza Chelbi avec une belle ferveur, ce qui va permettre de comprendre les rouages sous-tendant l’activisme politique, et les compromissions qui sont souvent faites pour certains combats. On voit de l’intérieur le fonctionnement idéologique permettant la cohésion des membres, et c’est très intéressant de plonger dans ces coulisses. J’ai par contre trouvé le personnage de Fodé Thiam sans grand intérêt, si ce n’est pour sa fonction même, avec ce point de départ violent. Mais le personnage reste trop lisse et trop simple, et l’acteur Alassane Diong ne parvient pas à le rendre attachant. Johann Dionnet campe avec une belle aisance le politicien Bertrand Latour, qui va s’allier avec Marie Kinsky afin de rallier l’opinion à ses côtés. Et Xavier Robic incarne le patron de Kairos avec une belle humanité, lui qui doit composer avec l’humeur fluctuante de Sam, en étant tout à la fois protecteur et en imposant des limites.

La Fièvre est une analyse passionnante de notre société actuelle, et va confronter les différents points de vue des protagonistes en les articulant avec une belle subtilité. On a en gros une sorte de combat entre la gauche et la droite, mais qui n’a rien de caricatural car le scénario va user d’une plume acerbe et vive afin de s’immiscer dans le cerveau et les pensées de chaque protagoniste, et cette série apparaît comme une sorte de débat entre 2 bords politiques face à la réalité de notre société actuelle. Eric Benzekri décrit des faits et des tendances, sans nous bassiner avec une quelconque bien-pensance qui forcerait le trait pour obliger le spectateur à prendre un parti. On se retrouve face à ces personnages qui sont le reflet de la population, et on se retrouve du coup face à un miroir nous renvoyant à nous-mêmes, et c’est avec une grande intelligence que le créateur de cette série pose des questions très importantes, en nous donnant des pistes de réflexion sans définir quel camp a finalement raison.

L’analyse est très fine, et même s’il va user de quelques tremplins narratifs pour accélérer le processus (après tout, 6 épisodes aussi denses, ça passe vite!), Eric Benzekri va traiter de racisme, de manipulation médiatique (les séquences entre Marie et l’informaticien pour créer des faux comptes sont excellentes), d’arrivisme politique et d’idéologie, pour nous concocter une série puissante et totalement en phase avec la société contemporaine. La Fièvre est un très beau tour de force, dont la fin ouvre des portes pour une suite qui risque de pulvériser cette première saison!

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