C’est en juillet 1976 qu’apparaissent pour la première les personnages des Eternels, nés sous la plume et le crayon du légendaire Jack Kirby, pionnier de l’univers Marvel aux côtés de Stan Lee. Si ces personnages sont nettement moins connus que les Avengers ou Spider-Man, leur histoire s’avère très importante dans la mythologique de l’Univers-616, et aujourd’hui, Kevin Feige a choisi de les dévoiler au monde, eux qui ont vécu caché bien trop longtemps… Le film Les Eternels est précédé de critiques pourtant pas très élogieuses, et il s’avère que le film divise beaucoup…
Et pourtant, quel plaisir d’enfin replonger dans un film du MCU plus captivant que la moyenne! La Phase IV avait commencé de manière relativement soft avec les sympathiques Black Widow et Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux, qui ne bousculaient pas les codes et qui constituaient simplement des films plaisants sans prétention. Ici, l’ambition est tout autre, et on part sur un récit s’étendant sur une durée de 7 millénaires! Un projet très ambitieux qui avait de quoi s’avérer casse-gueule, et pourtant, on est emporté par cette longue épopée mêlant tragédie, émotions et humour, maîtrisé d’un bout à l’autre et bénéficiant d’une mise en scène habile et sensitive! Les Eternels constitue le véritable démarrage de cette Phase IV, en plaçant des enjeux monumentaux et en approfondissant avec intelligence les connaissances de l’univers cinématographique Marvel!
Les Eternels viennent d’une lointaine planète, chargés par leur dieu Arishem de protéger les Humains des Déviants, créatures sanguinaires pour qui la Terre constitue un terrain de chasse privilégié. Le groupe mené par Ajak (Salma Hayek) bénéficie de pouvoirs impressionnants pour mener à bien sa mission, et le récit va naviguer entre passé et présent pour nous présenter les membres du groupe ainsi que l’évolution de leur mission. On va ainsi voyager de continent en continent et d’une ère à l’autre, en passant notamment par une sublime Babylone… Ce qui frappe d’emblée, c’est évidemment la beauté picturale avec des décors somptueux, pour un film Marvel qui utilise principalement des environnements naturels et moins de fonds verts qu’habituellement. A ce titre, les décors des Iles Canaries permettent d’apporter un réalisme important à plusieurs séquences. On sent toute la sensibilité de Chloé Zaho, qui nous livre des séquences s’attardant souvent sur les éléments, ce qui est très intéressant et novateur pour un film Marvel. Les Eternels représente le combat d’une super-équipe pour sauver l’humanité, et on sent la connexion de ces êtres avec la Terre elle-même à travers des détails fugaces, comme cette héroïne serrant du sable dans son poing… La nature apparaît comme très importante et fait partie intégrante de ce combat contre la menace surpuissante visant à annihiler la Terre…
On a également un changement de paradigme très intéressant avec la notion des Célestes, ces êtres mythiques ayant assez de pouvoirs pour détruire des planètes et apporter la vie sur d’autres. Il y a un aspect vertigineux à voir Arishem discuter avec Ajak ou Sersi, et le gigantisme d’un Céleste proportionnellement à la taille de la Terre à de quoi donner le tournis également. Le caractère ambitieux des Eternels vient donc de l’étalement de sa fresque sur 7000 ans, mais également de l’apparition de ces Dieux gigantesques capables de régir l’univers! Si cela est aisé à visualiser en comics, c’est forcément moins évident au cinéma, et Chloé Zaho s’en tire vraiment bien! Il faut dire qu’elle mêle ce gigantisme avec une vision très sensible de la nature, et ce mélange harmonieux fonctionne de manière très fluide!
