Edward Snowden est certainement le lanceur d’alerte le plus connu au monde, suivi de près par Julian Assange de Wikileaks. Oliver Stone s’était intéressé de près au cas du premier, qu’il avait brillamment porté à l’écran en 2016 dans le sobrement intitulé Snowden, lequel bénéficiait de l’excellente interprétation de Joseph Gordon-Levitt. 2 ans auparavant, Laura Poitras avait réalisé Citizenfour, un documentaire encore plus viscéral avec son propre matériau, puisqu’elle avait elle-même accepté d’aider Edward Snowden lors de sa fuite des Etats-Unis. En 2013, Bill Condon s’est attaché à mettre en lumière le cas de Julian Assange, qui avait révélé à partir de 2010 les agissements criminels des Etats-Unis lors des conflits en Irak et en Afghanistan. Benedict Cumberbatch y interprétait le cybermilitant, et ce Cinquième Pouvoir était une opportunité de mieux comprendre les enjeux de ces révélations.
Une décennie avant Assange et Snowden, en Angleterre, c’est une femme qui reste injustement méconnue qui a été une lanceuse d’alerte essentielle. Les faits se sont déroulés en 2003, alors que la jeune Katharine Gün (dont le nom sera la plupart du temps écrit Gun) travaille comme traductrice au GCHQ (Government Communications Headquarters), une branche gouvernementale spécialisée dans la surveillance et le renseignement. C’est un mémo venant de la NSA et destiné à tous les employés, qu’elle reçoit donc de manière tout à fait normale, qui va la perturber au plus haut point. Cette note atteste de la volonté du gouvernement des Etats-Unis de vouloir mettre la pression sur certains pays de l’ONU afin de les faire voter favorablement à l’invasion de l’Irak. La NSA demandait l’aide du gouvernement britannique pour mettre sur écoute 6 pays pouvant faire basculer le vote. Un cas de conscience énorme s’est alors imposé à Katharine Gün, qui a opté pour un choix très difficile et très courageux.
Si Gavin Hood était surtout tristement célèbre pour nous avoir livré le désastreux X-Men Origins : Wolverine, on peut dire qu’il est entièrement pardonné tant son Official Secrets est une réussite totale. Hood n’a strictement rien à envier à Oliver Stone, et crée un récit d’une intensité impressionnante qu’il mène avec une très belle intelligence. Keira Knightley appose une portée émotionnelle forte à l’épreuve que va traverser Katharine, et on se retrouve face à un de ces films complètement inconnus qui mériteraient pourtant d’être vus par tous! La tonalité adoptée par Hood est un mélange de tension et de drame intimiste qui permet à Official Secrets de suivre cette affaire en en montrant les répercussions mondiales, tout en s’intéressant avec une acuité saisissante aux tourments personnels que Gün a déclenché par ricochets.
A chaque étape de la décision de la jeune femme, Hood parvient à faire ressentir au spectateur l’intensité du bouillonnement intérieur qui la tourmente. Là où un Pentagon Papers est incroyable de rigidité et d’absence de tension à tous les niveaux, Gavin Hood fait bien mieux que Spielberg en donnant un impact maximal à son film. Non pas en cherchant le spectaculaire, bien au contraire, mais en s’attachant à nous faire ressentir viscéralement la tempête qui s’est abattue sur Katharine avec son choix de faire fuiter cette information capitale. Keira Knightley est parfaite dans ce rôle difficile, et est entouré de partenaires très talentueux. Si Official Secrets est une aussi belle réussite, c’est également grâce à l’importance accordée à chaque personnage secondaire, qui sont tous des maillons indispensables à cette chaîne de révélation périlleuse. Matt Smith (Doctor Who, The Crown) y joue le journaliste Martin Bright, qui a dû se battre avec son rédacteur afin de publier un article sur le sujet, accompagné par son collègue Peter Beaumont (Matthew Goode, génial dans Stoker!).
On va ainsi comprendre la complexité de la publication d’une telle bombe, avec notamment la manière dont les journaux doivent anticiper leur défense juridique. Il y a une sorte de jeu étrange dans les divulgations faites par des tiers, indispensables pour corroborer les faits révélés, mais qui ne peuvent officiellement rien dire. La subtilité politique mise en place fait partie intégrante du travail de journaliste, et l’enquête s’avère palpitante également. On a Rhys Ifans qui campe un journaliste à la très grande gueule, en mode baroudeur à l’ancienne, ou encore Ralph Fiennes dans un rôle d’avocat là encore très bien dosé. Chaque élément de ce film permet de tirer le meilleur de ce récit à la fois scandaleux et très fort, qui démontre à quel point des gouvernements n’hésitent pas à violer les lois qu’ils imposent eux-mêmes lorsque des intérêts financiers colossaux sont en jeu. Car le mensonge incroyable perpétré par l’administration Bush quant aux fameuses « armes de destruction massives » est un crime inqualifiable, et voir une citoyenne lambda s’attaquer à cela avec pour seules armes sa propre conviction et ses valeurs fortes, ça force le respect!!! Katharine Gün est une héroïne, qui méritait bien que son histoire édifiante soit connue, et dont l’allégeance à son peuple plutôt qu’à son gouvernement est exemplaire!!!