En 1981, le metteur en scène Wes Craven n’est pas encore connu du grand public, son succès Les Griffes de la Nuit n’ayant lieu qu’en 1984. Mais il possède une réputation d’artisan chevronné dans une veine trash assumée, avec les surévalués La dernière Maison sur la Gauche et La Colline a des Yeux. La Ferme de la Terreur est son 4ème long métrage, et va s’avérer être un formidable terrain d’expérimentation pour le jeune réalisateur, dont on ressent une myriade d’influence dans ce récit hautement maîtrisé.
Jim et Martha vivent dans une ferme isolée, avec pour voisins des Hittites, nom fictif désignant une communauté obéissant à des traditions similaires à celles des Amish. Le patriarche Isaiah est totalement opposé au progrès, et voit d’un très mauvais oeil ce jeune Jim cultivant sa terre avec un tracteur. On se retrouve rapidement plongé dans des tensions entre les 2 modes de vie, et ce choc des cultures s’avère bien plus intéressant que dans Witness : Témoin sous Surveillance par exemple. Glen M. Benest, Matthew Barr et Craven rédigent un scénario qui sous couvert de série B horrifique, va développer une trame démontrant les incompréhensions totales entre les 2 communautés, ce qui enrichit considérablement le récit. Ernest Borgnine est très inquiétant dans le rôle d’Isaiah, le patriarche des Hittites, et il gère sa famille d’une main de fer.
On retrouve dans ce film une figure emblématique des productions horrifiques 80’s, avec la présence du très reconnaissable Michael Berryman, déjà présent chez Craven en 1977 dans La Colline a des Yeux dans le rôle culte de Pluto. Avec son physique atypique, il devient rapidement un acteur incontournable des séries B dans les années 80 et 90, son visage lui permettant d’endosser plein de rôles de maniaques et autres bad guys. Berryman est né avec le syndrome de Christ-Siemens-Touraine, qui fait qu’il n’a pas développé de système pileux, qu’il n’a pas d’ongles et qu’il a une absence de sensibilité dans certains nerfs. Suite à une opération du crâne, celui-ci possède désormais une forme légèrement plus allongée que la normale. Avec un tel visage, il est clairement destiné à alimenter les cauchemars en VHS de nombreux spectateurs… Dans La Ferme de la Terreur, il incarne un membre de la communauté Hittite un peu simplet, mais qui n’hésite pas à poursuivre une jeune femme dont il estime qu’elle ne respecte pas les codes demandés par Dieu. Il offre un contre-point tragique aux moeurs drastiques de sa communauté, et ça fait toujours plaisir de le croiser dans une production!
Dans un autre style, on a un choix de casting étonnant avec la présence de Douglas Barr, l’éternel Howie, faire-valoir de Colt Seavers dans L’Homme qui tombe à pic! Il campe un homme qui a davantage la tête sur les épaules, et c’est assez drôle de le voir dans un tel contre-emploi! Sinon, on a une jeune actrice qui entame à peine sa carrière et qui en est à son 3ème film, une certaine Sharon Stone! La future star de Basic Instinct n’en est qu’à ses premiers pas dans l’industrie cinématographique, et joue le rôle d’une des amies du personnage principal Martha. Quand à l’actrice qui interprète Martha, Maren Jensen, elle n’aura participé qu’à 3 films, et celui-ci est le dernier!
Si La Ferme de la Terreur est considéré comme un film mineur de son auteur, il recèle pourtant une inventivité et des expérimentations graphiques qui en font une oeuvre forte de Wes Craven. On sent une nette influence héritée de John Carpenter, avec ces plans en caméra subjective d’un mystérieux intrus renvoyant à La Nuit des Masques (mais après tout, quel metteur en scène 80’s n’a pas été influencé par Carpenter???), et Craven parvient à se réapproprier le concept en créant une tension perceptible. On a également quelques soupçons hitchcockiens insérés dans l’intrigue, quelques envolées giallesques qui fonctionnent très bien, et ce mélange d’influences s’avère hautement réussi! On aurait en effet pu facilement tomber dans la surenchère ou dans l’élaboration automatique de séquences diverses, mais il y a une atmosphère crédible et solide unifiant l’ensemble, et qui fait que l’on est pris dans les tourments de ces jeunes femmes de plus en plus paniquées.
Et que dire de la séquence de la baignoire, qui préfigure la mythique scène des Griffes de la Nuit? Un serpent remplace la main du pervers griffu, mais l’effet est tout aussi saisissant, et on apprécie le mélange de sensualité et d’horreur se dégageant de cette scène. Placer la caméra entre les jambes de l’actrice principale donne une vision très forte et presque viscérale, et on ne peut qu’angoisser avec elle lorsque le corps étranger vient dangereusement se rapprocher de son intimité… Wes Craven traite son personnage féminin avec une grâce horrifique très symbolique, et c’est en cela qu’il parvient à créer des séquences de cet impact.
L’aspect fantastique fonctionne très bien, avec cette mystérieuse présence rôdant dans les environs, et on pourrait même penser que cela ait pu fournir quelques inspirations à M. Night Shyamalan pour son Signes! La manière dont Craven filme les immensités extérieures, sa façon de jouer sur la dualité entre l’habitation qui protège et l’extérieur sombre et dangereux, renvoie également d’une certaine manière aux contes anciens avec toutes les implications inconscientes qui y sont glissées. Le mal insidieux y est toujours représenté sous forme monstrueuse, mais ne fait que masquer la monstruosité se tapissant dans l’esprit humain… Et comme dans de très nombreux films horrifique, l’élément sexuel y est également traité, avec ici une approche en plus culturelle, puisque pour les Hittites rien que le fait de se balader en short relève du péché. On comprend dès lors les frustrations de certains membres de la communauté, et cette thématique triviale est donc renforcée par la culpabilisation religieuse. On peut donc aisément comprendre l’attraction que peut ressentir le personnage de John pour la délurée Vicky, alors que la vie qui lui est promise ne possède pas la moindre once d’originalité. Face à ce carcan familial et théologique, le jeune homme est tiraillé entre ses envies, ses pulsions et sa fidélité, et Wes Craven traite avec beaucoup de sensibilité cette problématique.
La Ferme de la Terreur est davantage un thriller qu’un réel film d’horreur, mais il est également un instantané social très frontal et dramatique, permettant ainsi d’offrir des problématiques bien réelles à ses personnages. Une oeuvre oubliée de Craven, qui mérite d’être exhumée!