Si l’on connaît surtout Olivier Norek pour sa série sur Victor Coste (Code 93, Territoires, Surtensions et Dans les Brumes de Capelans) et son éprouvant Entre Deux Mondes, l’ancien policier devenu romancier a également navigué sous la Surface des eaux d’un lac artificiel pour réveiller un cold case, ou s’est aventuré dans le domaine de l’éco-terrorisme avec Impact. Cette année, il nous livrait son premier roman historique, située sur un laps de temps très court, à savoir quelques mois, qui comprennent les semaines précédents le début de la Guerre d’Hiver, et les 4 mois qu’elle aura duré.
Nous sommes en 1939 en Finlande, jeune état de 22 ans qui appartenait à l’URSS mais qui a acquis son indépendance en 1917. Ce minuscule territoire de même pas 340 000 km² va se retrouver opposé à la Russie, qui durant la Seconde Guerre Mondiale, décide de récupérer les territoires finlandais. Olivier Norek va nous raconter la lutte implacable des soldats finlandais pour la préservation de leurs libertés, et va nous démontrer comment ces hommes vont mettre en échec le mastodonte russe durant des mois. Staline tablait sur une invasion ultra-rapide, mais la détermination des Finlandais et les spécificités géographiques et climatiques du pays ont été une combinaison désastreuse pour la Russie.
Norek va principalement nous immerger dans 2 lieux spécifiques, les 2 endroits stratégiques qui ont été l’enjeu de luttes très destructrices : le front de Kollaa et la ligne Mannerheim située sur l’isthme de Carélie. Ces 2 postes sont situés à la frontière avec la Russie, et ont été le théâtre de batailles intenses ayant fait de très nombreuses victimes des 2 côtés. Mais c’est surtout sur le front de Kollaa que s’est bâtie la légende des guerrier de l’hiver, et notamment celle de Simo Häyhä, que les Russes surnommeront la Mort Blanche. Cet homme vivant paisiblement aux environs de la ville de Rautjärvi était un excellent chasseur, capable de pister une proie pendant des heures et d’être d’une très grande précision au tir à de grandes distances. Lors de sa mobilisation, il sera affecté à la 6ème compagnie de la garnison de Kollaa, sous le commandement d’Aarne Juutilainen, surnommé l’Horreur du Maroc. L’homme avait combattu en tant que légionnaire dans le pays africain, et y avait acquis une réputation de personnage sadique tant il appréciait tuer ses ennemis. Juutilainen ne vivait que pour faire la guerre, et il appréciait donc se retrouver en première ligne avec sa 6ème compagnie.
Simo Häyhä quant à lui, n’avait pas le même tempérament que son chef, mais il était bien décidé à protéger son pays et ses amis. Il s’est engagé aux côtés de Toivo, Onni et Pietari, et chacun d’entre eux a tenté de veiller sur les autres durant cette Guerre d’Hiver. « Lorsque Simo priait, il ne demandait au ciel qu’une seule chose. Qu’à chaque soir en rentrant dans la tente, le compte de ses amis soit toujours exact. » Cette solidarité et cette fraternité vont être des moteurs essentiels dans leur lutte face à l’envahisseur, et si Simo deviendra malgré lui une figure légendaire de ce conflit, ce qui lui importait avant tout, c’était la survie de ses proches. Olivier Norek rend compte de ces liens indéfectibles entre les amis avec une émotion qui ne s’exprime pas frontalement, mais dont on ressent la solidité à toute épreuve.
