Nicolas Boukhrief fait partie de ces réalisateurs n’ayant pas la reconnaissance publique qu’ils méritent, et il reste dans l’ombre de confrères moins talentueux mais qui font davantage dans la facilité. Le cinéma de Boukhrief est un art qui laisse des marques, qui se veut complexe et captivant, et qui résonne durablement. Il avait marqué un grand coup en 2004 avec Le Convoyeur, et encore en 2015 avec son fameux Made in France qui n’a pas eu la possibilité de sortir en salles. Nicolas Boukhrief fait dans le cinéma qui perturbe, le choc intimiste qui ravage. Et son Trois Jours et une Vie est de cette même veine…
J’avais tenté La Confession, mais je n’avais pas accroché, et Trois Jours et une Vie est l’occasion de renouer avec le metteur en scène. Nous sommes en 1999, dans un village des Ardennes belges. En ce matin de Noël, tous les habitants sont réunis sur la place de la mairie à la demande de la gendarmerie : une battue est organisée afin de retrouver un garçon disparu depuis 2 jours. Le village est en émoi, et on va revenir en arrière pour découvrir l’origine de ce tragique événement. Pierre Lemaitre adapte lui-même son roman homonyme, aidé par Perrine Margaine.
Nicolas Boukhrief n’a pas son pareil pour nous immerger dans des atmosphères pesantes, et son talent est toujours intact! Il nous emmène dans ce village paumé et ravagé par un drame, nous faisant côtoyer les différents habitants qui tentent de faire face à cet événement. Il y a une réelle intensité dans le jeu des acteurs, et avoir des pointures comme Sandrine Bonnaire, Charles Berling ou Philippe Torreton, ça aide évidemment à donner corps à ces personnages complexes et pris dans la tourmente. Outre ces grands acteurs, le jeune Jeremy Senez livre lui aussi une interprétation impressionnante, alors qu’il s’agit de son tout premier rôle! Pablo Pauly, qui était déjà excellent dans le magnifique Patients, est dans un autre registre tout aussi viscéral! Boukhrief peut aisément s’appuyer sur son casting pour créer un microcosme psychologiquement riche et très crédible, nous plongeant de manière frontale dans les affres qui agitent cette population. L’atmosphère est véritablement pesante, et la tension qui règne va perdurer…
Trois Jours et une Vie impressionne par son implacabilité, sa résonance profonde et son désespoir austère. Je ne me rappelle pas avoir vu un film « de terroir » aussi captivant et perturbant, et j’en suis difficilement ressorti, le film me poursuivant encore dans la soirée. Je ne vais évidemment pas vous raconter ce qui s’y passe, mais c’est un film difficile et dont l’atmosphère âpre ne parlera pas forcément à tous. Mais cet aspect réaliste est quasiment hypnotique, et fait partie de cette mise en scène implacable servie par Boukhrief. Il va analyser froidement les événements et ses conséquences, comme il les décortique dans chacune de ses oeuvres. Cette « froideur réaliste » est en quelque sorte sa marque de fabrique, mais n’a rien d’artificiel et pose bien au contraire les bases d’un cinéma-vérité marquant à souhait. Boukhrief pose aussi un contexte social intéressant, avec les problèmes sous-jacents d’emplois liés au lieu, et la justesse des problématiques est quasi-documentaire.
Sa manière de filmer la nature, avec ces bois sauvages alentours, la brume environnante, place immédiatement les personnages dans leur environnement, et achève le mélange psycho-naturaliste de l’ensemble. Trois Jours et une Vie est une oeuvre viscérale, de celle qu’on ne peut pas revoir rapidement, mais qui s’inscrit dans le cerveau de manière durable.