La filmographie d’Antoine Fuqua ne m’interpellait pas vraiment jusqu’à ces dernières années, l’homme alignant les films d’action sans parvenir à réellement retenir l’attention, même avec son surévalué Training Day. Mais depuis l’an dernier, il se passe quelque chose, sa mise en scène évolue, son atmosphère devient plus intense, et il entre dans une phase de maturité impressionnante. Equalizer a représenté en 2014 une rupture nette avec ce qu’il faisait avant, en démontrant enfin toute l’étendue de sa maîtrise cinématographique. Le vigilante movie emmené par l’excellent Denzel Washington nous plongeait dans une violence sèche et intense, tout en jouant avec les codes du polar de manière très efficace.
1 an après, Fuqua poursuit son exploration du domaine de l’action, en se tournant cette fois-ci vers le domaine sportif, et plus particulièrement de la boxe. Quand on évoque ce sport, on pense d’emblée à la saga Rocky, mythe cinématographique ayant posé les bases du genre. Evidemment, Fuqua sait pertinemment qu’un modèle ne doit pas être reproduit, mais peut servir à enrichir son propre cinéma. La Rage au Ventre ne s’apparente que par très peu d’aspects à la saga qui a révélé Sylvester Stallone, et cette distanciation est toute bénéfique pour le film.
Tout comme pour Equalizer, on sent le travail important effectué en amont dès le stade de l’écriture. Scénariste sur The Shield ou Sons of Anarchy, Kurt Sutter rédige ici son premier script pour le cinéma, en y intégrant des thèmes très classiques mais qu’il traite avec un sens du réalisme captivant. L’association entre Sutter et Fuqua permet de donner corps à ce scénario prenant, qui va offrir à ses acteurs la possibilité de créer une oeuvre viscérale et intimiste. Il y a des interconnexions qui se font constamment dans La Rage au Ventre, une sorte de spirale créative entraînant tous les protagonistes vers une finalité allant bien au-delà du film sportif.
La Rage au Ventre parle d’ego, de perte, de désespoir et de déchéance, mais aussi de lutte, d’amour, de rédemption et d’espoir. Des thèmes ultra-classiques du cinéma, qu’il soit contemporain ou plus ancien. Mais l’importance ici réside dans la capacité à dégager la puissance se cachant derrière ces idées, de ne pas simplement les aligner l’une après l’autre au gré d’un scénario simpliste, mais de les articuler avec brio autour de personnages forts qui s’avèrent constamment en lutte. Le choix de Jake Gyllenhaal est une évidence, tant il est parfait dans le rôle du bien/mal nommé Billy Hope. Initialement prévu pour Eminem (le film était à la base construit comme une suite non officielle à 8 Mile), La Rage au Ventre laisse encore une fois exploser tout le talent de cet acteur génial, qui de Donnie Darko à End of Watch, en passant par Jarhead – la Fin de l’Innocence, Zodiac ou encore Prince of Persia – les Sables du Temps, est capable de se métamorphoser physiquement de manière impressionnante, et d’atteindre un degré de complexité étonnant dans sa manière de jouer. Gyllenhaal est sans conteste l’un des acteurs les plus solides de sa génération, et sa rencontre avec Antoine Fuqua est un grand bénéfice pour ce film.
A ses côtés, on retrouve une Rachel McAdams dont le talent commence petit à petit à devenir incontournable, de Red Eye – sous haute Pression à Je te promets – the Vow, jusqu’à la saison 2 de True Detective actuellement en cours, et son personnage de flic très complexe. Rachel McAdams possède une énergie brute qui impressionne, et il fallait bien une actrice de cette trempe pour pouvoir tenir tête à Gyllenhaal et à son personnage constamment sous tension! Forest Whitaker débarque lui aussi dans ce film, et nous gratifie d’une prestation tout aussi indispensable, dans le rôle de cet entraîneur fatigué qui semble traîner de nombreux démons derrière lui… La justesse de son jeu, l’intensité de son regard, font de ce personnage un élément-clé du film, et une sorte de sage qui ne sait plus trop quoi faire de ses conseils… Un rôle là encore écrit avec beaucoup de soin, et qui va donner des lignes de dialogue d’une grande sensibilité. Et la jeune Oona Laurence, âgée de 12 ans, étonne par son aisance à donner la réplique à ces pointures, et elle s’avère excellente dans le rôle de la fille de Billy Hope! Les liens familiaux très forts sont traités avec beaucoup de subtilité, et la relation entre Billy et sa fille crée des moments de grande émotion.
Il y a une construction très progressive dans ce film, dont l’atmosphère s’intensifie sans que l’on s’en aperçoive, jouant avec les émotions du spectateur sans qu’il y prenne garde. On plonge de plus en plus profondément dans l’existence de Billy et de ses proches, et on ressent de manière de plus en plus intense tout ce qu’il vit. Antoine Fuqua utilise une mise en scène qui n’a rien de clinquant, mais qui sait comment aller à l’essentiel tout en finesse. Un simple plan qui ne va pas s’attarder, mais qui suffit à faire affleurer l’émotion , ou une caméra au plus près du corps, pour ressentir l’adrénaline et les coups. Fuqua parvient aujourd’hui à réinjecter dans son ciné l’essentiel de tout ce qu’il a vu et appris, et sa mise en scène atteint une sorte de classicisme viscéral, faisant de La Rage au Ventre une expérience intense où l’émotion ne dure pas qu’un seul instant, mais constitue un élément primordial du récit.