L’auteur parvient à totalement nous immerger dans cette période tragique et glaciale, nous faisant vivre au côté de Simo et de ses amis cette guerre d’usure. Tout de blanc vêtu afin de ne pas être repérés par l’ennemi, se déplaçant à ski et se postant parfois de très longues heures afin de tendre des embuscades ou, comme Simo, de repérer et d’éliminer un sniper ennemi. « Il ne regardait rien d’autre que le même point fixe au loin, la cime d’un jeune épicéa, et dans le même temps, en se concentrant sur la totalité de sa vision périphérique, il regardait partout ailleurs. Une heure passa. Son coeur ralentit au rythme de sa respiration, et alors que le matin avait été brouillé de limaille de flocons, le soleil réapparut enfin. Une autre heure passa et Simo atteignit dangereusement la limite de sa résistance. Il sentit alors que son corps se détendait et qu’une douce tiédeur l’embrassait. Comme le troublant chant des sirènes qui mène les bateaux aux récifs, ou l’agréable odeur d’amande amère que dégage le cyanure, il n’y avait rien de rassurant dans cette sensation de bien-être et de chaleur. La main de la mort s’était posée sur son épaule et lui promettait que tout allait bien, que tout irait mieux au fil des heures et qu’il n’avait qu’à rester immobile. » Cet extrait représente à merveille la façon dont l’auteur parvient à nous faire saisir les sensations corporelles de ces soldats transis par le froid, par des températures allant parfois plus bas que -40 degrés.
Si l’envahisseur russe souhaitait avancer tel un rouleau compresseur sur le petit état finlandais, le Goliath aura eu de très nombreuses difficultés face à ce David inébranlable. Mais lorsqu’il traite de la guerre, Olivier Norek souhaite avant tout parler de l’humain, quel que soit le drapeau pour lequel il se bat. Dans Les Guerriers de l’Hiver, il ne va pas faire preuve de manichéisme, et il va également démontrer à quel point les engagés russes étaient très souvent pris pour de la simple chair à canon. S’ils refusaient d’aller au combat, ils étaient tout simplement exécutés, et donc de nombreux ennemis de Simo et de ses amis se battaient malgré eux, obligés de le faire pour tenter de rester en vie quelques instants de plus. Norek démontre qu’il n’y a pas de réelle victoire dans une zone de guerre, et que celui qui ôte la vie risque bien d’y perdre son humanité à petit feu. Les Guerriers de l’Hiver souligne bien la vacuité de ces pertes humaines pour gagner quelques dizaines de mètres de territoire, qui seront reperdus le lendemain…
Avec ce roman, l’auteur met en lumière les exploits d’un sniper considéré comme le meilleur tireur d’élite de tous les temps, et nous offre également une superbe leçon de vie en nous faisant côtoyer ces hommes simples pris dans une tourmente implacable, et à travers les différentes batailles qu’ils mènent, on ressent leur appartenance à ce pays, à cette nature exigeante, et on vit leur indéfectible amitié. Les Guerriers de l’Hiver est un roman de guerre, mais il parle d’une guerre subie par ses participants (sauf Juutilainen qui s’en réjoussait!), qui ne rêvaient que de retrouver la simplicité de leur existence d’avant. Olivier Norek va nous confier des moments émouvants, comme cette rencontre entre un soldat et une infirmière, qui va leur apporter un peu de lumière en cette période si sombre. Chacun s’accroche comme il peut à sa part d’humanité, qui risque sinon de s’évaporer et de se fondre dans ces immensités neigeuses…
Olivier Norek use d’un style qu’il a encore affiné au gré de sa bibliographie, et ce roman volumineux se lit très rapidement tant le lecteur plonge littéralement dans ce morceau d’Histoire. L’auteur a tenu à être le pllus précit et respectueux de la vérité, en se basant sur de nombreuses archives, et ce même pour les dialogues. Comme il le souligne à la fin de l’ouvrage, « aucun fait d’armes n’a été inventé, ni aucune anecdote. Aucun acte de bravoure n’a été exagéré. » On va être pris aux tripes lors de séquences impressionnantes, notamment avec le fameux hyöky presque chargé de mysticisme! Et sur la totalité du bouquin plâne l’esprit du sisu, figure emblématique du courage et de la ténacité des Finlandais, qui leur aura permis de tenir durant cette longue période glaciale.