Roqya (Saïd Belktibia, 2023)

Il se passe quelque chose de très positif dans le domaine du film de genre français en ce moment, avec des oeuvres possédant une certaine force de caractère et une identité propre, ce qui malheureusement n’est pas forcément compatible avec un succès au box-office . Mais cela permet de plonger dans des fictions exigeantes et très travaillées, ce qui nous change des âneries habituelles à la The Fall Guy et autres. On se souvient du très marquant Vermines sorti pour les fêtes de fin d’année, et c’est aujourd’hui Saïd Belktibia qui prend la relève avec un premier film d’une très belle tenue, baignant dans une atmosphère tendue qui se relâchera très rarement. On va suivre Nour, une jeune femme élevant seule son fils Amine, qui se sert des croyances populaires pour faire avancer son business à base de remèdes de sorcières, de marabouts et autres aides pour contrer les malédictions. Dans un univers moderne ultra-connecté, elle va se mettre à la page et développer une application permettant de recenser les pratiquants de ces différents domaines afin d’offrir aux gens les services dont ils ont besoin.

D’entrée de jeu, on est loin du manichéisme habituel puisque Nour est présentée comme une personne gagnant sa vie sur la base de la crédulité d’autrui, ce qui ne va pas empêcher d’être pris aux tripes lorsque les événements vont salement s’enchaîner. L’actrice iranienne Golshifteh Farahani impressionne par la force de caractère qu’elle va conférer à Nour. L’actrice a déjà une certaine carrière hollywoodienne derrière elle, puisqu’elle a participé à Mensonges d’Etat, Exodus : Gods and Kings, Pirates des Caraïbes : la Vengenace de Salazar, Tyler Rake et Tyler Rake 2. A ses côtés dans cette descente aux enfers, elle sera accompagnée par Amine Zariouhi, un jeune acteur dont il s’agit du tout premier film, et qui est lui ainsi impressionnant dans le rôle très difficile de son fils. Saïd Belktibia va mettre en avant une relation très forte entre la mère et le fils, et il va parvenir à nous faire ressentir très fortement les difficultés et les déchirements qu’ils vont traverser.

Roqya n’est clairement pas un feel good movie, mais qu’est-ce que ça fait du bien d’avoir une fois encore un film de genre qui ne reste pas à la surface, mais qui impacte à la fois ses personnages et le spectateur, pour offrir une oeuvre qui laisse des marques après le visionnage. Roqya est âpre et très réaliste, offrant un regard presque nihiliste face à une situation qui dégénère totalement. Un 3ème acteur très prometteur va également participer à la noirceur de ce film, il s’agit de Jérémy Ferrari, qui en est seulement à sa 3ème oeuvre cinématographique, et qui est glaçant dans le rôle de Dylan, l’ex de Nour. Pour ceux qui connaissent l’humoriste, vous savez à quel point il est capable de jouer le connard, mais le voir dans un tel rôle sans les pointes d’humour habituelles fait vraiment froid dans le dos.

Roqya va brasser des thématiques à la fois très ancestrales et très modernes, et il va parvenir à lier cet ensemble grâce à un très bon scénario rédigé par Belktibia et Louis Penicaut, qui a notamment travaillé sur Le Bureau des Légendes ou Lupin. Sous couvert de sorcellerie moderne, les 2 hommes vont parler de violence envers les femmes, des dérives dues aux réseaux sociaux, du phénomène de foule, des dangers des croyances… Mine de rien, Roqya fait un constat très pertinent sur l’état du monde d’aujourd’hui à travers ce récit fictif basé sur un événement précis, et c’est ce réalisme très direct qui fait que l’on est totalement pris dans le film. Nour se retrouve traquée par les habitants du quartier, et dans une France qui subit quotidiennement des drames, la volonté de survie de la jeune femme n’en est que plus haletante. Elle va littéralement se retrouver prise dans une chasse à l’homme, ou plutôt une chasse aux sorcières, et va devoir ruser pour s’en sortir. On pense forcément à la séquence hyper-stressante d’Athéna, lorsque le CRS se retrouve pris en chasse dans la cité … Golshifteh Farahani donne vraiment de sa personne pour nous faire ressentir tout ce que traverse son personnage, et parvenir à donner un réel relief à ce film, qui n’est certainement pas parfait, mais qui vaut bien mieux que tellement d’oeuvres contemporaines insipides … Saïd Belktibia possède un regard fort et n’a pas voulu créer un simple film de divertissement, il a souhaité que le spectateur ressente viscéralement tout ce que Nour traverse, et en cela, c’est vraiment une réussite.

On se rend compte que la direction d’acteurs est excellente, car à chaque strate on est face à des gens talentueux. Denis Lavant est très bon dans le rôle de ce père dépassé par la maladie de son fils, et Mathieu Espagnet est excellent dans le rôle difficile de Kevin. La séquence avec le prêtre est impressionnante, et Mathieu Espagnet va s’avérer à la fois très flippant et très touchant! Mais avec tous ces très bons acteurs, j’en oublierai presque d’évoquer l’excellent sens de la mise en scène de Saïd Belktibia ! Sa manière de filmer la cité est très personnelle et très immersive, comme avec ces plans aériens jouant sur l’enfermement (je pense notamment à ce plan certainement effectué en drone avec cette voiture tournant en rond sur le parking). C’est cette vitalité que je trouve commune à Sébastien Vaniček, Romain Gavras, ou encore Alexandre Bustillo et Julien Maury (pour Kandisha, mais certainement pas pour leur ratage catastrophique Le Mangeur d’Ames…). Belktibia sait pertinemment comment doser le niveau de stress et il gère avec beaucoup d’efficacité sa mise en scène afin d’être le plus immersif possible. La séquence dans les caves est très représentative de la fluidité avec laquelle il compose ses scènes, et la beauté graphique avec laquelle il englobe cette cité, couplée avec le sentiment d’urgence qu’il dégage lors de cette chasse à l’homme (ou à la femme plutôt), fait de ce film une vraie belle réussite, dont vous sortirez avec l’impression éprouvante d’avoir participé à cette course pour la survie !

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