Warren Ellis est surtout connu comme auteur de comics, et on doit au Britannique quelques oeuvres bien originales comme Transmetropolitan, Global Frequency ou Nextwave! Il est également romancier à ses heures perdues, et ce Normal est ma première incursion dans son univers littéraire.
Ce roman très court peut se voir comme une extension moderne et absurde du 1984 de George Orwell, avec une interrogation fondée sur les systèmes d’écoute en place à notre époque. En prenant place dans un hôpital pour des veilleurs stratégiques dont le boulot consiste à mettre en place et gérer des systèmes de surveillance, on va plonger dans un microcosme où la folie semble être le dénominateur commun. Chacun des individus présents en ce lieu semble avoir sa propre conception du monde et de la société, comme si chaque personnage tentait de justifier ses actes, alors qu’ils sont totalement dépassés par les enjeux. A Normal Head, on accueille des militaires ou des civils rongés par le stress et la culpabilité, et qui se construisent chacun dans leur coin leur propre version de l’univers. On va croiser une femme qui communique avec sa flore intestinale, un ermite qui pense être la tête pensante du lieu, et tout un tas de personnages qui grouillent comme des fourmis mais dans un tourbillon qui semble tellement vain… Comme si le but de chacun était de justifier ses actes aux autres, mais avant tout pour se convaincre soi-même.
Adam Dearden a analysé les systèmes de foules lors de manifestations, afin de mettre en place des protocoles destinés à stopper ces rassemblements. Certains de ceux qui se trouvent ici n’ont fait qu’observer silencieusement, d’autres ont développés des systèmes actifs destinés au gouvernement. Des armes ont été élaborées suite à ces observations, notamment des drones très ingénieux et capables de dégâts très localisés. C’est avec ces images abstraites et pourtant terribles que certains doivent vivre, et Adam est à Normal suite à une de ces visions difficiles. On va apprendre peu à peu ce qui l’a amené ici, tout en découvrant les histoires de certains autres résidents.
Normal va être un bouquin plus cérébral que démonstratif, et on va assister à des dialogues absurdes entre les personnages, chacun tentant de convaincre l’autre du bien-fondé de ses méthodes et de sa pensée. Normal est une sorte de métaphore sur la surcommunication et la surveillance de masse, offrant un point de vue alarmiste sur un phénomène déjà trop développé. La thématique se rapproche de Black Mirror, mais le traitement peut s’avérer très déroutant. « Nous sommes payés pour regarder le silo noir de l’avenir et observer le petit caillou qui, au fond, représente les vestiges écrasés de l’espèce. Nous finissons tous là. C’est notre lot. Et ça a une certaine valeur. On nous paie pour ça. Nous sommes les mangeurs de péchés de cette saloperie de culture toute entière, et c’est à nous qu’il incombe de regarder la fin de la civilisation humaine. »
Warren Ellis va glisser quelques notes d’humour et quelques brins poétiques dans ce tableau sombre, en usant d’un style prenant. « Elle alla ensuite puiser un sourire au-delà de ce qui lui était arrivé plus tôt dans la journée. » Il y a une beauté éphémère dans son écriture, qui donne envie de poursuivre ce roman statique, dont l’intérêt réside avant tout dans les idées et les dialogues. Peu d’action, pas de retournements de situation de dingue, mais Normal constitue un roman étonnant qu’on va lire presque d’une traite sans s’en rendre compte. En appuyant sur des thématiques très modernes, Ellis va nous plonger dans une atmosphère paranoïaque des plus absurdes, et il nous met face à des individus perturbés par ce monde qui est presque déjà le nôtre…