A notre époque, on a de nombreux termes qui sont tellement galvaudés qu’ils finissent par ne plus sembler vouloir dire grand-chose, ce qui a pour conséquence d’appauvrir la réalité crue qu’ils devraient englober. Quand on pense au féminisme, les premiers noms qui viennent en tête sont Sandrine Rousseau et Adèle Haenel, ce qui donne quand même un regard sacrément réducteur sur la dimension que recouvre ce terme. A force de revendiquer constamment ce féminisme qui en devient une extension de soi politique et sociale, on en oublierait sa propre personnalité au passage… Alors que l’ère du #metoo a été un élément résolument salvateur dans le monde de l’art, il a lui aussi malheureusement été dévoyé par la suite… C’est là que la cinéaste Coralie Fargeat apporte un regard très personnel et qui est une véritable bouffée d’air frais en traitant de la place de la femme dans la société de manière très frontale, tout en choisissant de ne pas plonger dans ce piège de la revendication outrancière.
Toute l’intelligence de son procédé est de parvenir à faire ressortir des sentiments ambivalents et à jouer sur toutes les facettes féminines, en passant de la victime à la prédatrice, avec toutes les strates intermédiaires permettant de passer de l’une à l’autre. C’est tout le propos de Revenge, son premier long datant de 2017, qui offre une perpsective intéressante à son clinquant et hypnotique The Substance (2024). Revenge revêt les atours d’un rape & revenge archétypal, avec cette femme confrontée à 3 hommes bien déterminés à l’achever dans cette immensité désertique. Tout commence de manière très colorée avec une Jen qui semble totalement maîtriser la situation, et une Coralie Fargeat filmant la sensualité féminine de manière très suggestive. L’attraction de ces hommes envers cette jeune femme est instinctive et inévitable, et l’actrice italienne Matilda Lutz campe à la perfection cette femme fatale, dont le double se retrouve inexorablement dans The Substance avec la personnification de Margaret Qualley dans le rôle de Sue.
Les 2 femmes partagent cette maîtrise de leurs corps parfait et surtout cette connaissance profonde des sensations qu’elles provoquent, leur conférant une certaine puissance face à la figure masculine. Mais là où Sue braquait tout les regards sur elle tandis que les hommes se détournaient peu à peu d’Elisabeth (Demi Moore) dans cette satire hallucinée sur le vieillissement dans le système hollywoodien, Revenge va cristalliser ce pouvoir féminin en lui conférant une certaine forme de malédiction. Dans The Substance, la jeunesse filant entre les doigts d’Elisabeth va l’obliger à se confronter à son double au charme envoûtant, Sue, qui va littéralement la remplacer dans le coeur des fans. Dans The Revenge, la beauté et l’attractivité de Jen vont faire monter les pires pulsions masculines, avec notamment un homme qui pense qu’elle lui doit quelque chose juste parce qu’il en a envie. C’est en ce sens que ce film s’avère intelligent dans sa manière de traiter le féminisme et le masculinisme, car il va droit à l’essentiel sans perdre son temps à faire de thèse ennuyeuse sur le sujet. Coralie Fargeat s’intéresse à des faits qui représentent ce qu’une femme peut vivre de pire dans la société, et elle transcende cela pour ne pas simplement en faire quelque chose de didactique, mais pour traiter le sujet de la manière la plus cinglante possible.
Revenge regorge de morceaux de bravoure et de plans très audacieux, mais il est plombé par le jeu très amateur pour rester poli de ses 3 acteurs masculins, alors que Matilda Lutz est clairement au-dessus avec son interprétation de Jen. Avec 3 acteurs talentueux, le film aurait nettement gagné en puissance, mais il reste un exercice de style intéressant à découvrir pour ceux qui auraient succombé au vénéneux The Substance. On y sent une rage renvoyant au Oeil pour Oeil de Meir Zarchi et une esthétique de la femme badass renvoyant à la Rose McGowan de Planète Terreur. Coralie Fargeat filme son actrice avec le regard aiguisé qu’aurait un homme à admirer ses courbes, et on sent à quel point elle joue avec l’esthétique de la femme-objet tout en faisant ressortir le pouvoir que sa plastique exerce sur la gent masculine. Le procédé est similaire à celui qu’elle établira pour filmer Sue dans The Substance, avec cette fois-ci la démultiplication de ce pouvoir à travers les caméras et les télévisions.
Là où The Substance possède une maîtrise totale de sa narration et de sa mise en scène, Revenge apparaît comme un brouillon certes, mais pas dénué d’intérêt. Les expérimentations chromatiques chères à Fargeat s’avèrent excellentes, avec notamment ces plans à travers les vitres colorées qui renvoient à l’époque du giallo, ce qui se sent également dans la composition de certains plans spécifiques, comme ceux permettant d’avoir une vue sur l’intérieur et l’extérieur de la maison. The Substance offrait une vision très clinquante et artificielle de l’existence d’Elisabeth, dans laquelle vient s’inviter quelque chose de diabolique et retors. L’aspect body horror de The Substance est incroyablement précis et s’avère très dérangeant, avec notamment ces séquences où on fait sortir quelque chose d’un corps avec tout ce que cela englobe d’intimiste. Dans Revenge, on a droit à plusieurs séquences de ce type, et celle du pied est salement gore à ce niveau-là… Très souvent dans le body horror, ces entrées/sorties de corps étrangers renvoient directement à une sexualité dérangeante ou déviante, et Coralie Fargeat n’a pas peur d’explorer ces thématiques de manière très frontale.
D’ailleurs, c’est très rare de voir un mec filmé totalement à poil, et l’acteur Kevin Janssens permet à ce film de renverser les rôles habituels puisqu’il s’y balade à plusieurs reprises dans le plus simple appareil 3 pièces. Le sexe est depuis la nuit des temps une source de pouvoir ou de soumission, et le traitement que Coralie Fargeat en fait dans ses 2 films s’avère très intéressant. Le dédoublement entre Elisabeth et Sue en mode doppelgänger dans The Substance nous raconte l’idéalisation d’une jeunesse sexualisée par rapport à une figure féminine tombant dans l’oubli avec l’âge avançant, tandis que Revenge narre le combat d’une femme dont la beauté irrésistible a causé sa perte, et comment elle va se transformer afin de retrouver sa dignité et se venger. Dans les 2 cas, on a 3 femmes dont l’existence est corrélée au statu que leur confère leur beauté, 3 instantanés des rôles qu’on leur attribue en fonction de leur âge, et Coralie Fargeat se fait un plaisir de venir dynamiter cet état de fait à grand renfort d’hémoglobine et de tripes. Son cinéma ne laisse clairement pas indifférent, et sous ces atours de série B totalement décomplexé, il est une bouffée d’oxygène dans la manière de proclamer le féminisme de manière intelligente!