Ce qui me faisait peur avant d’aller voir ce film, c’est qu’il semble réellement baigner dans cette culture woke très à la mode en ce moment, et en voyant l’affiche avec la représentation d’ethnies multiples, j’avais peur que cela soit forcé. Mais chaque personnage va finalement s’avérer très intéressant en allant au-delà de la simple considération de sa couleur de peau, et ça fait bien plaisir de ce côté-là! D’ailleurs, on a là encore une très belle fluidité dans le mode d’écriture, avec la découverte progressive des personnages, et de belles surprises au fur et à mesure de l’avancée du film. Je prends pour exemple le personnage de Kingo, incarné par le pakistano-américain Kumail Nanjiani, qui s’avère relativement neutre au départ, et que l’on va découvrir d’un coup de manière bien sympathique! Ou Druig, joué par Barry Keoghan, qui s’avère très effacé et qui va révéler des émotions bien intenses à un moment donné. Il y a une belle gestion de tous ces personnages, tant dans leurs interactions que dans leurs évolutions personnelles sur 7 millénaires, et ça fait vraiment plaisir de se retrouver face à un spectacle d’une telle ampleur qui s’avère lisible et compréhensible! Le film va poser des questionnements très intéressants sur la notion de croyance, avec des Eternels dévoués aux Célestes, et cela renvoie directement aux différentes croyances que l’on peut avoir en Dieu. Le film traitera par extension les notions de choix et de libre arbitre, et il s’avère au final bien plus complexe que ce que l’on pouvait attendre!
On va bien évidemment parler des séquences d’action, qui là encore sont gérées avec une certaine grâce, mettant en évidence les pouvoirs impressionnants des héros, Ikaris en tête, et on sent là encore une très belle fluidité dans la gestion de ces scènes. On a une dizaine de personnages dotés de pouvoirs différents, et les séquences sont habilement travaillées pour mettre en lumière les capacités de chacun de manière harmonieuse. On avait plus vu cela depuis Avengers : Endgame, et on apprécie ici le traitement à la fois global et intimiste de l’ensemble! On a souvent des personnages à peine esquissés lorsqu’il y a trop de monde (on pense à Falcon ou War Machine dans les films Avengers), mais ici, chaque Eternel a son importance et s’inscrit dans une cohésion de groupe qui fait plaisir à voir. Chloé Zaho gère son film avec une harmonie imprégnant chaque phase de sa construction.
Les Eternels est une très belle surprise, d’autant plus que les critiques annonçaient une catastrophe… L’aspect tragédie antique de certains personnages renvoie aux mythologies qu’ils ont eux-mêmes créé (Théna qui a donné naissance à la déesse Athéna, Ikaris à Icare…), et on est pris par les tourments, les liens et les doutes qui les tiraillent… Une partie de la promo avait été faite sur le côté progressiste, et la séquence concernée s’avère traitée de manière intimiste sans l’aspect revendicatif craint… Du coup le personnage et le récit sont respectés, et je trouve juste dommage que la promo en fasse trop alors que le traitement lui est bien plus subtil que cela. Les Eternels intègre diverses minorités mais le fait de manière humble et sans grand matraquage, au contraire de la promotion du film par moment… J’ai toujours du mal avec le fait de mettre en avant la couleur de la peau avant la personnalité du personnage, pour moi la profondeur du personnage prime, et fait que l’on s’intéresse à sa complexité et à ses différences. Il n’y a qu’à voir comment Joe R. Lansdale traite ses persos pour se dire que finalement, c’est ça la meilleure manière d’intégrer les différences!
Niveau casting, on est dans du haut de gamme avec une Gemma Chan capable de porter une partie du film sur ses épaules, en développant une très belle sensibilité; un Richard Madden très charismatique et capable d’une grande violence avec ses pouvoirs; quel plaisir de retrouver Don Lee (de son vrai nom Ma-Dong seok) dans le rôle de Gilgamesh, lui qui était déjà très bon dans le thriller Le Gangster, le Flic et l’Assassin; Angelina Jolie et Salma Hayek apportent à la fois une caution hollywoodienne et leur propre sensibilité, avec des personnages très intéressants également; Bryan Tyree Henry, Lauren Ridloff, Lia McHugh apportent également de belles variations à leurs personnages, et le traitement de Dane Whitman est là encore subtil et bien amené, avec un Kit Harrington tranquille qui laisse le temps à son personnage…
Et en parlant de personnages, je vous invite à rester jusqu’au bout, puisqu’il y a 2 scènes post-génériques! Et on oubliera pas non plus l’excellente partition signée par l’Allemand Ramin Djawadi, connu pour son travail sur Game of Thrones!